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La colère d’Ibra
La meilleure façon de marquer un triplé dont on se souviendra à Paris est de le faire sans esquisser un sourire. On reconnaît toujours le plus grand des héros à sa façon de faire la gueule.
Les vrais héros ne sont jamais heureux. Ils ont toujours ces mêmes yeux noirs, ces traits dessinés à la hache, ce nez aquilin, cette lippe humide et saillante, cette même façon de dire « Adieu » sans jamais ouvrir la bouche. Toujours entachées des pêchés des autres – ceux qu’ils sont venus racheter – leurs âmes sont lourdes, jamais joyeuses. Le destin d’un héros est de porter toutes les peines des hommes, de les combattre, de les vaincre et puis ensuite de disparaître sous les vivats d’une foule extatique. Hier soir, Paris était venu voir Zlatan, brassard autour du bras et Tour Eiffel sur le plastron. Comme une galante trop exigeante, elle voulait être surprise encore une fois par son légionnaire favori. Alors, à la fin de la soirée, elle hurla sa satisfaction quand, quittant la pelouse du Parc des Princes après avoir marqué un triplé de classe contre Saint-Étienne, elle vit son héros rentrer avant les autres. Paris contentée, la colère d’Ibra n’était pourtant pas redescendue. Sur son visage, au moment de rendre son brassard, on devinait la bile qui lui rongeait l’estomac. Il avait encore dans le nez toutes ces choses qu’on avait racontées sur sa blessure étrange, sur son âge qui devait prendre le dessus cette saison, toutes ces choses que l’on dit sans réfléchir dans les colonnes des journaux, dans les conférences de presse d’avant-match, sur les plateaux de télévision. « Only God can judge me » avait-il fait un jour tatouer sur son flanc gauche. Attention à ceux qui se prennent pour des dieux.
Zlatan, l’Achéen
Zlatan Ibrahimović est le seul héros de Paris comme Achille est le seul héros de la Guerre de Troie. Non pas parce qu’il est le plus fort, mais parce qu’il est le plus en colère. « Chante, Déesse, la colère du Péléide Achille, pernicieuse colère qui valut aux Achéens d’innombrables malheurs, précipita chez Hadès les âmes généreuses d’une foule de héros, et fit de leurs corps la proie des chiens et de tous les oiseaux. » (L’illiade, Homère). Zlatan est le seul Achille de cette équipe parce qu’il est le seul à être en communication directe avec les âmes du public venu le voir. Ibra parle à peine français, a voyagé dans le monde entier, a joué à l’Ajax, la Juve, le Barça, l’Inter, Milan, aurait pu jouer partout ailleurs s’il avait voulu. S’il était venu à Paris pour jouer à demi, sourire sur les photos et puis disparaître peu à peu en filant sa retraite dorée, les Parisiens ne lui en auraient peut-être même jamais voulu. Au contraire, ils auraient été fiers de l’avoir vu avec le maillot bleu et rouge au moins une fois comme Cruijff, Sušić ou Bianchi avant lui. Ils auraient vu quelques restes du talent d’antan, quelques talonnades, quelques buts-massues, ils auraient même trouvé presque dommage qu’il arrête ainsi comme Beckham avant lui. Ils l’auraient bien prolongé pour jouer quelques matchs au Parc et amuser la galerie. À 32 ans, un attaquant avait le droit de s’économiser un peu, d’abandonner la course aux statistiques et de se dédier entièrement au divertissement. Ils auraient oublié de faire les difficiles, ils seraient devenu indulgents.
Mériter le Parc
Mais Zlatan est toujours en colère, comme Paris. C’est-à-dire qu’il a dans son âme quelque chose d’irrémédiablement volcanique. Accroché au destin de cette ville et de ses habitants, Zlatan a attrapé quelque chose de l’âme parisienne pour la mettre dans cette façon de dézoner, de prendre le jeu en main, de protéger la possession s’il le faut, de se battre pour un ballon de but, de réconforter un gardien stéphanois fautif et inconsolable. Dans cette ville qui aime au moins autant se moquer de ce club aux humeurs quinteuses qu’aller au théâtre le dimanche soir, tout le monde sait maintenant qui est le héros dont personne ne rit plus. Arrogante, égocentrique et prétentieuse, Paris a reconnu en Zlatan l’un des siens. On ne brille pas à Paris comme on brille ailleurs. A-t-on jamais vu Safet Sušić rire aux éclats ? Pauleta taper le carton ? Non, à Paris, ce qu’on aime, ce sont ces hommes qui n’en finissent pas de se révolter contre le sort, contre les autres. Pauleta le raconta un jour : « Il faut beaucoup de caractère pour jouer au PSG, pour jouer au Parc (…). Il faut être plus fort que le Parc, ne jamais baisser la tête, être à la hauteur de l’endroit et des gens qui te regardent (…). Tu dois mériter le Parc. » Alors, hier soir, quand il venait de marquer son troisième but, Laurent Blanc décida de mettre son héros au repos et de lui offrir une ovation générale. Zlatan, en regagnant le banc, ne jeta pas un seul regard au Parc. Et Paris adora cela.
Par Thibaud Leplat