- Euro 2016
- Finale
- Portugal-France
La bête noire est morte
Beaucoup en parlent. Mais peu l’ont déjà vu. Et encore moins cet été. C’est normal, la bête noire nous a tragiquement quittés avant le début de l’Euro, sans prévenir.
Alors que ses coéquipiers et lui-même ont sorti le grand jeu en phase de poules, Giorgio Chiellini n’est pas tout à fait serein au moment de répondre aux questions de journalistes. Dans trois jours, il va devoir affronter le pire ennemi du footballeur, un monstre mythique et mystérieux, qui repousse les plus téméraires… La fameuse bête noire : « L’Espagne l’est pour nous depuis 2008, quand elle nous a éliminés aux tirs au but en quarts de finale. Cela a été le début de leur cycle d’or. » Mais les Italiens ont vaincu ce traumatisme, comme on le sait. Idem pour l’Allemagne avec la même Italie, et pour la France avec la même Allemagne. Quatre matchs de suite qu’on l’invoque sans qu’elle ne donne le moindre signe d’elle. Aucun doute là-dessus : la bête noire n’est plus.
Théâtralisation
Alors, que s’est-il passé ? Quand nous a-t-elle vraiment quittés ? Dans quelles circonstances ? C’est assez flou jusque-là, plusieurs hypothèses sont avancées, mais la plus probable, c’est qu’à force de crier au loup, eh bien, le loup s’est lui-même tiré et ne veut plus venir. La preuve avant le choc entre l’Italie et l’Allemagne. Si la presse crie au mammifère sauvage appartenant à la famille des canidés, les joueurs et entraîneurs, eux, refusent d’y croire. À commencer par Toni Kroos : « Pourquoi je devrais être traumatisé par l’Italie ? C’est à vous de me l’expliquer avant que je le démente… Combien de fois j’étais sur le terrain lors de ces défaites ? » Suivi de près par son sélectionneur, Joachim Löw : « Nous n’avons pas peur, nous ne sommes pas traumatisés par l’Italie. » Mais aussi par Alessandro Florenzi, pourtant dans le camp adverse et donc avantagé par cette situation : « Les mots ne servent à rien, seulement les faits sur le terrain. »
Donc non, l’Italie n’est pas la bête noire de l’Allemagne, la Mannschaft n’a pas toujours subi le joug des cousins du Sud, elle a notamment conjuré le sort cette année en amical. Et la surutilisation de cette légende finit par lui revenir à la gueule. Le mythe de la bête noire – « Personne ou chose que l’on abhorre et redoute par-dessus tout. Et dans le sport : adversaire contre qui la victoire est un lointain souvenir. » – est un outil de romancier. Pour vendre un match, il faut une histoire. Et quoi de mieux qu’un duel déséquilibré par une force surnaturelle pour attirer la curiosité du spectateur ? Avant un match, il faut un favori et un challenger, c’est comme ça, c’est plus vendeur. David contre Goliath, c’est toujours plus intrigant qu’un David contre David. Et si en plus de ça, on ajoute une petite dose de mystique, la recette n’est pas loin d’être parfaite.
Tueur de mythe
Le seul problème, c’est donc quand la loi des séries s’applique, mais à l’envers. Quand les bêtes tombent les unes après les autres, sous les plombs du chasseur. Quatre ténébreuses créatures abattues en moins de trois semaines, c’est beaucoup trop pour qu’on continue d’y croire. Et même si pour cette finale entre la France et le Portugal, le terme de « bête noire » est loin d’être usurpé, la dernière victoire lusitanienne remontant à plus de quarante ans, le 26 avril 1975 exactement, les médias ont tué l’effet de style. Il reste donc peu de temps pour trouver un autre scénario, un autre contexte, un autre moyen de mettre en scène Français et Portugais.
Par Ugo Bocchi