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La bouche fermée
Les Bleus sont qualifiés pour le dernier carré, et les joueurs les plus décriés hier sont en train de calmer tous leurs détracteurs. Car de punching ball à héros, il n'y a que quelques marches que Deschamps et d'autres effectuent au pas de course en fermant des bouches partout autour d'eux.
Il faut peu de choses pour être un sceptique en 2018. Juste un clavier et une connexion internet, qu’on peut aisément transformer en flèches et en carquois. Et pour peu qu’on arrive à avoir un peu d’audience sur un réseau social ou dans la section commentaires d’un grand média, derrière, c’est open bar. Même en crevant les yeux des gens à cause des fautes d’orthographe, impossible de ne pas faire mouche et de ne pas provoquer des réactions. Même pas besoin d’être inventif, il suffit souvent de répéter en plus mal ce qui a déjà été dit par d’autres lors d’une quelconque émission télé dans laquelle des chroniqueurs sont payés pour dire le contraire de ce qu’ils avaient dit la semaine d’avant. Et pendant les semaines qui précèdent une Coupe du monde, Bison Futé voit souvent des embouteillages maousses sur l’autoroute de la bêtise.
Du côté des Bleus, les cibles les plus récurrentes étaient clairement identifiées : Lloris, Pogba, Giroud, et évidemment l’indétrônable Didier Deschamps, qui se tenait fièrement bras écartés au milieu de la scène, avec les petits points rouges des tireurs d’élite qui se baladaient sur son corps. Lloris ? Quelle pipe, 6 mois qu’il n’a pas fait un bon match avec Tottenham. Pogba ? Le type de la Pogsérie, là ? Ridicule, qu’il apprenne à jouer simple. Giroud ? Cf. débat sur Benzema. Deschamps ? Cf. débat sur Benzema. Un naze dans les cages, un autre au milieu, un troisième en attaque, et le roi des nazes sur le banc. Voilà pour le cadre et le contexte dans lesquels les Bleus ont débarqué en Russie. Alors ce vendredi 6 juillet 2018, ils auraient eu le droit de quitter la pelouse du stade de Nijni Novgorod en posant l’index sur leurs lèvres, pour ordonner aux détracteurs de garder les leurs fermées.
La rampe de lancement et la fusée
Le 16 juin dernier, en voyant la main gauche de Lloris dire non à une frappe australienne vicieuse et soudaine, les mauvaises langues étaient restées discrètes. Comme si d’un seul coup, on s’était souvenu que quand Lloris est en forme, il est un top gardien. Va pour le goal. Mais Pogba, Giroud – qui avait démarré le match sur le banc – et Deschamps continuaient d’en prendre pour leur grade, coupables de n’avoir rien proposé sur le terrain. Puis le Pérou est arrivé, et la France a offert un match un peu plus encourageant à Iekaterinbourg. Pogba n’a pas été exempt de tout reproche, mais il a été suffisamment bon pour que soit admis le fait qu’il est indispensable à l’équipe de France. On retrouvait presque la même limonade chez Olivier Giroud, précieux contre les Péruviens même sans avoir marqué. Et les Bleus ont joué face au Danemark, et patatras. Les compteurs ont été remis à zéro.
Deschamps était redevenu ce petit fonctionnaire à l’esprit étriqué incapable de faire jouer son équipe, et ses joueurs des chochottes n’ayant qu’une seule ambition : prendre le moins de risques possible de peur des conséquences. Retour à la case départ. Un festival contre les Argentins pour servir de rampe de lancement ; puis un quart de finale remporté haut la main pour grimper dans la fusée plus tard, et voilà les rangs des blasés décimés. Surtout après avoir vu la parade hallucinante de Lloris, la deuxième mi-temps de titan de Pogba au milieu de terrain, l’importance de Giroud quand il utilise son poids de cheval mort dans les duels, et la maîtrise totale qu’a eue Deschamps sur son match. Et après avoir fermé des clapets, les Bleus savent ce qu’il leur reste à faire : remporter les deux prochains matchs pour laisser tout un pays bouche bée.
Par Alexandre Doskov, à Nijni Novgorod