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La collaboration plane sur le stade de Dijon

Par Jérémie Demay
5 minutes
La collaboration plane sur le stade de Dijon

La pelouse du stade Gaston-Gérard à Dijon devra-t-elle être arrosée à l’eau de Vichy ? Depuis la mi-septembre, des documents oubliés pendant des décennies ont été rendus aux archives de la Côte-d’Or. Que trouve-t-on à l’intérieur ? Une grosse partie des rapports du comité départemental de Libération avec plusieurs dossiers sur des collabos notoires, dont le fameux Gaston Gérard.

Bien avant d’être un stade qui héberge les exploits de Fred Sammaritano un week-end sur deux, Gaston Gérard était un homme. Maire de Dijon de 1919 à 1935, c’est lui qui a lancé la construction de cette enceinte inaugurée au début des années trente. Quand il est mort en 1969, le stade a pris son nom, ainsi que la place des monuments aux morts ! Manque de pot pour le DFCO et ceux morts pour la France, des photos, des courriers, mais surtout un rapport des renseignements généraux, daté d’octobre 1944, attestent de sa collaboration.

Gaston Gérard prononce le discours inaugural de l’association collaborationniste Les Ailes de Bourgogne

Dijon est libéré en septembre 1944. Les responsables de la libération tentent de remettre sur pied la ville et son administration. Ils traquent aussi tous ceux s’étant acoquinés avec les nazis et/ou leurs supporters français. Pour les aider, ils demandent aux RG de dresser plusieurs listes, dont celle des membres et sympathisants de la Ligue française. Ce groupe était tellement respectable que Pétain l’a reconnu d’utilité publique. À Dijon, l’antenne de la ligue avait même tenté d’assassiner le chanoine Kir, célèbre figure dijonnaise, qui donna son nom au mélange d’aligoté et de crème de cassis. Bref, dans ce fameux listing apparaissent le nom et l’adresse de Gaston Gérard.

Comment peut-on se retrouver dans une liste pareille sans avoir milité activement pour ce groupe ? Gaston Gérard s’est donné une mission : retrouver son fauteuil de maire perdu en 1935. Tous les moyens lui semblent bons pour arriver à ses fins. Dès l’armistice en 1940, il occupe les colonnes du journal collaborationniste Le Progrès de Côte-d’Or. Sa marotte rédactionnelle : son indispensable retour aux affaires. Mais personne ne le sollicite. Alors il écrit à Pierre Laval, qu’il connaît depuis qu’il a participé à un de ses gouvernements avant la Seconde Guerre. Pas de réponse. Il tente du côté de Pétain sans plus de résultat. N’écoutant que son ambition, il rédige un courrier au préfet du secteur : « Vous connaissez[…]la promesse formelle qui m’a été faite par le maréchal à ce sujet. » Pour appuyer sa supplique, il explique : « Je n’ai cessé de recevoir des délégations de toutes les classes de la société prêtes à solliciter[…]mon retour, le cas échéant à la mairie. » Las, sa promotion n’arrive toujours pas. Il ne cesse d’étaler sa proximité avec toutes les huiles de l’époque… Que des collaborateurs, comme le rédacteur en chef du Progrès de Côte-d’Or, ou des responsables de la police, et même des autorités nazies, mais rien n’y fait.

Verdict : inéligibilité et indignité nationale

Gaston Gérard change alors de méthode : il va s’associer avec des groupes de collaborateurs. Il préside l’arbre de Noël de la Ligue en 1941, prononce le discours inaugural des Ailes de Bourgogne, un autre groupe collabo. Malgré toute son énergie, il n’arrive toujours pas à poser ses fesses sur le fauteuil du maire. La guerre se passe, et le rêve de Gaston Gérard s’éloigne encore. À la fin du conflit, il est jugé, notamment pour avoir voté les pleins pouvoirs à Pétain en tant que député. Verdict : inéligibilité et indignité nationale. Une peine que de nombreux députés ont subie. Gaston Gérard s’en tire bien. Mais les membres du comité départemental de Libération le convoquent de nouveau. Il enrage et prend alors sa plus belle plume pour se défendre – il est avocat – auprès du président du comité de la justice. « Que cet homme (il parle de lui, ndlr), dont aucun mot, aucun geste ne peuvent passer inaperçus dans sa ville natale, ait pu céder, il y a quelques années, à ce désir de ne pas se laisser oublier, qui est commun à bien des hommes publics ; qu’il n’ait pas, de même que tant d’autres personnalités de sa classe, scruté les dessous, qui ne s’éclairent qu’au soleil d’aujourd’hui, de certaines expositions ou fêtes publiques organisées par et pour des Français, ce sont là des incidences dont nul n’a souffert que lui-même, et qu’on lui a fait expier, par des mesures singulièrement douloureuses : comparution devant le CDL, attaques dans le journalLa République, interrogatoire et enquête de police, etc. »

« Il s’est offert aux Boches pour être maire de Dijon »

Bref, il a collaboré, mais c’était par peur d’être oublié. Et puis d’autres l’ont fait, alors pourquoi lui chercher des poux dans la tête ? Claude Guyot, membre du comité départemental de Libération livre la défense de Gaston Gérard dans un bouquin publié plusieurs années après la Libération : « Il était passé sans but précis, et s’il avait pris la parole, c’était uniquement à la demande de l’assistance ; et retiré depuis juin 1940 des affaires publiques, il ignorait l’esprit de cette association… C’était d’ailleurs la seule fois qu’il avait paru et parlé en public. » Selon le chanoine Kir, à la vue de ces photos, Gaston Gérard « s’est sauvé » . Histoire de s’assurer les bonnes grâces du futur jury, il prend un coup de vieux : « Le 27 février, vous aviez jugé que j’avais droit enfin à cette paix morale dont on a tant besoin au soir de sa vie, et qui m’est plus particulièrement nécessaire à la veille d’une seconde et grave opération. »

Gaston Gérard devait être prévoyant puisque le soir de sa vie n’interviendra que vingt-quatre ans plus tard… En décembre 1945, sa peine est confirmée. Il abandonne son dernier mandat en cours au conseil général, et retourne dans son cabinet d’avocat. Le chanoine Kir devient le nouveau maire de Dijon. Dans un conseil municipal en 1950, il revient sur le passé de Gaston Gérard : « Il y en a un autre cependant qui s’est sauvé à Vichy, qui, chose plus grave, s’est offert aux Boches pour être maire de Dijon, pour être même gouverneur de la Bourgogne. » Le chanoine n’a donc pas compris qu’il a collaboré à l’insu de son plein gré ?L’Accent bourguignon, un magazine régional, a publié des extraits de ces documents. Résultat, aucune réaction de la mairie, propriétaire du stade. Un facho malentendu sans doute.

Dans cet article :
National : La chute des gros, la rébellion des mals-classés
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Par Jérémie Demay

Photos : archives de la Côte-d'Or/ Maison des sciences de l'homme

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