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La Chute
Toucher le fond est parfois la meilleure façon de mieux rebondir par la suite. Ou pas. La trajectoire pathétique de Monaco et d’Arles-Avignon, englués dans les bas-fonds de la Ligue 2, en est la peu reluisante illustration. Ce soir, les deux cadors du bas de tableau s’affrontent dans un « choc » qui ne promet pas une ambiance surchauffée. Dans ce contexte morose, les supporters, décidés à maintenir un semblant de vie dans des tribunes pas réputées pour leur aspect déjanté, ne sont pas légion. Masochisme ou amour aveugle, en attendant que la situation s’améliore ? Retour sur de longs mois de souffrance et paroles de supporters qui savent ce que le mot crise signifie.
Cette année, le père Noël est arrivé avec quelques semaines de retard à Monaco. Dmitry Rybolovlev, puisque c’est de lui que l’on parle, a un temps délaissé ses froides contrées moscovites pour prendre les rênes du club rouge et blanc, début janvier. Sans oublier d’apporter quelques biftongues dans sa hotte. De quoi s’offrir quelques cadeaux : le Marocain Nabil Dirar, deux internationaux grecs, un Hongrois… En tout, presque une dizaine de joueurs pour une vingtaine de millions d’euros. Pas mal, pour un cancre de Ligue 2. « Un recrutement prometteur » , résume Romain Fantino, le président des Bulls de Monaco, un groupe de supporters qui anime la tribune Pesage lors des matchs à Louis II. « Vu la merde dans laquelle on était à cause des anciens présidents, y avait que ça pour nous sortir d’affaire : que ce soit un milliardaire qui reprenne le club » , estime-t-il. Avant de nuancer son jugement : « Le côté négatif c’est qu’on perd notre identité et qu’on rentre dans un football business. On a les Russes, à Paris il y a les Qataris, dans quelques années, Lyon et Marseille ça va être pareil. Ce sera à celui qui aura le plus d’argent » .
Nassim Lababedi, président des Ultra Monaco 94, ne dit pas autre chose à l’heure de commenter l’arrivée du Russe aux commandes : « C’était pas la joie au départ. Monaco c’était notre club familial. On avait bâti le club avec la réussite de la principauté. Mais aujourd’hui, c’était soit disparaître, soit faire venir quelqu’un de l’extérieur. Et puis, même si c’est vrai qu’on se demande comment certains ont fait fortune en Russie, pour M. Rybolovlev il n’y a rien de bizarre autour de sa fortune. C’est quelqu’un qui habitait déjà entre Monaco, Genève et Moscou… » . Aujourd’hui, Nassim, 30 ans, spécialisé dans le développement de centres commerciaux et souvent en mission à l’étranger, s’est fait une raison. Il se réjouit de la « nouvelle poigne » d’Evgueni Smolentsev, le directeur sportif, même s’il reconnaît qu’ « une partie du staff ne veut pas trop le dire, mais ils sont un peu inquiets, on a entendu parler de ‘méthode KGB’ » .
Victor Ikpeba, les tongs et un coursier
Si les supporters monégasques sont prêts à accueillir M. Rybolovlev sans trop se poser de questions, l’explication est assez simple : depuis quelques années, le football à Monaco est en chute libre. Un changement ne peut donc pas faire de mal. Effet russe ou pas, depuis la fin 2011 et jusqu’à cette semaine, l’ASM avait d’ailleurs récolté quelques résultats pas dégueus – deux victoires et trois nuls. Mais la défaite contre Bastia, lundi, a enrayé l’embellie. Pas de quoi faire rêver des supporters qui voient leur club se battre pour se maintenir en L2. Nassim se livre à un petit flashback : « On m’a emmené au stade quand j’avais 4 ou 5 ans. C’était encore le grand Monaco. On a été très gâtés, on ne se rendait pas compte de la chance qu’on avait. Je me rappelle qu’à l’époque, Victor Ikpeba, à la fin des matchs à domicile, quand il voyait des jeunes supporters attendre près du stade le bus pour revenir en centre-ville, il en prenait certains dans sa voiture » .
