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  • 30 ans de la chute du Mur de Berlin

« La chute du Mur, je l’ai vécue avec mes jeunes du centre de formation de Bordeaux »

Propos recueillis par Douglas de Graaf, avec Julien Duez
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Le 9 novembre 1989, le mur de Berlin chutait, bouleversant la vie de millions d'Allemands de l'Ouest comme de l'Est. Originaire de Mannheim en ex-RFA, l'actuel sélectionneur du Nigeria Gernot Rohr se trouvait pourtant à Bordeaux (431 matchs joués pour les Girondins entre 1977 et 1989) à ce moment-là. Quant à l'ancien latéral de Saint-Étienne Patrick Guillou, né en Allemagne et aujourd'hui consultant Bundesliga sur beIN Sports, c'est à Fribourg qu'il vivait 30 ans auparavant. Les deux hommes racontent comment ils ont vécu, à leur façon, ce grand moment d'histoire.

Le 9 novembre 1989, au moment de la chute du Mur, vous étiez…

Gernot Rohr : … directeur du centre de formation des Girondins. Je me rappellerai toujours, dans mon appartement du centre de Bordeaux, j’avais suivi les événements en direct. Je suivais aussi les marches du lundi soir à Leipzig (manifestations organisées en ex-Allemagne de l’Est pour protester contre la politique du gouvernement de RDA, N.D.L.R). J’ai aussi vécu la chute du Mur par téléphone, avec ma famille et mes amis de l’Est. C’est presque comme si j’y avais été !

Patrick Guillou : … joueur semi-pro de 17 ans à Fribourg (ville d’ex-Allemagne de l’Ouest située près de la frontière française, N.D.L.R).

Les barrières étaient encore fermées, les gens se sont mis à saccager le Mur, une manière aussi de s’approprier symboliquement un pan du Mur.

Je vivais encore chez mes parents et j’avais suivi ça en direct avec ma mère à la télévision. Je me rappelle avoir vu ce responsable médiatique à qui on a demandé « À partir de quand les frontières vont s’ouvrir ?« , et qui a répondu grosso modo « À partir de tout de suite. » Dès que cette phrase est sortie, c’est allé très très vite. Je me rappelle voir ces gens se ruer sur les postes frontaliers avec l’Allemagne de l’Ouest, sur la porte de Brandebourg (partie intégrante du Mur et symbole de la division de la ville, N.D.L.R). Et là, les gardes ne savaient plus s’il fallait tirer ou non. L’afflux de gens qui est arrivé en même temps était incroyable. Les barrières étaient encore fermées, les gens se sont mis à saccager le Mur, une manière aussi de s’approprier symboliquement un pan du Mur.

Comment ressent-on ces événements en tant qu’Allemand vivant en France et en tant que Français vivant en Allemagne ?

Gernot Rohr : J’aurais voulu y être, mais mon travail ne m’a pas permis de partir. De plus, mon fils Emmanuel n’avait que 3 ans à l’époque. J’ai donc vécu ça avec mes jeunes du centre de formation. À Noël, j’ai décidé de venir fêter ça en Allemagne, pour célébrer l’événement dans l’Allemagne réunifiée. Avant cela, je venais régulièrement rendre visite à ma famille à Mannheim. Quand le Mur est tombé, j’étais très heureux, car j’ai vécu cette idée de l’Allemagne divisée comme tout le monde : comme une immense injustice. Néanmoins, je n’ai pas eu envie de quitter Bordeaux après la chute du Mur parce que j’étais bien ici. Je vivais en France depuis 13 ans, c’était devenu mon pays, celui que j’avais choisi.

