La baston façon Bastoni

À l’échelle du football italien, l’Atalanta est un petit club. Un petit club avec de grandes idées. À Bergame, voilà des années qu’on pense le football avec un temps d’avance. Si la brillante gestion de la Dea a été largement saluée, une erreur vient sans doute entacher le bilan quasi impeccable des Nerazzurri. En 2017, le club lombard accepte de céder à l’Inter pour 10 millions d’euros le grand échalas le plus prometteur de son centre de formation. Nom : Bastoni. Prénom : Alessandro. Cinq ans plus tard, à 22 ans, le gamin affiche déjà un Scudetto et un Euro à son palmarès. Encore plus fort : il est devenu l’homme fondamental de la défense de Simone Inzaghi, qui a fait de lui l’arrière central le plus créatif et offensif de Serie A.

Avanti Bastoni !

Pour prendre l’ampleur de la saison du numéro 95 de l’Inter, il suffit de regarder une semaine en arrière. Les Milanais défient alors la Lazio à San Siro, et Bastoni est partout. Au charbon en défense, où il récupère sept ballons, total le plus important parmi le trio de défenseurs centraux nerazzurri. Mais surtout devant, en multipliant les montées pour créer le surnombre sur le côté gauche, voire pour apporter le danger dans la surface adverse. Résultat des courses ? Une victoire 2-1 de l’Inter, avec un but de Bastoni aux vingt mètres et une passe décisive du bonhomme pour son compère de défense Milan Škriniar.

Rien de nouveau sous le soleil de Milan. Cette saison, Alessandro Bastoni est le facteur X du jeu offensif des Noir et Bleu. Lui, le défenseur central de métier et de raison. Au sein du 3-5-2 interista, il peut multiplier les dézonages, les une-deux avec Perišić et les montées balle au pied. Le jeu de l’Inter – meilleure attaque de Serie A, avec 51 buts – y a fortement gagné en versatilité. Les statistiques sont formelles : Bastoni est à la fois le central lombard qui cumule le plus de passes décisives (trois), et celui qui a distribué le plus de services clés à ses partenaires (23, contre seulement 6 et 3 pour Škriniar et De Vrij, ses homologues en défense). C’est aussi le cinquième joueur de l’effectif qui centre le plus, ou encore le second derrière Brozović qui récupère le plus de ballons dans la moitié de terrain adverse. Bastoni a même tenté plus de dribbles que des coéquipiers théoriquement plus offensifs que lui, comme Çalhanoğlu et Dumfries.

Made in Bergame

Surprenant ? Oui et non. Si Bastoni était déjà devenu la révélation défensive de la Serie A sous les ordres d’Antonio Conte, il n’avait jamais paru aussi entreprenant offensivement. Simone Inzaghi, qui veut jouer un football pro-actif avec une ligne de récupération haute, a pourtant compris qu’il pouvait faire du ragazzoun de ses joueurs clés pour créer du danger devant. « Aujourd’hui, nous sommes moins dans l’esprit de contre-attaquer que sous Conte, confirme Bastoni. Nous avons perdu Romelu Lukaku, et Edin Džeko est un joueur différent, mais nous avons su nous adapter. Je crois surtout qu’Inzaghi nous a donné la liberté nécessaire, celle qui nous permet de nous rappeler que le football est un jeu. »

De fait, Bastoni a été formé pour ne pas rentrer dans les carcans classiques du défenseur central. Son élégance balle au pied et son intelligence collective sont le résultat d’un travail de fond, entrepris il y a des années. « J’ai toujours joué derrière. J’ai affiné mes qualités techniques à l’Atalanta grâce à des formateurs comme Mino Favini et Gianluca Polistina, confiait déjà Bastoni en 2017, alors qu’il venait de faire ses débuts en Serie A avec la Dea. Grandir dans les équipes de jeunes de l’Atalanta, où ils vous transmettent beaucoup d’un point de vue technique, a été une chance, c’est certain. Ils m’ont toujours appris à jouer ballon au sol. À l’heure actuelle, les milieux de terrain techniques sont souvent marqués par l’équipe adverse. Donc, je pense que la responsabilité des défenseurs dans la phase de construction va encore augmenter. »

Objectif patron de sélection

Après avoir été acheté par l’Inter, Bastoni était resté une saison en prêt dans son club formateur où il avait pu continuer son apprentissage de la Serie A sous les ordres de Gian Piero Gasperini (quatre matchs de championnat disputés, en 2017-2018) : « Il faut un peu de temps, pour assimiler ce que Gasperini attend des défenseurs. Mais une fois que vous comprenez qu’il veut vous voir passer devant votre adversaire, ça porte ses fruits. Deux arrières se concentrent toujours à défendre en avançant, tandis que le dernier assure la couverture. Souvent, si vous récupérez le ballon, vous êtes très vite devant la cage adverse. Beaucoup de nos buts sont nés de la récupération d’un défenseur. »

C’est un schéma analogue que répète à l’Inter l’ancien Bergamasque cette saison. Avec une virtuosité évidente : Bastoni est sans doute le défenseur le plus en vue de cette première moitié d’exercice transalpin. Indispensable en Lombardie, il lui faut désormais faire son trou dans le onze type de la Nazionale où il reste encore barré par l’increvable duo Chiellini-Bonucci. Le Mondial 2022 lui permettra peut-être d’enfin se distinguer en Azzurro, en supposant que l’Italie parvienne à se qualifier pour l’épreuve suprême. En attendant, Alessandro Bastoni retrouve Bergame ce dimanche soir, alors que l’Inter défie l’Atalanta pour la 22^e journée de Serie A. Un petit club avec de grandes idées, sans qui Alessandro Bastoni ne serait peut-être pas le sublime défenseur qu’il est devenu aujourd’hui.