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Quand j'étais joueur : Pascal Gastien, le parcours du combattant
Quel joueur se cache derrière l'entraîneur ? Dans une nouvelle série de portraits, on vous présente Pascal Gastien, coach de Clermont, infatigable milieu au parcours jalonné d'épreuves.
C’est avec lui que Clermont est, pour la première fois de son histoire, monté en Ligue 1 en 2021. C’est encore avec lui qu’il s’y est maintenu, un an plus tard. Et c’est toujours avec lui qu’il a bouclé la phase aller de l’exercice 2022-2023 à la huitième place du classement, malgré des moyens financiers limités (avant-dernier budget de l’élite). Oui, la période faste vécue par le CF63 est à mettre en grande partie au crédit de Pascal Gastien. Un personnage plutôt discret, que les suiveurs et observateurs du championnat de France ont toutefois appris à connaître au gré des performances du club auvergnat. Prompt à s’enflammer sur son banc, le technicien de 59 ans déroule un fil passionnant dès qu’il est question de la manière de jouer de son équipe, de sa philosophie. En revanche, lorsqu’on lui demande le type de joueur qu’il était autrefois, sa réponse est précédée d’un long silence. « Je pense que j’étais un bon joueur d’équipe, finit-il par concéder. Je courais beaucoup. Pas trop dans le vide, j’espère. Mais dans le jeu, il n’y avait rien d’extraordinaire. » Ses anciens coéquipiers, de Niort à Châteauroux en passant par Marseille, sont heureusement plus bavards. Tous louent les inestimables qualités d’un « guerrier », d’un « marathonien », d’un leader réputé pour son exemplarité et sa combativité.
La paralysie avant l’épopée
« Combativité », c’est le mot juste. À plus d’un titre. Déjà parce que sa carrière, débutée à l’orée des années 1980, a bien failli être tuée dans l’œuf. À 17 ans et demi, Pascal vient d’être lancé dans le grand bain professionnel par Guy Latapie à Angoulême, en D2. Un beau matin, cependant, il n’arrive plus à se lever. Littéralement. « J’étais complètement paralysé, rembobine-t-il. Je suis resté bloqué comme ça, dans mon lit, chez mes parents, en ne sachant pas ce que j’allais devenir. Tout le monde pensait que ma carrière était terminée. Ça a duré cinq mois, et puis, miracle : j’ai remarché. » Au bout de cette interminable et insupportable période d’alitement (sans doute due à une saloperie de staphylocoque dans la symphyse pubienne), le jeune homme ne pèse plus qu’une cinquantaine de kilos et repart de zéro. Pour remonter la pente, il file à Niort, où son pote Éric Guérit – notamment passé par Monaco et Bordeaux par la suite – l’aide à trouver un job et à intégrer le club local, alors en D4. Chez les Chamois, Gastien se refait une santé. Il vit une « aventure humaine extraordinaire », surtout.
Emmené par l’ambition de son entraîneur, Patrick Parizon, le club des Deux-Sèvres s’extirpe des divisions amateurs et vient toquer à la porte de la D1, qu’il finit par franchir pour la première fois de son histoire en 1987. Cette montée est acquise au terme d’une saison que le natif de Rochefort considère comme étant la meilleure de sa carrière, tant collectivement qu’individuellement. Il faut dire que les performances de l’infatigable milieu défensif sont tout sauf neutres. « J’arrivais de Brest et je ne le connaissais pas, avoue Éric Hély. C’était une très grande surprise de découvrir un tel joueur, qui avait un très bon niveau pour la deuxième division. Dans l’engagement physique, il ne donnait pas sa part au chien. Tu pouvais aller à la guerre avec lui. » Pourtant, à l’instar de certains de ses coéquipiers, Gastien continue de travailler en parallèle de sa carrière sur le pré, en l’occurrence pour le service comptabilité-gestion d’une société d’assistance des mutuelles. « Je me débrouillais, j’avais des horaires aménagés, donc je rattrapais les heures le soir, après l’entraînement. J’avais vingt ans, tout allait bien », sourit l’actuel coach clermontois. Celui qui est rapidement devenu capitaine, un statut qu’il assume volontiers – « j’étais assez réservé, mais les responsabilités ne me faisaient pas peur » – est donc l’un des piliers de cette bande de potes qui, dans le sillage d’un certain Abedi Pelé, finit solide leader de son groupe en D2. « Pascal faisait l’unanimité auprès de tout le monde, des plus vieux comme des plus jeunes, des joueurs locaux comme de ceux qui venaient d’arriver. Il était très bienveillant, mais ce n’était pas un béni oui-oui. Quand quelque chose ne lui plaisait pas, il savait le faire comprendre », précise Éric Hély.
