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«La bulle spéculative du football espagnol a éclaté»

Propos recueillis par Pablo Garcia-Fons
«La bulle spéculative du football espagnol a éclaté»

Grande gueule, supporter de l'Espanyol Barcelone jusqu'à la moelle, José María Gay de Liébana est surtout LE spécialiste économique du football espagnol. Un homme plutôt écouté ces temps-ci. Pour nous, il fait l'autopsie d'un grand malade. Et autant dire que ce n'est pas joli joli…

Bon, le football espagnol est en crise. Mais cette crise est-elle inhérente au foot ou plutôt une des conséquences de la crise économique globale que connaît le pays ?Le football espagnol a créé sa propre crise. Cela fait des années que les clubs sont en déficit et rien n’a été fait pour améliorer cette situation. Aujourd’hui, on peut dire que la bulle spéculative du football espagnol a éclaté. À cette crise « naturelle » viennent bien sûr s’ajouter les effets de la crise économique que connaît l’Espagne actuellement. Évidemment, ça n’arrange rien.

Comment se traduit-elle concrètement ?Tout d’abord par l’endettement pharaonique des clubs. Aujourd’hui, en regroupant tous les cas de figure, première et seconde divisions confondues, on peut dire qu’environ une vingtaine de clubs sont insolvables. C’est-à-dire qu’ils ne peuvent pas faire face de façon normale à leur endettement. À peu près tous les clubs sont touchés. Sauf le Real et le Barça d’une part, qui sont très endettés, mais qui n’ont pas de peine à trouver des financements, et l’Athletic Bilbao et Osasuna d’autre part, du fait de leur mode de fonctionnement particulier.

À qui la faute ?Personne ne veut assumer la responsabilité de cette situation. Pourtant, les clubs sont coupables d’avoir continué sur un mode de fonctionnement irrationnel. Ils savaient parfaitement que leur système d’endettement n’était pas viable sur le long terme, mais ils ont poursuivi aveuglément dans cette voie. La Liga de Fútbol Profesional détient aussi sa part de responsabilité, puisqu’elle n’a jamais vraiment effectué de contrôle sur les clubs. Analyser les budgets, contrôler les opérations financières, aider les clubs à améliorer leur situation, sanctionner les mauvais élèves, tout un panel de mesures que la LFP espagnole n’a jamais vraiment mis en place.

Quand on atteint un tel niveau d’endettement, est-ce que les pouvoirs publics n’ont pas aussi leur part de responsabilité ?Sans nier la responsabilité de l’establishment footballistique, on peut également dire que l’establishment politique n’a jamais non plus poussé pour que les choses changent. Les politiques n’ont jamais affronté ces questions, parce qu’ils ont peur de toucher au football. Les gens défileraient dans les rues, il y aurait des émeutes. Ça ne serait pas bon pour leur popularité. L’été a d’ailleurs été très dur pour nos hommes politiques. Heureusement, la Liga a repris, les Espagnols ne vont plus penser qu’à ça et laisser en paix nos pauvres dirigeants.

Le gouvernement Rajoy semble avoir durci le ton vis-à-vis du football…Le football n’est pas spécifiquement visé, mais l’augmentation de la pression fiscale touche en effet les clubs de plein fouet. Par exemple, l’augmentation des tranches d’imposition sur le revenu est très préjudiciable à la Liga, parce que les contrats entre les clubs et les joueurs sont signés en net. À court terme, l’augmentation de l’impôt va donc faire exploser les coûts salariaux et les clubs devront payer la facture. Par ailleurs, cette situation va causer de graves problèmes aux deux grands quand il s’agira de renouveler les contrats de leurs stars. Il faudra mettre 30 millions sur la table pour que le joueur en reçoive 10 dans son portefeuille. Et puis, il y a l’augmentation de la TVA qui renchérit tout, des transactions entre clubs au prix de l’abonnement pour le supporter, en passant pas le coût salarial des joueurs.

Et les droits télé dans tout ça ? Chaque été, les petites équipes se plaignent de la répartition très inégalitaire du pactole. Le Barça et le Real touchent 150 millions d’euros par an, si ce n’est plus, tandis que d’autres clubs de première division touchent à peine 10 millions par an. Comparez ce système à celui que vous avez en France et vous verrez le monde qui nous sépare.

