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La boucle de Laporte
Naturalisé espagnol au début du mois de mai dernier, Aymeric Laporte s’apprête à retrouver l’équipe de France dimanche après un Euro disputé avec la Roja, mais surtout brillant sur le plan personnel. Drôle de boucle.
Puisqu’il en avait assez de parler, Aymeric Laporte a décidé de crier. Ce jour-là, le soleil de Séville était, comme souvent, aussi indulgent qu’une plaque de cuisson, et l’Espagne commençait sa mise en pièces de la Slovaquie, bien aidée par un Martín Dubravka complice. Au milieu de ce tableau, on a alors vu, en juin, le défenseur de Manchester City décoller pour balancer de la tête un centre de Gerard Moreno dans la lucarne slovaque et lâcher un « vamos » sorti du fond des tripes, à propos duquel il s’expliquera ensuite devant plusieurs médias européens : « Ça s’explique par l’envie que j’avais de jouer à ce niveau-là, de disputer une compétition comme l’Euro… C’est le fruit de vingt et un ans de travail, de constance et de rêves, dont un s’est réalisé à ce moment-là. Il y avait une forme de rage, l’envie de démontrer au public espagnol que je suis là pour aider, pour apporter, pas pour enlever. Je l’ai démontré comme ça. » Luis Enrique, lui, n’avait pas besoin de preuves et savait depuis longtemps ce que Laporte pouvait apporter à une Espagne qui a décidé d’avancer sans Sergio Ramos, mais avec un désir intact de proposer son football de mouvements permanents. Un football de chasseurs, de mecs prêts à « mourir » pour le maillot de leur sélection et pour leurs idées (avoir le plus possible le ballon, le récupérer rapidement à la perte et défendre loin de son propre but). D’où la bataille pour qu’Aymeric Laporte, qu’Enrique a toujours tenu en haute estime pour sa qualité de relance, puisse un jour enfiler le costume de la Roja. L’affaire a été longue, très longue. Elle a vu le natif d’Agen, accroché à son rêve de jouer un jour pour les Bleus, repousser une première main tendue en 2018, puis plusieurs cadres de la fédération espagnole se sont ensuite mêlés du dossier, le directeur sportif José Francisco Molina en tête. L’issue est connue : en mai dernier, Laporte, installé en Espagne de 2010 à 2018, a pu être naturalisé et être, dans la foulée, intégré dans le groupe convoqué par Luis Enrique pour disputer l’Euro. Un Euro où l’ancien joueur de l’Athletic a calmé tout le monde.
Un éclaireur référence
Les faits sont clairs : depuis qu’il a changé de peau, Aymeric Laporte a été de tous les onze titulaires espagnols et de quasiment toutes les minutes (il a seulement cédé sa place à Raúl Albiol à la mi-temps du match contre la Géorgie, début septembre, NDLR). « Depuis qu’il peut jouer avec nous, Aymeric nous apporte énormément, a justifié Enrique au cours de l’Euro. C’est un joueur de haut niveau, en phase offensive et en phase défensive. Nous avions besoin d’un joueur capable de sortir les ballons avec qualité et de toucher le joueur libre dans le cœur du jeu. Comme il est, en plus, très bon dans les airs, à l’aise des deux pieds, costaud physiquement, rapide, excellent dans la couverture, c’est un plaisir de l’avoir, et nous sommes tous ravis qu’il ait décidé de jouer pour l’Espagne. » Propulsé leader défensif en deux coups de cuillère à pot, Laporte aura brillé tout au long du championnat d’Europe, terminant notamment la compétition avec plusieurs titres statistiques, dont celui du joueur ayant fait gagner le plus de mètres à son équipe par la passe et celui du joueur ayant été le plus performant dans le jeu long. Interrogé à ce sujet en août, dans la foulée d’une autre belle copie de l’ancien capitaine de l’équipe de France U19 face à Norwich (5-0), voilà ce qu’en disait Pep Guardiola : « Beaucoup de défenseurs centraux ont un pourcentage de passes réussies élevé, mais beaucoup d’entre eux ne font que des passes simples entre eux. Aymeric, lui, prend des risques et est probablement le meilleur défenseur central gaucher du monde pour sortir les ballons aujourd’hui. » À l’Euro, sa demi-finale face à l’Italie, lors de laquelle il avait eu 160 ballons à négocier et où il avait été décisif sur l’égalisation de Morata en prouvant sa capacité à faire disjoncter n’importe quel pressing, a notamment marqué les esprits.
Au milieu de son chef-d’œuvre de l’été face à l’Italie, Laporte avait notamment réussi à ouvrir le bloc italien à dix minutes de la fin grâce à cette passe ouvre-boîte pour Morata.
Au cours de la compétition, Laporte a aussi impressionné par la qualité de son jeu long, à l’image de ce changement d’aile brutal pour Olmo.
Relégué sur le banc à City la saison dernière, Aymeric Laporte a retrouvé du temps de jeu cette saison dans son club, ce qui lui permet d’arriver en jambes pour cette Ligue des nations, qu’il a parfaitement commencée contre l’Italie mercredi et qui lui offre une finale clin d’œil avec l’équipe de France. « Jouer l’équipe de France serait sans aucun doute un match difficile, soufflait-il en juin. Je les regarde, je vois le résultat et c’est tout. Ce n’est pas une équipe lambda, je leur souhaiterai toujours le meilleur. Mais nous en premier, et eux ensuite. » Difficile qu’il en soit autrement pour un joueur dont l’aventure avec le maillot tricolore n’aura jamais vraiment débuté, malgré trois convocations. « Ce n’est pas un choix par défaut, mais disons que c’est une solution de repli, éclairait l’ancien coéquipier de Laporte à Bilbao Unai Albizua, il y a quelques mois. Il est et restera français. On se chambrait souvent, peu importe la compétition sportive qu’on regardait, il soutenait toujours la France. Il était extrêmement chauvin et ne s’en cachait pas, mais il n’y avait pas d’opportunité chez lui et le règlement lui permettait de changer. Dommage pour la France. Les Espagnols sont, en tout cas, ravis. » Fin des débats, place au combat.
Par Maxime Brigand, à Milan