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La CAN influence-t-elle le mercato ?
Tous les deux ans, la Coupe d'Afrique des nations privent plusieurs dizaines de clubs européens de joueurs cadres dans une période très chargée. En pleine période de mercato, la CAN pousse-t-elle les dirigeants à sortir le carnet de chèques pour compenser ? Réponse avec un agent et un directeur sportif de Ligue 1.
« D’une manière générale, les mercato d’hiver en années de CAN sont un peu plus larges, mais si on regarde cette année 2015, beaucoup de clubs en France n’ont pas perdu autant de joueurs qu’ils l’imaginaient. Cette année, le marché bouge assez peu à cause de la CAN. » Agent de plusieurs joueurs engagés, Yvan Le Mée ne ressent pas spécialement l’effet Coupe d’Afrique des nations. « Par rapport aux différents joueurs dont je m’occupe et qui sont à la CAN, il n’y a que pour un seul cas sur cinq où le club a recruté un joueur en plus, Châteauroux pour suppléer Obiang… » En dépit des équipes qui se plaignent des saignées dans leurs effectifs, le mercato hivernal n’est donc pas autant impacté par la CAN que la pensée générale le laisse entendre. À en croire Philippe Gaillot, du FC Metz, avec six joueurs retenus, la compétition influe d’ailleurs très peu sur les choix des dirigeants : « Cette année est particulière pour nous puisqu’on a recruté deux joueurs engagés à la CAN cet hiver, et on savait qu’ils iraient. Mais ce sont des dossiers que l’on suivait depuis juin et qui n’ont pu se débloquer que maintenant. On les a pris car il s’agit de deux jeunes joueurs que l’on prend pour le long terme. »
La CAN, rédhibitoire pour les transferts à court terme
Pour le directeur sportif lorrain, la seule influence concerne les besoins sur le court terme, cas dans lequel un club ne recrutera pas un joueur sélectionné parce « début février pour date de retour, cela fait six matchs de passés, c’est trop » . Une théorie à laquelle Yvan Le Mée fait volontiers écho en précisant que « la compétition booste plus le marché des prêts en hiver » . Ce calme relativement plat peut aussi s’expliquer par le travail en coulisses des… agents. Ceux des joueurs susceptibles de voir arriver dans leurs pattes un concurrent. Yvan Le Mée : « Notre boulot, c’est de calmer les dirigeants par rapport à notre client. « Eh les gars, il ne sera absent que trois ou quatre semaines, cela n’a lieu que tous les deux ans… » À quoi cela sert de changer l’équipe pour trois semaines ? » Pour celui qui gère les intérêts de Romain Alessandrini, « les clubs qui bougent aujourd’hui, ce n’est pas tant à cause de la CAN qu’à cause de mauvais résultats » . Et de voir une vertu majeure dans cette compétition hivernale : « Avec les difficultés économiques, la plupart des clubs doivent donner leur chance aux jeunes. » Pour lui, les critiques à l’égard de la CAN sont généralement surfaites car « le plus emmerdant pour les clubs, ce sont les internationaux qui partent sur un autre continent pendant les périodes FIFA, parce que c’est récurrent » .
Quand la CAN influence le mercato estival
Si on cherche une réelle influence de la CAN sur le marché des transferts, ce n’est pas forcément en hiver qu’il faut la chercher, mais plutôt en amont, l’été. Philippe Gaillot : « Dans un mercato d’été, si on a beaucoup de joueurs qui risquent d’être concernés par la CAN, on cherche forcément sur d’autres marchés. » Une situation qu’Yvan Le Mée a vécue amèrement avec l’ancien Lorientais Ecuele Manga, pour qui « certains m’ont dit, « s’il va à la CAN, c’est mort. On veut un patron derrière, s’il s’absente un mois et demi, c’est embêtant, on en prend un autre. » Donc finalement, si tu vas à la CAN, tu es difficilement le premier choix pour un club. » Mais pour le cas du défenseur central gabonais, qui a signé en Championship à Cardiff, l’agent admet aussi que les exigences de son club, 6 millions d’euros, était la première raison du peu d’options disponibles.
Pour Philippe Gaillot cependant, la CAN peut également s’immiscer dans le calendrier des clubs par surprise : « On ne peut pas toujours prévoir, sur nos six joueurs qui vont à la CAN, beaucoup ont été formés chez nous, ce sont des binationaux comme Anthony M’Fa. Il y a aussi des joueurs qu’on a recrutés et qui n’étaient à l’époque pas prévus pour disputer des CAN comme Ahmed Kashi, loin de la sélection algérienne il y a deux ans quand on l’a pris. » Mais comme aucune stratégie mercato n’est gravée dans le marbre, le dirigeant messin admet de bonne grâce avoir pris Maïga et Doucouré « en sachant qu’ils iraient » . Faire avec la CAN, subir sans broncher ses inconvénients, c’est parfois une nécessité pour un club comme Metz, car « des joueurs africains de qualité, il s’agit souvent d’opportunités financières, des joueurs dans notre gamme de prix. Le fait qu’ils aillent à la CAN est un handicap, mais on ne pourrait pas avoir des joueurs de ce niveau-là ailleurs… » La solution idéale ? « Si la CAN avait lieu en juin, il n’y aurait aucun problème pour nous, car ils seraient absents au meilleur moment et seraient plus mis en valeur. »
La CAN, un atout pour valoriser les joueurs ?
La « valorisation » des joueurs concernés, c’est peut-être le principal avantage – non négligeable – du tournoi africain, même si Gaillot n’a que « rarement vu les cotes exploser même si c’est vrai que cela peut améliorer celles de certains joueurs, surtout les jeunes de 21-22 ans… » Pour Yvan Le Mée, c’est cette opportunité de mise en valeur des joueurs qui devrait être considérée par les clubs : « À l’image de Rodríguez au Mondial, la valeur d’un joueur peut monter très vite à cause d’une compétition comme la CAN, surtout que la plupart des gros clubs européens y envoient leurs recruteurs. Beaucoup de joueurs se sont révélés avec la CAN. » Ou sont sortis de la cave car « pour les joueurs qui sont mis de côté dans leur club, c’est une énorme opportunité. » Mais pour l’agent, il reste incontestable que la CAN et sa position dans le calendrier sont une épine dans le pied des joueurs de haut niveau africains : « Imagine qu’un dirigeant doit choisir entre deux joueurs de niveau et prix équivalents. L’un va à la CAN, l’autre non : le choix, il est vite fait, tu prends celui qui n’y va pas. »
Par Nicolas Jucha