L’appel du Boss et « Monsieur trois poumons »
Après une entame de saison prometteuse en D1, Niort glisse inexorablement vers le fond du classement et finira par retomber à l’étage inférieur. Sans Pascal Gastien, devenu entre temps papa de Johan. Il a en effet tapé dans l’œil des dirigeants de l’Olympique de Marseille, qu’il veut absolument affronter au Vélodrome, le 6 mai 1988, malgré un état fiévreux très avancé. Au début de la seconde période, c’est le drame : le numéro 6 deux-sévrien se casse la jambe. Fracture du péroné, ligaments arrachés. Rêve olympien envolé ? Pas vraiment. « Le lendemain, à l’hôpital, je reçois un coup de fil de Bernard Tapie, qui me dit : “On voulait que vous veniez. Quoi qu’il arrive, vous jouerez chez nous l’an prochain” », relate le joueur des Chamois, qui est donc encore convalescent lorsqu’il débarque en prêt à l’OM, quittant pour la première fois son Poitou-Charentes natal pour se retrouver dans un vestiaire constellé de stars, entre Jean-Pierre Papin et Philippe Vercruysse, Franck Sauzée et Klaus Allofs. Le contraste est saisissant. « À Niort, on jouait à la pétanque tous les jours après l’entraînement, alors qu’à Marseille, on n’était pas spécialement copains, on ne se voyait quasiment jamais en dehors des terrains, compare Gastien. Mais le jour du match, on était tous incroyablement soudés pour faire un résultat ensemble. J’ai trouvé ça extraordinaire. L’ambition que ces mecs pouvaient avoir, leur envie irrépressible de continuer à gagner des titres, c’est vraiment ce qui m’a le plus marqué. J’en parle de temps en temps à mes joueurs, en leur disant qu’il n’y a pas besoin de s’embrasser sur la bouche le matin pour être performants collectivement le week-end. »
Sur le flanc pendant toute la première partie de saison, le néo-Marseillais marque les esprits de ses coéquipiers à l’occasion d’un stage organisé pendant la trêve hivernale. « On a fait du cardio avec un préparateur venu de Merano, et Pascal nous a tous mis minable, rejoue Gaëtan Huard. Quand on terminait un test Cooper, lui, il en avait déjà bouclé deux ! On l’appelait “Monsieur trois poumons”. » « On devait aussi courir derrière un vélo qui émettait un “bip” régulier, complète Frédéric Meyrieu. Au début, tout le monde suivait le rythme, puis on explosait quand ça devenait trop rapide pour nous. Je me rappelle qu’à la fin, Pascal était le seul à continuer de courir, alors même que le vélo avait arrêté de biper ! Je n’avais jamais vu ça de ma vie. » Si le Charentais relativise la portée de cette anecdote en évoquant dans un sourire « l’exagération marseillaise », il n’en demeure pas moins que sa capacité bluffante à répéter les efforts à haute intensité est un atout précieux dans le collectif phocéen. Et c’est loin d’être le seul. « Il était monstrueux physiquement, mais c’était aussi un garçon juste, intelligent, qui ne se jetait pas et arrivait à faire monter le bloc. Il était talentueux, sans se prendre pour un autre. Il récupérait et donnait aux techniciens, qui avaient plus de ballon et faisaient la différence », décrypte Huard. « C’était un vrai relayeur. Il était frêle, mais sec. Quand il fallait gagner un duel, il le gagnait », abonde Meyrieu, avant d’ajouter : « Il tenait la route tactiquement, c’était l’un des relais du coach sur le terrain, même s’il était discret. Ce n’était pas un aboyeur, mais il savait conseiller, discuter au moindre arrêt de jeu, replacer. » Malgré une concurrence féroce dans l’entrejeu, Gastien est fréquemment aligné par Gérard Gili lors d’une phase retour ponctuée d’un doublé coupe-championnat, le deuxième de l’histoire de l’OM.