Patrick Guillou : Mon père était un militaire français qui faisait partie des troupes françaises envoyées en Allemagne à la suite du traité de Yalta (1945). Ma mère était originaire de Bavière. J’ai toujours eu ces deux cultures, mais j’ai vécu la chute du Mur comme un Allemand : j’ai toujours connu cette Allemagne séparée, cette vision de l’Est qu’on avait à l’Ouest – celle d’une dictature, de communistes, de personnes qui n’avaient pas grand-chose… Et soudainement, nous devenions un peuple avec ces gens. On assistait à un vrai moment d’histoire en direct. L’Allemagne divisée est redevenue ein Volk, un peuple unifié. Soudainement, des gens aliénés se sont mis à retrouver la liberté, des familles déchirées pouvaient se retrouver. On ne peut pas s’imaginer ce que ça représente quand on n’a pas été à Berlin.

Footballistiquement, comment se sont déroulés les semaines et les mois qui ont suivi la chute du Mur pour vous ? Comment s’est faite la fusion entre les ex-championnats de RDA et de RFA, le mélange entre joueurs d’ex-RDA et d’ex-RFA ?

Il a été question que la RDA puisse encore avoir des qualifiés en Coupe d’Europe, malgré la réunification.

Gernot Rohr : On n’a pas beaucoup parlé de cet événement dans le football français, ça restait allemand. Mais au centre de formation, on a parfois eu des échanges là-dessus, avec des joueurs qui me demandaient ce que j’en pensais. Au niveau du football allemand, il a été question que la RDA puisse encore avoir des qualifiés en Coupe d’Europe, malgré la réunification, puisque le championnat n’était pas fini et, effectivement, il y a eu une année de transition. Avec Bordeaux, l’année qui a suivi, on a ainsi joué un match de Coupe d’Europe des vainqueurs de coupes contre Magdebourg (1-0, 1-0), un club d’ex-RDA.

Patrick Guillou : Il faut bien comprendre que le football était devenu secondaire, tant ce qu’on venait de vivre bouleversait le présent de l’Allemagne. L’intégration des clubs d’ex-RDA à la Bundesliga s’est faite progressivement, mais laborieusement (due à la différence de niveau entre les formations de Bundesliga en ex-RFA et les anciens clubs d’Oberliga en ex-RDA, N.D.L.R). Le Dynamo Dresde et le Hansa Rostock ont été les premiers à rejoindre la Bundesliga (lors de la saison 1991-1992, N.D.L.R). De mon côté, j’ai rejoint le VfL Bochum en 1990. Trois joueurs d’ex-RDA ont débarqué dans l’effectif, dont Rocco Milde et Jörg Schwanke (entraîneur des jeunes du Hertha Berlin de 2011 à 2017, N.D.L.R). On pouvait voir tout de suite qu’ils étaient différents. Là où les joueurs de l’Ouest parlaient plus, eux étaient davantage renfermés, plutôt dans l’observation. Au niveau du comportement, c’était un peu tous les mêmes joueurs.

Qu’est-ce que cet événement a changé dans votre vie personnelle ?

Gernot Rohr : J’ai eu la chance de revoir mes amis d’ex-Allemagne de l’Est, dont Wolfgang Altmann (ancien milieu du 1. FC Lokomotive Leipzig, N.D.L.R). Quand il est venu me rendre visite pour la première fois après la chute du Mur, il a apporté avec lui deux voitures Trabant (la mythique voiture symbole de la RDA, N.D.L.R). J’en ai offert une au président Claude Bès. Il adorait ces petites voitures originales, qui faisaient beaucoup de fumée, et qui ont toutes débarqué à l’Ouest après la chute du Mur. L’autre petite voiture, je l’ai toujours chez moi. Dans le coffre de celle-ci se trouve un drapeau frappé du marteau et de la faucille (symboles du communisme, N.D.L.R). Je vais le dépoussiérer et le ressortir pour le trentième anniversaire.

Patrick Guillou : Ça n’a pas changé grand-chose pour moi non plus, mais pour ma mère, oui. Elle a pu retrouver sa famille de l’autre côté du Mur, en Bavière. Imaginez avoir grandi dans une région sur laquelle se dresse soudain un mur pour que vous ne puissiez plus y accéder. Imaginez 40 ans plus tard pouvoir y retourner.

Quels souvenirs gardez-vous du football ouest et est-allemand à l’époque ? Et quel regard portez-vous sur l’évolution du football allemand après la réunification, notamment en ex-RDA ?

