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La CAN de la Goutte d’or, du foot pour rassembler
Organisée sur un coup de tête en 2019, pour faire passer le ramadan plus vite, la CAN de la Goutte d'or est devenue l’événement qui fait vibrer le quartier. Nous avons rencontré ses fondateurs.
Après 10 jours d’interruption, officiellement pour intempéries et aussi un peu pour laisser les joueurs et le staff se reposer, la CAN de la Goutte d’or, quartier populaire du nord de Paris, a repris ce mercredi 30 juin au square Léon. Et malgré la météo, toujours incertaine, les supporters du Mali sont venus nombreux pour soutenir leur équipe face à la Tunisie. Pendant que les anciens jouent aux dames de l’autre côté du parc, petits et grands agglutinés autour du terrain hurlent, contestent l’arbitre, insultent certains joueurs, saluent les prouesses de Boubou Bagayoko, l’attaquant malien qui a réussi à mettre cinq buts en trente minutes. Ils font le spectacle, presque autant que les joueurs qui s’en sont donné à cœur joie. Score final : 8-5 pour le Mali. Heureusement, la Tunisie était déjà qualifiée. « Ils m’ont fait plaisir », lâche Mamoudou, l’un des fondateurs de l’événement. Car plus qu’un tournoi de foot, ce que les organisateurs veulent, c’est « du spectacle », raconte le jeune homme de 24 ans qui réfléchit à installer un feu d’artifice pour la finale, qui aura lieu le 10 juillet, à la veille de celle de l’Euro.
Tout est parti d’un « délire ». En mai 2019, pendant un ramadan caniculaire, Mamoudou, Lamine, Rayhan, Aladine et Mohamed veulent faire « passer le temps », « casser la routine ». Ces jeunes, qui ont grandi à la Goutte d’or et passent l’essentiel de leur temps libre à jouer au foot au square Léon, s’imaginent créer un tournoi, une Coupe d’Afrique des nations dans leur quartier. Un peu sur le même modèle que la CAN d’Évry initiée peu de temps avant et à quelques semaines de l’ouverture de la 32e édition de la Coupe d’Afrique des nations qui se déroule cette année-là en Égypte. Cette idée, lancée à la volée en pleine après-midi, leur reste en tête. « On a tous cogité en rentrant chez nous », se souvient Mamoudou. Le soir même, un groupe WhatsApp est lancé, et en quelques heures, les principales équipes sont faites.
« C’est pas le même foot »
Contrairement à la CAN d’Evry qui se joue dans un stade à sept, ici il n’y a pas de débats, le tournoi doit se dérouler au square Léon, lieu de ralliement du quartier. « On voulait absolument le faire au square, on joue ici tous les jours depuis qu’on est petits, explique Mamoudou. C’est le cœur du quartier. » Compte tenu de la taille du terrain, à vue de pied 15×22 mètres, les matchs se jouent à cinq contre cinq, sur du synthétique.
Un choix qui pourrait paraître anodin, mais qui, pour les organisateurs, est fondamental et fait la singularité de leur tournoi : « Il faut être beaucoup plus rapide, physique aussi, car il y a plus d’attaques et de contacts entre les joueurs, on peut jouer avec le mur, c’est pas le même foot.(…)Il faut aussi connaître le terrain, il y a des endroits avec des bosses, des trous. On a fait venir des joueurs pros qui n’arrivaient pas à jouer, car ils n’avaient aucun repère, ils étaient perdus, poursuit Mamoudou. Même en matière d’ambiance, le public n’est pas dans les tribunes, les spectateurs sont collés au terrain juste derrière les grillages, ils sont dans le match. Niveau pression, ça change tout. » La première année, il y avait aussi « la Besbar des jeux » pour faire des paris en ligne, mais les organisateurs n’ont pas voulu réitérer l’expérience, « ça posait trop de problèmes, il y avait des spectateurs qui allaient sur le terrain contester les fautes, on a arrêté ».
