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La C3, c’est pas du coq au vin !
Mais quelle est donc cette fameuse « recette » que le monde du foot envie à Unai Emery ? L'Espagnol, paraît-il, aurait en sa possession la formule permettant de remporter à coup sûr la Ligue Europa, qu'il planquerait d'ailleurs comme celle de la sauce secrète du Big Mac. Une bonne fois pour toutes : cette recette n'existe pas.
Le secret, paraît-il, serait de soigner sa marinade. Vin, laurier, thym, clou de girofle, baie de genièvre, carottes, céleri, ail, oignon, poivre, sel. Certains, pour plus de goût, arrosent le tout d’une vaguelette de cognac, préférant intégrer l’eau-de-vie à ce stade de la préparation plutôt que de flamber la bête un peu plus tard. Peu importe : faire un coq au vin n’est pas sorcier, le mot appelant à 16 100 000 résultats sur Google et probablement plus encore en allant toquer à la porte des foyers qui gardent jalousement leur recette de famille.
L’opération nécessite une répétition connue et déterminée d’actes simples menant à un résultat complexe qui, sauf bévue monumentale dont il est aisé de se rendre compte sur le moment, sera une réussite. Avoir la recette, c’est gage de succès. On dit d’ailleurs qu’Unai Emery la lit tous les soirs en se couchant, et que dans le grand livre du football, il n’a arraché la page que de la Ligue Europa. L’Espagnol est même en passe de la remporter pour la quatrième fois, cette fois-ci avec Arsenal plutôt que Séville (2014, 2015, 2016). Mais existe-t-il réellement une recette pour gagner balle au pied ?
Entre Paul Éluard et Sun Tzu
« C’est des conneries » , balance Gilles Pudlowski, critique gastronomique et patron depuis 29 ans du Guide Pudlo, cousin du Gault&Millau. Le bonhomme a les cheveux blancs, mais le verbe coloré, commençant la discussion en précisant que « Pudlowski, c’est comme (Raymond) Kopaszewski, c’est en les raccourcissant qu’ils deviennent célèbres » . Pour lui, les recettes doivent rester aux fourneaux, et pas ailleurs : « Il y a des recettes pour faire un coq au vin, un mille-feuille, un fraisier, une crème brûlée ou un carpaccio de bœuf à la sauce cipriani. Mais en football, c’est un non-sens, on appelle ça le coup du sort. Il n’y a qu’une succession de hasards. Paul Éluard disait :« Il n’y a pas de hasards, il n’y a que des rendez-vous. »C’est un peu pareil. » Difficile en effet d’appliquer de manière certaine une formule opérante, les performances des uns variant en fonction des jours et, surtout, de l’opposition. Soutenir qu’Unai Emery tourne à 2,05 points de moyenne en C3 (75 joués, 45 victoires, 19 nuls, 11 défaites) parce qu’il aurait la « recette » aurait donc autant de sens qu’une tourte courgette-chocolat, comme si pareille solution pouvait se trouver sur Marmiton.
Il y a les préceptes, les livres de conseils, chaque domaine ayant son petit traité méthodique (L’art de la guerre de Sun Tzu). Mais s’il existe des recettes pour gagner en politique, réussir sociologiquement ou décrocher son bac avec vingt de moyenne, elles entrent bien souvent dans la même catégorie que celles qui promettent de gagner 10 000 euros par jour sans quitter son canapé : des arnaques. « Les poteaux carrés de Glasgow, le but d’Eder, PSG-Rennes en finale de Coupe de la Ligue… Même avec les meilleurs joueurs du monde – ou réputés comme tels – sur son propre terrain, ça ne marche pas toujours, explique Gilles Pudlowski. Le foot c’est l’anti-pâtisserie. La pâtisserie ne supporte pas l’approximation, ceux qui la pratiquent sont des scientifiques. Si vous vous trompez dans le dosage de sucre ou de crème, vous ratez votre crème anglaise ou votre chantilly. Mais en foot, vous pouvez foutre votre pied de travers et ça rentre dans le but quand même. Le foot, c’est le domaine de l’inconnu. La preuve, c’est Calais qui arrive en finale de Coupe de France. » Pour autant, il suffit de se pencher sur les conditions de création de la tarte tatin ou de la glace plombières, résultat d’un raté de l’entremétier italien de Napoléon III, pour savoir que parfois, aussi, foot et pâtisserie peuvent se rejoindre sur le terrain des créations magnifiques découlant de conneries initiales.
Passer à la Trap’
Cette saison, Unai Emery est donc à son pinacle dans sa compétition favorite. Avec 2,43 points par match en moyenne, trente joueurs utilisés – un record – neuf petits buts encaissés en 14 matchs et 29 pions marqués, l’entraîneur a réussi à ramener Arsenal en finale d’une compétition européenne pour la première fois depuis 2006, où le club s’était incliné au Stade de France contre Barcelone. Le bonhomme a de toute évidence capté le « truc » pour triompher en Ligue Europa, quitte à passer par les tirs au but (3 séances remportées depuis 2013), « truc » intransposable à la Ligue des champions, l’expérience le prouvant. Déjà seul entraîneur de l’histoire à compter trois C3 consécutives, il pourrait devenir ce soir l’unique coach à en avoir remporté quatre, étant actuellement aux côtés de Giovanni Trapattoni (1977 et 1991 avec la Juve, 1992 avec l’Inter). M. Arnould, vendeur à la concession Citroën de Sartrouville dans les Yvelines, souligne d’ailleurs la valeur de l’exploit : « La C3 ? Ça marche bien depuis qu’ils ont fait le restylage. C’est pas mal demandé, après ça demande un petit budget, je ne vais pas vous le cacher. On vend surtout à des mères de famille, entre 30 et 55 ans. Mais les jeunes aiment bien parce qu’ils peuvent personnaliser la couleur du toit. » Et si elle était là, la vraie recette ? Unai Emery court sur ses 48 ans, mais il a su garder son âme d’enfant.
Par Théo Denmat
Tous propos recueillis par TD