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La Belgique, l’autre pays du carnaval
Privés de Coupe du monde depuis 2002, les supporters belges ont déboulé en masse au Brésil, avec beaucoup de produits dérivés et de bonne humeur dans leurs valises. Après la victoire contre la Corée du Sud (1-0), à São Paulo, retour sur le pèlerinage festif à Rio des supporters les plus photogéniques de la Coupe du monde.
C’était il y a déjà quatre jours, le 22 juin. Onze cars avaient été affrétés pour conduire les Belges de leur camping, situé sur le littoral, à une trentaine de kilomètres d’Ipanema, jusqu’au Maracanã, où se tenait le match contre la Russie. Pour le retour, le rendez-vous est donné au métro Botafogo. Plus de deux heures après la fin du match, il y a à peine assez de monde pour remplir un bus. Essentiellement des cheveux gris, sauf Jan, qui tente de lutter contre le sommeil, assis sur un banc. C’est que Jan a commencé à picoler à 6h du matin, soit peu de temps après avoir arrêté. La veille, il a donné un concert au camping avec son groupe de blues rock « Black box revelation » , en échange de quoi il a été hébergé gratuitement. Sous sa cape-drapeau des Diables rouges, ce jeune Flamand de Bruxelles porte un maillot de cycliste aux trois quarts ouvert, façon grimpeur sous la canicule. « C’est le seul vêtement que j’avais aux couleurs de l’équipe » , justifie ce grand supporter de Philippe Gilbert. Avant de s’envoler au Brésil, Jan a d’ailleurs avalé 1 000 bornes en quatre jours à travers toute la Belgique et ainsi récolté 50 000 euros pour les malades du cancer. « Avec des copains, et sans EPO » , affirme-t-il en baillant. Jan est vraiment carbo. Il faudrait un miracle, au moins un pot belge, pour qu’il prenne part ce soir aux festivités.
« Ce qui est à Rio reste à Rio »
Ceux qui en ont encore sous la pédale sont en partie en train de s’arsouiller sur la plage de Copacabana, éclatés un peu partout, en groupes plus ou moins improvisés. Christiane appartient à une bande de 15 venus pour cinq jours, aux frais de leur multinationale japonaise. « Les 15 meilleurs vendeurs » , précise cette supporter du Standard « depuis toujours » . « Il faut vivre ça une fois dans sa vie » , dit-elle en passant commande d’une nouvelle Caïpirinha à 5 reais. Avec Lucas, son collègue hollandais, ils rigolent des mésaventures d’André qui, un peu plus tôt dans la journée, a tapé un petit foot sur la plage, et s’est fait subtiliser son sac à dos avec trois téléphones, et tout son argent. « Demain, on part faire une croisière, c’est pas la fin du monde » , relativise Christiane. Elle est la seule femme du groupe mais Lucas assure qu’elle n’a rien à craindre de ce statut : « On a un budget pour ça. »
Un peu plus loin, il y a Jean. Il ne sait pas bien où est passé son fils de 23 ans, qui est venu « pour le surveiller » . « Non, je blague : ce qui est à Rio reste à Rio. » Voir les Diables au Maracanã avec le rejeton, c’était un « rêve » . Il habite dans les Ardennes et vient de sympathiser avec Patrick et Fabrice, qui habitent à 15 minutes de Lille. Le premier a une petite boîte de parquet, l’autre est comptable, et il ont pour sherpa un compatriote trapu et barbu qui habite à l’année à Brasilia. Ils avaient déjà « fait la Coupe en Italie en 90 et en France en nonante huit. On avait même garé le mobile home le long de la Seine, en face de la Tour Eiffel. Magique. On est resté là deux jours, les CRS n’avaient rien dit. » Ils se félicitent d’avoir vu les Brésiliens soutenir massivement la « Belgica » . « Ils n’ont pas l’air d’aimer trop les Russes, Poutine doit y être pour quelque chose » , analyse Jean. Selon lui, l’élan de sympathie pour leur sélection est autant dû au fait qu’ils sont un petit pays qu’à la présence de joueurs qui évoluent dans les plus grands clubs. Mais surtout, à la qualité du public, qui force le respect de tous : « Ce n’est pas un hasard si pour roder une tournée et prendre confiance les artistes français commencent par chez nous. »