Et en matière de fautes aussi, la CAN de la Goutte d’or a ses propres règles. Les corners se tirent à la main, et à partir de la sixième faute – les cinq premières sont tolérées –, chaque erreur supplémentaire entraîne un penalty. « En temps normal, on joue sans penalty, mais là, c’est pour obliger les gens à se contenir et éviter qu’on se prenne des petits ponts un peu vénère devant notre sœur », précise Lamine, en rigolant. En cas de doutes, les arbitres peuvent toujours se référer à la VAR maison, alias le portable de Nordine – voisin de palier de Mamoudou – qui filme tous les matchs retransmis en direct sur Instagram.
L’équipe de France s’invite au tournoi
Une organisation artisanale et peu coûteuse, car contrairement à la vraie CAN essentiellement financée et sponsorisée par Total, la CAN de la Goutte d’or repose exclusivement sur la cotisation des joueurs et la bonne volonté des organisateurs. Dix euros par personne qui ont permis de rafistoler les grillages du terrain, d’investir dans une chauffeuse électrique pour le nettoyer, d’acheter des ballons, des chasubles, les drapeaux qui ornent les grillages et surtout le trophée, vraie réplique de celui de la CAN, sur laquelle ils ont fait graver « Côte d’Ivoire 2019 », en hommage aux vainqueurs de la première édition. Pour le reste, les petits sont mis à contribution pour ramasser les déchets dans le square, et Mamoudou passe un coup de chauffeuse avant chaque match pour nettoyer le terrain. Pendant quelques semaines, ils se substituent à la mairie, qui tolère l’événement sans y prendre part.
Cette année, les organisateurs ont aussi pu compter sur le soutien des commerçants du quartier. La maison du lunetier de la Goutte d’or offrira une paire de lunettes de soleil à tous les membres de l’équipe vainqueur du tournoi ; et surtout la maison Château rouge a fabriqué les maillots pour les seize équipes de la compétition (Algérie, Cameroun, Comores, Congo-Brazzaville, République démocratique du Congo, Côte d’Ivoire, Gambie, Guinée, Mali, Maroc, Mauritanie, Nigeria, Sénégal, Tunisie, Reste du monde et la France qui a fait son apparition cette année dans la compétition). « C’est un mec qui joue tous les dimanches au square qui nous a demandé s’il pouvait participer, on lui a dit de faire son équipe.(…)La CAN, c’est un prétexte pour rassembler, c’est juste que dans le quartier, on aurait eu plus de mal à faire l’Euro, mais on essaye d’ouvrir au maximum notre compétition, éclaire Lamine, coach de la nouvelle équipe. On s’en fiche des règles, on n’est pas l’UEFA, si on veut promouvoir l’inclusion, on peut casser les règles et créer une équipe de France. » Équipe de France qui fait d’ailleurs partie des favorites de la compétition, et qui affrontera le Maroc ce vendredi en quarts de finale.
« On voulait vraiment créer un événement pour le quartier, poursuivent les organisateurs nostalgiques de l’époque où la Fête de la Goutte d’or était un rendez-vous incontournable. Avant, tous les rappeurs qui pesaient un peu passaient par la fête de la Goutte d’Or. Maintenant, il y a des fêtes partout et des rappeurs aussi, du coup, ça a perdu de son importance. Nous, on veut recréer un truc comme ça, qui bouge et qui rassemble. » Et ils ne s’attendaient pas à ce que cela fonctionne aussi bien. « Déjà la première année, ça avait super bien marché, mais je pense que là, avec les maillots, on a plié le game », lâche fièrement Mamoudou. Depuis le début de la CAN, il ne se passe pas un jour sans qu’il soit harcelé par des journalistes ou contacté par des gros sponsors comme Nike, Adidas ou beIN Sports, qui souhaitent tous prendre part au tournoi l’an prochain. Sur ce sujet-là, Mamoudou reste prudent : « Pour l’instant, je suis focalisé sur ce tournoi, pas sur la suite, affirme l’organisateur soucieux de préserver l’identité de la CAN. Je voulais des sponsors locaux, on les a, maintenant je vais réfléchir à ce qui est le plus intéressant pour nous. On fait attention, on n’aime pas l’idée que d’autres s’approprient le truc. »
Par Laure Giuily
Tous propos recueillis par LG