« Le bonheur des deux gros fait le malheur de tous les autres »

Comment en est-on arrivé là ?Le championnat espagnol est le seul des grands championnats européens dans lequel chaque club négocie directement ses droits avec les diffuseurs. Évidemment, le Barça et le Real peuvent négocier des sommes astronomiques. D’un autre côté, tous les autres petits clubs sont un peu les otages des groupes de télévision. Comment expliquer que les droits télé de la Première League s’élèvent à 1300 millions d’euros et ceux de la Serie A à 900 millions, tandis que la Liga ne perçoit que 600 millions d’euros, à peu près autant que la Ligue 1 ? Il faudrait que les droits soient centralisés puis vendus ensemble, en pack, sous l’appellation « championnat espagnol de première division » . Le problème, c’est que la LFP, qui pourrait initier ce changement, est totalement noyautée par le Real et le Barça, deux clubs qui n’ont strictement aucun intérêt à ce que les choses changent puisqu’ils gagnent plus dans la situation actuelle.

Finalement, est-ce qu’on ne peut pas dire que le football espagnol dans l’ensemble souffre de l’hégémonie du duo Barça/Real ? Bien sûr. Le bonheur des deux gros fait le malheur de tous les autres. Un exemple édifiant et effrayant à la fois : en ce qui concerne le sponsoring, les entreprises préfèrent signer pour être le quatrième ou le cinquième sponsor du Real ou de Barça plutôt que d’être le sponsor principal d’une équipe comme le FC Séville. Ce qui explique par exemple que des clubs comme Valence ou Villarreal aient joué la saison dernière en Ligue des champions sans sponsor sur le maillot.

La crise du football ibérique saute aux yeux, cet été, avec un marché des transferts en quasi-sommeil…À l’été 2009, les clubs espagnols avaient dépensé plus de 450 millions d’euros sur le marché des transferts. Cet été, on a difficilement atteint la barre des 100 millions. Ça donne une bonne idée de la dégradation de la situation. Aujourd’hui, l’immense majorité des mouvements entre clubs se fait par le biais de prêts avec option d’achat. Je ne sais pas à quoi sert cette option d’achat, car, dans 90% des cas, les clubs ne peuvent pas la lever à la fin du prêt.

On a aussi l’impression que le championnat espagnol, qui attirait chaque année les meilleurs joueurs du monde, est pour la première fois en train de s’appauvrir.Chaque été, quelques stars de notre championnat partent à l’étranger. Il n’y a rien d’alarmant de ce côté-là puisque le football espagnol draine également des stars étrangères. D’autre part, des joueurs en fin de carrière partent dans des championnats moins réputés pour trouver un peu de temps de jeu. Rien de nouveau ni de préoccupant là-dedans non plus. Ce qui est en revanche plus grave, c’est que des jeunes joueurs, à fort potentiel, quittent l’Espagne parce qu’ils ne peuvent pas y poursuivre le développement de leur carrière, parce qu’ils estiment que leur club ne va pas pouvoir les payer comme ils le méritent ou parce que leur club a promis de les payer, mais ne leur a pour le moment pas versé leur dû. Domínguez, Michu, Carvajal, Joselu, Borja Valero, les exemples ne manquent pas. C’est une situation tragique pour notre football.

Une sorte de fuite des cerveaux en somme.Un grand nombre de jeunes Espagnols, une fois leurs études terminées, sont obligés de partir à l’étranger pour trouver le travail qu’ils recherchent dans les conditions financières qu’ils méritent. Une situation qui pourrait finalement parfaitement être transposée au football espagnol, oui.

Est-ce que, d’une façon, on ne peut pas aussi parler d’une crise morale ?Je pense que l’opinion publique n’accepterait plus des transferts de plusieurs dizaines de millions d’euros. Les banques n’accordent presque plus de prêts aux particuliers, et les gens devraient accepter que la banque qui leur a claqué la porte au nez prête des dizaines de millions d’euros au Real ou au Barça pour le transfert de tel ou tel joueur ? Peu probable. L’engouement récent autour des succès de la Roja est aussi un signe de défi envers les clubs. Le football de la sélection a l’avantage d’être étranger à toutes ces questions d’argent, d’endettement, etc. C’est un football qui paraît beaucoup plus sain et les Espagnols sont donc plus à même de s’identifier à lui.

Retrouvez la présentation de tous les championnats dans le dernier numéro de So Foot

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Propos recueillis par Pablo Garcia-Fons

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