- International
- Racisme
Kylian Mbappé, nouveau pourfendeur du racisme ?
En affirmant qu'il souhaitait que tout le monde sorte du terrain en cas d'insultes racistes descendues des tribunes, Kylian Mbappé a tapé du poing sur la table. Et si cette menace n'apparaît pas encore comme la solution idéale pour certains, l'attaquant de 21 ans a, au moins, eu le culot d'enfoncer une porte trop souvent laissée entrouverte.
« C’est dommage, car l’Italie est un pays formidable, la Serie A possède des clubs historiques et brille à nouveau depuis quelques saisons en attirant de nouveau de grands joueurs. Cristiano Ronaldo a ramené beaucoup de lumière à votre championnat, mais l’incapacité à résoudre le problème du racisme ruine tout. » Ces mots sans ménagement sont ceux de Kylian Mbappé, délivrés à la fin d’une longue interview publiée par la Gazzetta dello Sport, mercredi. Également questionné sur les voix qui réclament aux joueurs de quitter le terrain en cas d’insultes racistes, l’attaquant du PSG n’y est pas allé par quatre chemins : « Je suis d’accord si tout le monde le fait, noirs et blancs. Si quelqu’un ne sort pas, cela veut dire qu’il accepte quelque chose d’inacceptable. Cela suffit maintenant avec les « si » et les « mais ». Il ne faut pas attendre que le problème frappe à votre porte pour le résoudre.[…]Cependant, il faut aussi se demander si tout le nécessaire a été fait hors des stades pour résoudre le problème du racisme dans les stades. » Une prise de position claire et nette qui montre que le môme de 21 ans, aussi génial qu’insupportable ces derniers mois, veut faire partie de ce combat.
Un fléau, mais zéro porte-parole
Avec la double utilisation du verbe impersonnel « falloir » , la réponse de Kylian Mbappé résonne presque comme celle d’un homme politique plein de bonnes intentions, mais dépourvu de solutions. Qu’importe, trop peu sont ceux à oser prendre la parole sur ce sujet si épineux, et notamment les Français, faussement persuadés que ce fléau ne gangrène que leurs voisins. Visé par des insultes racistes en avril dernier sur la pelouse de Cagliari, Blaise Matuidi avait alors confié à L’Équipe que la solution idoine n’était peut-être pas de quitter le terrain. Pourquoi ? « Parce qu’il y a un match, il y a mes coéquipiers aussi, et je ne dois pas penser qu’à moi. Après coup, je me dis que si je quitte la pelouse, je donne raison à ces gens-là. Et je n’en ai pas envie. Il faut les pointer du doigt. » S’il n’avait pas donné de marche à suivre, le milieu de terrain de la Juventus avait quand même profité de cette interview pour lancer un appel à la prise de conscience collective : « Je vais vous dire le fond de ma pensée : je pense que ce serait bien qu’un grand témoignage émane d’une personne qui ne soit pas de couleur. Ce serait plus marquant. Ce serait génial. On doit tous prendre conscience de ce fléau. »
Quatre mois plus tard, c’était au tour de Paul Pogba de s’exprimer sur la question. Victime d’insultes racistes, que ce soit lors de Russie-France en mars 2018 ou en août 2019 sur les réseaux sociaux après un penalty raté en championnat, il demande fin décembre à ses coéquipiers d’arborer un brassard contre le racisme. Interrogé après la rencontre sur son initiative, il avoue préférer agir plutôt que parler : « Je ne veux pas être président, je ne veux pas faire de la politique ,car nous sommes juste des joueurs de football et on veut aimer cela. C’est pour montrer notre opposition au racisme et je ne veux pas donner des interviews, mais bien pousser les gens à en parler. On est simplement pour le football, pour aimer le football; » L’inverse de Kylian Mbappé, qui ne s’est pas débiné au moment de prendre position pour une menace qui aurait fière allure si elle était (enfin) exécutée : celle de quitter le terrain collectivement en disant « fuck off » . Mais après ?
Des paroles aux actes
Si Mbappé est l’un des rares internationaux français à réclamer que les joueurs quittent la pelouse en cas d’insultes racistes en tribunes, il n’est pas le seul à l’avoir fait en Europe. En octobre dernier, avant une rencontre de qualifications pour l’Euro à Sofia, le jeune Tammy Abraham avait lui aussi dégainé cette menace après les insultes subies par Raheem Sterling au match aller : « Si ça arrive à l’un d’entre nous, c’est comme si toute l’équipe était visée. Harry Kane a même dit que si nous ne sommes pas contents, si un joueur n’est pas content, on va quitter le terrain, tous ensemble. » Mais cinq jours plus tard, alors que le match entre Bulgares et Anglais est interrompu à deux reprises à la suite des cris de singe et des saluts nazis, les Three Lions vont jusqu’au bout du match et ne quittent pas la pelouse du stade Vassil-Levski. Un pas en arrière qui peut être compréhensible au vu de l’importance de cette rencontre pour la sélection anglaise, mais qui pose deux questions : quelle équipe de premier plan prendra un jour son courage à deux mains et quittera la pelouse sans même consulter l’arbitre ? Et encore combien de temps devrons-nous attendre pour que cela arrive ?
Alors oui, une équipe entière a quitté une pelouse récemment, mais ce sont les U16 du Hertha Berlin, qui l’ont fait dans un anonymat quasi complet. Oui, ces mots sont sans doute le fruit d’une communication toujours plus travaillée. Et oui, ce n’est ni difficile, ni très engageant pour lui de prendre parti pour cette solution trop souvent considérée comme radicale et contre-productive. Mais l’international tricolore a le mérite de le faire et de se mouiller là où certains joueurs n’osent même pas s’aventurer, tout en remettant en cause l’efficacité des mesures prises jusqu’à présent. Après cette prise de position, l’attitude de Mbappé sera évidemment scrutée si l’occasion se présente un jour. Mais comme le déclarait Olivier Dacourt dans un entretien au Parisien avant la sortie de son documentaire sur le racisme dans le football, « la seule solution, c’est qu’un joueur de très grande envergure quitte la pelouse définitivement.[…]Le jour où Kylian Mbappé quittera la pelouse pour racisme, là on bougera. » Tout est dit.
Par Maxime Renaudet