De là à dire que les Belges ne sont pas exigeants… « Pour l’instant, c’est passé mais niveau jeu, c’est pas terrible du tout, on les sent un peu paralysés, le manque d’expérience sans doute. » Fabrice, lui, porte le maillot de son club de futsal, le FC Artrose, faute d’orthographe comprise. « On a le droit de faire des fautes, c’est pas notre langue hein. On fait des matchs le jeudi soir, les jeunes contre les vieux. » Il a acheté un souvenir du Maracanã, une sorte de plaque d’immatriculation, « pour la mettre au bistrot » : « Quand on rentre, on enchaîne sur le week-end du festival rock à Menin. Ensuite, le patron ferme un mois, il va en Corse avec sa dame, on va pouvoir se reposer un peu. » Avant de les quitter, Jean insiste : « C’est les médias et les politiques qui en font des tonnes sur les problèmes entre les Flamands et les Wallons. Arno le chanteur, il vous avait dit qu’on est la seule nation dont les joueurs se grattent les testicules pendant l’hymne ? Ah bah c’est un rigolo lui, je l’adore, l’hymne belge, moi, je ne le connais pas hein, mais vous pouvez constater ici qu’entre nous, il n’y a pas de problème, c’est juste une question de respect de base, connaître quelques mots dans la langue de l’autre » , dit il en concluant d’un « obrigado » la transaction pour le renouvellement de sa caïpirinha.
« Y en a qui voulaient racheter nos drapeaux »
C’est dans le centre, quartier Lapa, que certains supporters belges ont établi leurs quartiers. En terrasse, les amitiés récentes trinquent avec la solennité des anciens combattants. Il y a notamment Sébastien, un Belge d’Afrique du Sud qui a rencontré Heinz à Belo Horizonte. « Je lui ai donné mon billet en trop pour le match au Maracanã. Donné, oui, pas vendu, bah il me paie quelques bières, quoi. Heinz il ne parle pas français, moi je parle pas flamand, donc on parle anglais. » Sacha, lui, est consultant. Il est accompagné de deux copains. Ils ont acheté le pack « follow my team » jusqu’aux huitièmes, mais ont organisé toute la logistique eux-mêmes. Ils ont adoré Belo Horizonte, où avait lieu le premier match : « C’est plus petit que Rio, tout le monde se rassemblait sur la même place, avec les Algériens, on a fait la fête jusqu’à 6h du matin. Et surtout, les Brésiliens étaient hyper heureux parce que c’est la première fois qu’un événement faisait venir autant d’étrangers. Y en a même qui voulaient nous racheter nos drapeaux, ils disaient que c’était génial pour draguer. » Pour Sacha, le Brésil, c’était un peu l’occasion ou jamais de vivre une Coupe du monde avant l’apparition de la bedaine et des premiers cheveux blancs : « La Russie, j’y suis allé pour le boulot, c’est non merci. Et le Qatar, bah… Si c’est pour se faire lapider quand tu bois une bière… Nous, les Belges, on est comme les Écossais au rugby : qu’on gagne ou qu’on perde, on a la même mentalité pendant la troisième mi-temps. » Un peu plus loin, Nicolas boit un coup avec un Algérien, justement, croisé déjà à Belo Horizonte : « Il vient de m’expliquer pourquoi eux ils sont tous ensemble dans le stade alors que nous, on est un peu dispersés : c’est juste que quand ils rentrent, ils rejoignent les Algériens qui sont déjà placés. Ils s’en foutent des places attribuées, nous, on est trop disciplinés. »
Du chat à la place du poulet