Après les années dorées, le calvaire en Ligue 1, descente à la clé, a été mal vécu. « La saison dernière, je parlais souvent à Stéphane Ruffier et Sébastien Puygrenier : ils ne croyaient pas qu’on allait descendre » , se souvient Nassim. Qui souligne au passage un état d’esprit pas vraiment irréprochable : « On avait des joueurs qui sortaient et se mettaient des mines deux jours avant les matchs. Tenez, je vais vous raconter une anecdote : l’année dernière, un joueur a refusé de s’entraîner parce qu’il n’avait pas ses tongs pour aller à la douche. Des jeunes du club lui ont proposé les leurs, mais il refusait… Le club a dû envoyer un coursier pour aller les lui chercher » . Romain Fantino a aussi eu du mal à digérer la saison 2010-2011, dénonçant « un club géré comme de la merde depuis 10 ans » . « Rien n’a été fait pour garder les supporters » , balance-t-il. En reconnaissant que la mission, dès le départ, était difficile : « Dans les moments difficiles, les gens ne sont pas là. Monaco, c’est 32 000 habitants sur 2km2, le stade fait 18 000 places, on a la montagne derrière, la mer devant, l’Italie à gauche, Nice à droite, où c’est qu’on va chercher du monde ? » .
Du coup, dans les tribunes de Louis II, difficile de trouver les supporters au milieu des places vides. Depuis le début de saison, ils sont en moyenne 4 345 par match. Deux fois moins que la saison dernière, et la troisième pire moyenne de Ligue 2. Sur le terrain comme en tribunes, l’ASM figure parmi les relégables. Juste 3 points derrière leurs hôtes du soir. Mais niveau affluence, Arles-Avignon fait encore mieux – ou pire -, avec seulement 2 507 spectateurs en moyenne au Parc des sports. Cédric, président des Barankaire, un groupe de supporters avignonnais créé en 2009, l’avoue, gueuler pour l’ACAA tient parfois du sacerdoce : « On essaie de chanter pendant les matchs. Après, quand la rencontre est catastrophique, c’est difficile… » . Aujourd’hui, les Barankaire ne sont plus qu’une vingtaine. Des survivants. « En passant de la L1 à la L2, on a perdu beaucoup de membres. Ceux qu’on a gardés, c’est les fidèles » . Pire : ils sont le seul véritable kop de supporters au Parc des sports.
Division d’honneur et Laurent Paganelli
Frédéric Huertas, président de Suportaire Arlaten, revient sur la saison peu glorieuse en Ligue 1 : « On savait que ça allait être compliqué. C’était un autre monde. Mais les résultats, c’est pas ce qui nous a embêtés. Nous, on est contre cette direction qui vire un entraîneur au bout de trois-quatre matchs et qui recrute 17 joueurs au mercato » . Avec ses potes, cette saison, il a déserté le parc des Sports pour aller encourager l’équipe… B, qui évolue en division d’honneur, au stade Fournier d’Arles, « le stade historique où l’on a connu nos montées de CFA2 en Ligue 2 » . « Les trois quarts des supporters arlésiens ne se reconnaissent plus dans l’ACA,estime Frédéric. On n’a rien contre le président, mais il est mal entouré. Laurent Paganelli, je crois qu’il est conseiller, mais on ne sait pas trop à quoi il sert… » .
Pas question pour autant de comparer les malheurs arlésiens et monégasques : « Avec Monaco, on est arrivé dans le même monde un peu par hasard. Mais l’ASM, ce qui leur arrive, c’est plus grave, c’est un club historique » , reconnaît Frédéric, beau perdant. S’ils n’ont pas la même histoire, Arles-Avignon et Monaco partagent le même combat pour le maintien. Ce soir, la très galvaudée expression du « match à six points » aura rarement paru aussi adéquate. Surtout pour les Monégasques. Histoire d’éviter l’humiliation d’un derby contre Fréjus-Saint-Raphaël la saison prochaine. Mais tout autant que les résultats, les supporters semblent réclamer le retour d’un état d’esprit perdu au fil des crises successives. En attendant d’éventuels changements de direction, Frédéric, à Arles, estime avoir retrouvé « l’âme » du club de ses débuts au stade Fournier. Comme un symbole, Nassim, côté monégasque, souligne : « On a eu 50% d’abonnés en plus quand les gens ont su que Ludovic Giuly revenait jouer au club » . Au fait, Dado Prso, il continue de s’entraîner quelque part, au cas où ?
Par Yann Bouchez