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La Chine a-t-elle mis fin à la corruption dans son football ?
Autrefois sanctuaire folklorique pour joueurs sur la fin, la Chine a frappé un grand coup au mercato hivernal en investissant près de 357 millions d'euros. En attirant Jackson Martínez, Gervinho, Ramires, M'Bia ou encore Guarín, la Chinese Super League espère en finir avec sa vieille réputation de championnat truqué. Si Xi Jinping et son gouvernement peuvent se targuer d'avoir grandement affaibli la corruption, des doutes demeurent sur la chasteté du football chinois.
Voilà six ans que l’État multiplie les coups de filet dans ses plus grandes instances. Au début de l’année 2012, la justice bande les muscles et orchestre l’arrestation d’une cinquantaine de personnes parmi lesquelles figurent des joueurs, des arbitres et des responsables. L’immense majorité passe rapidement aux aveux sous la torture dénoncée par les avocats de la défense. C’est le cas de Xie Yalong, ex-président de la ligue nationale, qui avoue avoir touché 1,7 million de yuans de pots-de-vin, soit 213 000 d’euros, selon la presse locale. Verdict : dix ans et demi de prison. Même sentence pour Nan Yong, son successeur qui ne traîne pas moins de dix-sept chefs d’accusation pour corruption. Autre poids lourd du banc des accusés, le fameux arbitre Lu Jun, aka le « sifflet d’or » et ses 128 000 dollars de gain pour sa flopée de matchs truqués. Secrétaire général du parti, Xi Jinping, alors grand favori pour reprendre la présidence du pays, affiche sa volonté de s’en prendre « aux mouches comme aux tigres » . Soit, aussi bien aux cadeaux entre hauts fonctionnaires qu’aux vices de bas étage. Mais le futur président, accessoirement fan de football, compte aller au-delà et s’en prendre frontalement à la corruption de son football.
Joueurs transférés pour se coucher
Quatre ans plus tard, si sa politique anti-corruption tient toutes ses promesses, les doutes persistent autour du football chinois. « La loi anti-corruption a fortement fait dégringoler l’économie chinoise. Avant, on pouvait acheter n’importe qui avec un beau cadeau. Aujourd’hui, la loi anti-corruption est si répressive qu’elle semble porter ses fruits, mais tout n’est pas réglé » , avoue Jean-Louis Rocca, sociologue spécialiste de la Chine. Sous couvert d’anonymat, un entraîneur français exilé depuis des années en Chine affirme que la corruption « est toujours d’actualité parmi les petites équipes de Chinese Super League et surtout en seconde division » . Sinophone, en poste en D1, puis dans les divisions inférieures, l’homme a pas mal bourlingué dans la Chine profonde : « À chaque intersaison, des équipes achètent des joueurs qui seront susceptibles de se coucher » , révèle-t-il. « Ils sont ciblés. On les choisit via leur situation familiale, via l’influence de leurs agents. C’est assez tabou en Chine, mais dans les petites équipes de première division et en seconde division, c’est fréquent. Surtout en fin de saison. Ça touche les joueurs, les arbitres, mais les entraîneurs sont approchés également. En Chine, le football, c’est pas la passion, c’est du business. Regarde par exemple, l’État a rendu la pratique du foot obligatoire dans les écoles. Ces écoles sous-traitent à des clubs sportifs privés. Eh bien du jour au lendemain, plein de gens ont senti le business et se sont mis à s’improviser entraîneurs. » Philippe Troussier, entraîneur du Shenzhen Ruby de 2011 à 2013 et du Hangzhou Greentown de 2014 à 2015, confirme : « Quand on m’a parlé de ce phénomène, je ne pouvais le croire. Mais à y regarder de plus près, c’est possible. Mais après, quand on sait ça, entraîner en Chine, c’est dur, car on y repense tout le temps. On en vient à se dire : « Est-ce que celui-là, sur ce tacle-là, il n’a pas fait exprès de louper la balle… ? » Puis t’es pas aidé par tes joueurs qui commentent les matchs des rivaux en prétendant qu’untel s’est couché… »
« Matchs injouables »
Dans les petites équipes de première division et à tous les étages inférieurs, un joueur chinois lambda ne gagne pas suffisamment pour s’émanciper et gagner sa vie. Il est donc une proie facile à toute proposition d’extra. Benjamin Gavanon a joué deux saisons en Chinese League One (D2). De sa cinquantaine de matchs joués au Shenzhen Ruby, l’ancien Marseillais ne garde pas un grand souvenir. « Tu veux que je te raconte mon dernier jour en Chine ? J’ai joué mon dernier match de la saison en fin d’après-midi. Le soir, j’étais dans l’avion avec toutes mes valises. Je voulais rentrer. » Durant ses deux printemps passés en terre du milieu, il aurait été approché par des locaux pour courber l’échine selon une source voulant rester anonyme. L’ancien milieu défensif dément : « Je ne comprends pas pourquoi on a pu dire que j’ai été approché. Mais ce qui est certain, c’est que j’ai entendu parler de ça. Comme tout le monde, mais à aucun moment, quelqu’un n’est venu me voir… Ce sont des on-dit, mais après c’est une réalité. » Les enveloppes circuleraient principalement en fin de saison. Elles concerneraient les clubs mal classés, susceptibles de descendre, et les clubs un poil justes pour monter à l’échelon supérieur. Les cibles ? Les joueurs et dirigeants du ventre mou. « La fin de saison en Chine est réputée pour être prise de tête. Y a des résultats totalement illogiques, des comportements de joueurs incompréhensibles… Nous, à la fin, on perdait contre des équipes d’habitude très faibles. Après, c’est jamais illogique de perdre dans le football, mais pas s’incliner contre le dernier 7-1… Je me souviens de matchs injouables où les arbitres sifflaient des fautes qui sortaient de l’ordinaire. Des penalty donnés pour des fautes commises à trois mètres de la surface, des cartons rouges sur des duels aériens anodins. Le tout, avec quelques coéquipiers particulièrement mauvais… Une fois, on a su… Parce qu’il y avait un coéquipier chinois anglophone qui disait qu’il avait été approché via son agent qui avait des parts dans un club mal classé qu’on allait rencontrer et que ça l’arrangeait qu’on perde. Ce jour-là, ce joueur a fait en sorte de ralentir le jeu de l’équipe en faisant des passes verticales. » Pas rancunier, Benjamin Gavanon ne leur en veut pas : « Ça leur permet d’arrondir leur fin de mois. » Pas de doute qu’en République populaire de Chine la « mouche » reste plus redoutable que le « tigre » .
Par Quentin Müller