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La campagne de Southgate
Arrivé au poste de sélectionneur de l’Angleterre en septembre dernier, Gareth Southgate a déjà bousculé les codes d’un poste longtemps illisible et souvent présenté comme maudit.
Dès le premier jour, Gareth Southgate a décidé de ne pas se cacher : « J’évolue au sein d’un sport que j’adore, mais au cœur d’une industrie que je déteste. » À cette époque, l’homme n’était alors qu’un intérimaire, un mec placé là pour préparer le terrain à un rapide successeur, histoire de laisser le temps à la FA de déminer le terrain après le scandale ayant conduit au départ de Sam Allardyce seulement soixante-sept jours après son installation sur le trône national. De l’avis de tous, Southgate n’avait pas la gueule de l’emploi : un CV jugé trop léger, une communication contrôlée, une réputation de Mr Nice Guy difficile à arracher… Neuf mois ont défilé depuis un premier match dirigé sans trembler contre Malte (2-0), mais le bonhomme, lui, n’a pas bougé. Comment va l’Angleterre ? Bien, merci pour elle. Les chiffres, pour commencer. Après six rencontres, les Three Lions cavalent en tête de leur groupe de qualifications pour la Coupe du monde 2018, n’ont pas perdu la moindre rencontre et n’ont surtout été séchés qu’une fois depuis la prise de fonctions de Gareth Southgate. C’était en amical, contre l’Allemagne (0-1), le 22 mars dernier. Alors oui, l’Angleterre a parfois été bousculée, notamment à Glasgow samedi, mais elle s’est rattrapée sur les dernières notes de la journée grâce à Harry Kane, histoire d’éviter un bordel qui n’avait, de fait, pas sa place. Pas sa place car il faut se le dire, au-delà des chiffres, le groupe de Southgate, s’il n’est encore qu’au début d’une reconstruction nécessaire après le traumatisme de l’Euro 2016, vit bien. Pour s’en rendre compte, il suffisait de lever la tête et de tendre l’oreille sur les bords de la pelouse du stade Omnisports de Croissy-sur-Seine – où la Russie avait posé ses bagages pendant le championnat d’Europe – dans la matinée de lundi. En campagne auprès des observateurs, Gareth Southgate a filé les mots que la presse anglaise souhaitait entendre, mais a surtout laissé apparaître sous ses yeux un groupe concerné, décontracté, même s’il n’était donné d’assister qu’à un vulgaire échauffement aussi convenu qu’une séance de team building.
Le plan par étapes
En réalité, l’essence de la campagne de Southgate se déroule en privé. Chaque rassemblement a son objectif. En mars dernier, le thème fixé était « la prise d’initiative » . Résultat, deux jours avant la réception de la Lituanie (2-0), le sélectionneur national avait invité son homologue du rugby, Eddie Jones, pour une présentation appuyée sur PowerPoint au bout de laquelle le défenseur de Southampton, Ryan Bertrand, avait expliqué ceci : « C’est un échange qui nous a ouvert les yeux. Depuis que Gareth est arrivé, on essaye de fabriquer notre identité, de développer notre approche du jeu. Pour ça, il faut bien sûr travailler plus dur, mais il nous a fixé une ligne de conduite claire. C’est un plan par étapes. » Cette fois, avec un déplacement en Écosse samedi dernier (2-2) et un autre en France mardi soir, l’objectif était de développer la notion de leadership. Pour ça, le groupe a filé quelques jours avec les Marines la semaine dernière, aura eu un exercice en situation réel à Glasgow pour arracher un point miraculeux et est donc venu bosser dans la discrétion à Croissy-sur-Seine. « Je pense qu’on avait tous besoin de savoir où aller, d’avoir un plan clair avec des paliers à franchir, ce qui n’était pas forcément le cas avant, explique Alex Oxlade-Chamberlain, qui n’hésite pas à donner du Gareth à son patron, enfoncé dans son polo serré. On a pris conscience qu’on pouvait faire quelque chose ensemble, mais on avait besoin de quelqu’un pour nous y amener. On peut voir depuis plusieurs matchs qu’une identité claire commence à se dégager, qu’on est aussi plus solide, mais surtout qu’on prend du plaisir ensemble. »
« Nous ne sommes qu’au début d’une aventure »
Débarqué dans un costume de passeur d’âmes, Gareth Southgate, la voix calme, mais le ton rassembleur, souhaite alors prendre le temps d’expliquer son travail, dégageant toutes les questions portant sur l’avenir de ses joueurs. « Si les U20 ont remporté la Coupe du monde dimanche, ce qu’aucune équipe du pays n’avait été capable de faire depuis 1966, s’il y a aussi eu une nouvelle victoire au tournoi de Toulon samedi, c’est parce qu’il y a un système qui a été pensé autour des jeunes d’abord, lâche-t-il pour ouvrir son exposé. On est dans une démarche globale où l’état des lieux est maintenant terminé. Pour moi, ce n’est pas forcément dans la gestion de la compétition que l’Angleterre doit progresser, mais avant tout dans la gestion de la pression lors des matchs de très haut niveau. Il y a encore du boulot, nous ne sommes qu’au début d’une aventure. On doit progresser tactiquement, se confronter à de grosses nations comme la France en amical pour ça. Un match amical sert à apprendre, pas à faire de la figuration, c’est pour ça que nous sommes là. » Mardi soir, au stade de France, Southgate devrait procéder à plusieurs changements par rapport au onze titulaire à Glasgow samedi. Tom Heaton sera aligné dans le but en première période, Jack Butland en seconde, Oxlade-Chamberlain jouera, John Stones aussi et un système en 3-4-3, testé en Allemagne en mars, devrait être de nouveau couché sur le papier. « En jouant l’Allemagne et la France lors de matchs amicaux, on accepte volontairement de se mettre en difficulté, assume-t-il. L’expérience se gagne aussi dans ces matchs-là, en testant des choses tout en étant compétitifs face à des équipes supposées supérieures. » Le voilà debout, face à son assistance, un large sourire et prêt à répondre à plusieurs questions supplémentaires pour la presse écrite. Le candidat Southgate n’en est plus un, le chef de meute a bien été adopté.
Par Maxime Brigand, à Croissy-sur-Seine