Au camping Devillage, tous les médias francophones ont défilé pour constater l’escroquerie dont on été victimes les supporters des Diables qui avaient souscrit le package « all inclusive » de la fédé belge. Pas de wifi, ni d’eau chaude, ni de Jupiler, comme promis. Et un ratio de toilettes, de douche et de staff francophone par personne avoisinant les 1 pour 100 : l’intermédiaire hollandais s’est gavé. Pour mettre fin au scandale, il a promis de rembourser 50 euros par nuitée. Personne n’est capable de dire combien d’entre eux ont déserté pour un hôtel moins excentré du centre de Rio. Mais ceux qui sont restés font contre mauvaise fortune, bon cœur. Tom, lui, habite Anvers. Son équipe, Beerschot, a été rétrogradée en 4e division suite à une faillite. Autant dire qu’il a l’habitude d’avaler des couleuvres. « Le site est excentré mais la plage est belle, et on est en pleine nature. Le problème, c’est pas les conditions, on connaît le camping : c’est le prix qu’on a payé pour ça. » Deux enquêtrices de l’association brésilienne Proteste, partenaire de Test Achats, le « UFC que choisir » d’outre-Quiévrain, hallucinent sur l’entourloupe : « Au Brésil, on dit qu’on leur a promis du poulet et qu’on leur a servi du chat » , dit dans un français parfait l’une d’elles, qui discute avec Geoffrey, ancien joueur de D1 belge de futsal et international espoir. Il habite entre Namur et Charleroi. « Je devais venir avec des potes, mais ils m’ont planté, donc la formule fédé c’était le plus simple, on pouvait pas penser que ça allait être aussi abusé. On nous avait promis des « surprises » , on parlait de la venue de Stromae, et même des joueurs, mais connaissant Wilmots, j’y ai jamais cru. Bah, la surprise, en fait, c’était la qualité de l’hébergement, quoi. »
Tony, lui, habite à 800 mètres de la frontière française. Il était dans les travées, à Rome, en 1980, pour la défaite des Diables en finale de l’Euro contre la RFA. En 82, il avait assisté à la victoire des Belges contre l’Argentine en Espagne, puis à la déroute contre la France à l’Euro 1984, à Nantes. Tony a pas mal bourlingué. Le Brésil, il l’a ainsi déjà visité il y a 35 ans : « Franchement, j’ai prévu aucune visite touristique, j’ai déjà tout vu, ce qui me plaît c’est les rencontres, hier j’ai passé la soirée avec des Chiliens, un Mexicain et un Canadien anglophone. » Tony travaille à la SNCB, dans la sécurité. Il a 60 ans, a financé son voyage grâce à l’épargne-pension. Son fils Rémi, lui, a dû économiser pendant trois ans, avant de finalement abandonner l’idée de venir quand ses copains ont déclaré forfait. « Un soir, ma femme lui a dit : « C’est trop bête, tu en rêvais. T’as qu’à y aller avec ton papa. » Je lui ai rappelé qu’en septembre, on part déjà en croisière pour nos 25 ans de mariage, ça chiffre hein, elle m’a dit qu’on s’arrangerait toujours. Alors bon, je vais pas me plaindre hein, le camping c’est décevant mais bon, l’eau froide on connaît, on a fait les scouts quand même. » Finalement, il y a deux choses qui chiffonnent Tony : les scores atteints par le N-VA, ce parti qui veut la fin de la Belgique et pour lequel jusqu’à 35% des Flamands se sont prononcés dans certaines communes. « Ce qui signifie qu’il y en a ici, avec le maillot belge, à faire la fête avec nous, qui ont voté pour ça. Mon fils a discuté avec deux d’entre eux, ils ne se rendent pas bien compte je crois de ce qu’ils font. » L’autre grosse déception, c’est les commentaires sur les sites d’information qui ont relayé le cauchemar des campeurs belges : « Il y en a qui se foutaient de nous, que c’est bien fait, qu’on saura au moins un peu comment vivent les gens dans les favelas. C’est de la jalousie, mais bon, je les pardonne, ils ont de bonnes raisons d’être jaloux. Ici, c’est que du bonheur. »
Par Vincent Riou (texte) et Renaud Bouchez (photos), à Rio