- FA Cup
- 5e tour
- Millwall-Leicester
La bataille du Den
C’est l’histoire de la nouvelle baston gagnée par un club résistant depuis le premier jour, celle d’un peuple pour son histoire, sa terre et son honneur. Alors que Millwall reçoit samedi Leicester en FA Cup après avoir sorti Bournemouth et Watford, les mal-aimés éternels ont l’occasion de célébrer le sauvetage de leur territoire.
Certains tableaux marquent une vie. Certaines gueules, aussi. Voyager de la station South Bermondsey jusqu’au Den est une aventure unique, mais aussi un lieu de pèlerinage pour chaque couillu souhaitant voir à quoi ressemble vraiment ce que John King, auteur du mythique journal de bord Football Factory, décrit comme « le trou du cul de Londres » . Ici, c’est Silwood, au sud-est de la capitale anglaise, un endroit où le capitalisme triomphant des années Thatcher n’est qu’une idée qu’on aperçoit de l’autre côté de la Tamise, mais où on n’a jamais eu le moindre regard. Longtemps, venir ici était même voyager dans « la vallée de la haine » , où se croisent des ouvriers, des visages saccagés, des ados enceintes ou des silhouettes remarquables à leur dentition flinguée. Millwall, c’est ça, mais il faut le voir pour le croire, même si les choses ont quand même légèrement évolué depuis que les « sauvages décérébrés » , considérés comme certains des mecs les plus cinglés du Royaume, ont commencé à écrire leur légende. Ça, c’était surtout à la fin du siècle dernier, même si certaines briques balancées au cours des années 2000 ont prouvé qu’on ne pouvait pas toujours raturer son passé. Et tant mieux, aussi. Une identité se travaille, se défend et s’entretient, même en enfer. Il est dur de venir dans ce quartier, mais il est aussi dur de s’en sortir, voilà la règle. C’est aussi sa force, car à force de prendre des coups dans la gueule, on se replie, se resserre et, si personne n’aime Millwall, Millwall s’en branle. À une condition : que personne ne vienne toucher une brique de sa légende. En 1993, le New Den a remplacé le Den. Six cents mètres d’écart, mais « un chiotte géant » nettoyé. Un sentiment n’a pas bougé et ne bougera jamais. Et ce depuis ce jour où le Old Den a été inauguré par l’ancien président de la FA, Lord Kinnaird, en 1910 sur ces mots simples gravés sur une plaque : « Nous ne tournerons jamais le dos à l’ennemi. »
The Home
Que reste-t-il aujourd’hui des Lions ? La résistance, forcément, et les dernières semaines n’en ont été que la plus belle des représentations. C’est l’histoire de la dernière balle envoyée dans les murs du Den et de ses alentours. Une cartouche silencieuse qui a explosé il y a quelques mois dans la gueule des rejetés éternels. En toile de fond, un projet immobilier obscur destiné à changer la gueule du coin où la frontière entre politiques et businessmans n’a jamais été aussi facilement franchissable. L’idée avait alors germé dans l’esprit du conseil local de Lewisham, propriétaire du stade, de vendre les terrains incluant le Den à un promoteur flou – Renewal – au cœur de négociations ayant mêlé des parties dans les paradis fiscaux, les conflits d’intérêts, mais surtout la révolte d’un peuple. Face à cette nouvelle, la mobilisation des supporters de Millwall a été immense avec des manifestations, une pétition signée par plus de 25 000 personnes dont Gary Lineker ou encore Tim Cahill, formé au club, et plusieurs associations qui se sont impliquées jour et nuit pour sauver la base de leur identité. Finalement, le projet a été arrêté après plusieurs révélations, grâce notamment au travail énorme du Guardian, et le Den a été sauvé, cette fois encore. Millwall n’a pas tourné le dos à « l’ennemi affreux sans sentiment et imbibé par ses intérêts » .
Le pouvoir de l’électricité
Voilà le tableau des dernières semaines d’un club qui évolue en League One depuis août 2015 et qui n’ambitionne qu’une chose : remonter le plus vite possible en Championship et retrouver le fil de son histoire. L’an passé, Millwall a échoué en finale d’accession face à Barnsley (1-3). Cette saison, les soldats de Neil Harris, gueule historique des Lions, buteur mythique entre 1998 et 2004, et 2007 et 2011, avant d’enfiler la parka de coach à l’été 2015, sont encore en course pour retrouver l’étage supérieur. Une priorité selon Harris alors que le club, actuel sixième de League One – à neuf points de Scunthorpe United, premier promu automatique virtuel –, s’apprête à poursuivre sa route en FA Cup samedi en recevant Leicester au Den. Un endroit qui peine encore à retrouver son affluence d’hier, mais où l’atmosphère ne changera jamais. Les qualifications contre Bournemouth (3-0) et Watford (1-0) lors des tours précédents l’ont prouvé. Et si Millwall peut casser la gueule d’un nouveau costaud de Premier League, il le fera sans pitié. Gagner au Den est un défi humain où il faut s’avoir affronter l’hostilité, se taire face aux insultes et surtout dépasser ces mecs affamés contre qui on fait face. Les Lions sont invaincus depuis le 17 décembre dernier, ont impressionné contre Watford, et Neil Harris a déjà promis une « aventure électrique » à des Foxes qui ont la queue tendue depuis quelques semaines. Samedi sera une nouvelle preuve de résistance. Reste à savoir la forme qu’elle prendra.
Par Maxime Brigand