Pascal, le grand frère
Très apprécié par Bernard Tapie, qui le soutient moralement pendant sa convalescence et voit en lui « un ratisseur qui fait le boulot au milieu, car sans ça, tu ne gagnes pas » (dixit Huard), le joueur de 25 ans n’est toutefois pas conservé par les champions de France. Après quelques mois à Niort, il file à Nice, qui lutte pour sa survie en D1 et fait surtout face à d’importants problèmes financiers, synonymes de relégation administrative en 1991. « Ce n’était clairement pas le meilleur moment de ma carrière, souffle l’ex-Phocéen. On nous annonçait l’arrivée d’un nouveau repreneur tous les jours, mais il n’y avait rien ! Avec René Marsiglia, on a même dû monter devant la DNCG pour défendre le club. » Le pénible épisode azuréen est néanmoins jalonné d’une rencontre avec Carlos Bianchi, qui marque durablement le futur coach. « C’était un très bon entraîneur, insiste Gastien. Il m’a beaucoup inspiré, surtout dans son management. Plus tard, dans le cadre de mon diplôme, je suis allé en stage chez lui, à Boca Juniors. Il m’a ouvert toutes les portes pendant une semaine. » En 1993, le milieu d’1,70 m approche de la trentaine lorsqu’il atterrit à Châteauroux – qui vient de tomber en National – pour se relancer. « Pascal, c’était un peu notre tonton, décrit Jimmy Algerino. Il avait connu le très haut niveau, la D1. Nous, les jeunes, on était un peu foufous, on cherchait à percer dans ce milieu. On avait parfois tendance à s’enflammer, mais il nous aidait à remettre les choses à plat, à nous gérer dans les temps faibles. » Fort de son expérience, le grand frère castelroussin incite ses jeunes camarades à adhérer à l’UNFP, histoire d’être « assurés en cas de coup dur ». Il les accompagne aussi parfois en soirée, par exemple pour fêter la remontée en D2, se fait parfois chambrer pour son style vestimentaire en décalage avec les tendances du moment. La Berri obtient même son billet pour l’élite en 1997. Mais Pascal, lui, n’est pas prolongé. « J’aurais bien aimé jouer une ou deux années de plus », avoue celui qui, à 33 ans, retourne près de Niort, à l’OL Saint-Liguaire (DH). Où il raccroche ses crampons, et prépare sa reconversion.
Pascal Gastien devient entraîneur. Apparemment, c’était une évidence. « La voie était tracée, sourit-il. J’ai toujours aimé comprendre ce que les entraîneurs demandaient à leurs joueurs. Quand j’étais en voiture et que je passais devant un terrain, je pouvais m’arrêter sur le bas-côté pour suivre le match. J’étais passionné. Et je le suis encore, d’ailleurs. » Parmi ceux qui l’ont croisé sur un terrain, aucun n’a été surpris de le voir prendre une telle trajectoire. « Il avait déjà des idées », souligne Éric Hély. « Il avait la fibre pour ça. C’est un garçon intelligent, qui retient tout ce qui se passe, les choses bonnes comme moins bonnes. Il avait déjà sa vision d’entraîneur », embraye Gaëtan Huard. « Il lisait tout le temps France Football, relève Jimmy Algerino. Pas pour savoir qui avait eu une étoile, mais pour s’informer sur les matchs, les joueurs, la tactique… Je ne le voyais pas ailleurs que dans le foot, mais plutôt dans un rôle similaire à celui de Guy Stéphan avec Didier Deschamps. Autrement dit, quelqu’un qui est un peu en dedans de façade, mais qui ne se démonte pas quand il faut y aller. Quand il est monté en Ligue 1 avec Clermont, j’étais fier pour lui. C’était la concrétisation de son savoir et de ses capacités. » Petit clin d’œil du destin : le technicien s’installe pour la première fois sur un banc professionnel à Niort, en 2009. Là où, 27 ans plus tôt, un jeune homme miraculé avait débarqué, dans l’espoir de véritablement lancer sa carrière balle au pied.
Par Raphaël Brosse
Tous propos recueillis par RB.