Franz Beckenbauer affirmait d’ailleurs à l’époque que l’Allemagne allait devenir pendant longtemps l’équipe n°1 du football mondial. Il a peut-être été un peu vite.

Gernot Rohr : Les matchs contre les équipes d’ex-RDA étaient toujours particuliers pour moi. C’étaient des équipes très tactiques, bien en place. Après la chute du Mur, le football allemand devait être plus fort puisque les meilleurs joueurs des deux côtés pouvaient se réunir au sein de l’équipe nationale. Franz Beckenbauer affirmait d’ailleurs à l’époque que l’Allemagne allait devenir pendant longtemps l’équipe n°1 du football mondial. Il a peut-être été un peu vite : les Allemands se sont mis à moins travailler qu’avant. Les années 1990 sont devenues une petite crise jusqu’en 1996 et l’arrivée de Jürgen Klinsmann, qui a instauré un football plus moderne (abandon du marquage individuel pour la zone notamment).

Patrick Guillou : Économiquement, les clubs d’ex-RDA ont eu des difficultés économiques à se pérenniser en Bundesliga. C’est normal, vu le système qui était en place (la majorité des clubs étaient des entités financées par l’État, N.D.L.R). En RFA, on se concentrait énormément sur le talent du joueur, alors qu’en RDA, le football revêtait un caractère quasi militaire. Les joueurs de l’Est étaient très tactiques, disciplinés, cliniques. Il ne fallait pas sortir du cadre.

Comment allez-vous vivre le 30e anniversaire de la chute du Mur ? Et le football allemand, comment va-t-il commémorer l’événement ?

Gernot Rohr : Je vais fêter l’anniversaire chez moi au Nigeria. Hier, en effet, c’était jour de match pour moi au Caire : les U23 nigérians affrontaient la Côte d’Ivoire en poules de la CAN U23, et j’étais avec eux pour les accompagner. Je suis aujourd’hui rentré au Nigeria pour nos matchs d’éliminatoires de la CAN 2021 face au Bénin (le 13 novembre) et contre le Lesotho (le 17 novembre).

Politiquement, il y avait moyen de faire un truc sympa avec la rencontre de Bundesliga entre le Hertha Berlin (ex-Berlin-Ouest) et l’Union Berlin (ex-Berlin-Est), qui devait avoir lieu aujourd’hui. Mais le match a été avancé à la semaine dernière.

Patrick Guillou : Je commenterai la Bundesliga aujourd’hui, et notamment le choc Bayern-Borussia Dortmund. Politiquement, il y avait moyen de faire un truc sympa avec la rencontre de Bundesliga entre le Hertha Berlin (ex-Berlin-Ouest) et l’Union Berlin (ex-Berlin-Est), qui devait avoir lieu aujourd’hui. Mais le match a été avancé à la semaine dernière (victoire finale du Hertha 1-0). Les dirigeants de l’Union Berlin n’ont pas voulu que ça se fasse ce jour-là pour éviter que ça outrepasse la commémoration des 30 ans. Ce match, je l’ai vécu, et on sent qu’on reste toujours dans une identité Allemagne de l’Ouest contre Allemagne de l’Est, due à l’histoire des deux clubs. Ça a été chaud d’ailleurs (le match a été interrompu plus de six minutes après le début d’une déferlante de fumigènes, faisant trois blessés, N.D.L.R). À la suite de l’avancée du match, la Ligue allemande a vite réagi et l’a remplacé par un Hertha Berlin-Leipzig. Les billets seront à 8,50€ parce qu’il y a 30 ans, la place de match était à ce tarif-là. Une belle volonté de commémorer, mais qui passe assez mal chez les clubs d’ex-RDA, qui ne considèrent pas le RB comme un des leurs parce qu’il a été repris par un investisseur étranger (Red Bull).

Dans cet article :
Guirassy délivre Dortmund et fait enfin tomber Leipzig
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9 novembre 1989 - Il y a 30 ans, la chute du Mur de Berlin
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