- France
- PSG
Kylian Mbappé, le maître du jeu
La trêve internationale a donc débuté par une vaste opération de communication de Kylian Mbappé. Dans des entretiens donnés à L'Équipe et RMC, l'attaquant parisien met les choses au point sur de nombreux sujets, dont son envie assumée de quitter le PSG pour le Real Madrid cet été. Un exercice totalement maîtrisé par le champion du monde, qui a encore une fois pris son destin en main.
Au moment de quitter la pelouse du Roazhon Park dimanche après-midi après la première défaite de la saison du Paris Saint-Germain, Kylian Mbappé savait. Le champion du monde savait que son plan de communication parfaitement exécuté (sans aucune ironie) serait publiquement révélé au début de cette nouvelle trêve internationale. En milieu de semaine dernière, entre la victoire contre Manchester City en Ligue des champions et le revers à Rennes en championnat, Mbappé a retiré ses crampons pour raconter sa vérité, donner son ressenti et occuper l’espace médiatique en accordant deux entretiens très ressemblants à RMC et L’Équipe. À deux jours de la demi-finale de Ligue des nations contre la Belgique et après une série de six matchs sans marquer avec le PSG (sa pire disette depuis qu’il est arrivé dans la capitale), l’initiative pourrait paraître couillue, voire suicidaire. C’est pourtant tout le contraire à la lecture de l’interview publiée dans l’édition de mardi du quotidien français : Mbappé n’élude rien, assume tout, et s’impose comme le maître du jeu dans tous les domaines. Autrement dit, il prend son destin en main.
C’est son destin
Les premiers extraits dévoilés par RMC dans la journée de lundi ont confirmé ce qui était facile à deviner tout au long de l’été : Mbappé avait envie de quitter Paris pour le Real Madrid. Il n’a en fait jamais été question pour lui d’attendre de ses dirigeants un effectif renforcé via un recrutement XXL — là-dessus, il n’avait pas été honnête —, sa décision étant « mûrement réfléchie ». Même l’arrivée de Lionel Messi ne pouvait pas le faire changer d’avis, et ce n’est pas une surprise. « Quand tu joues seulement avec des grands joueurs, tu dois faire des concessions, explique le Français. Tu n’es plus le seul gros joueur. Ce n’est plus toi et les autres, c’est tous ensemble. Parce que tout ce qu’on veut, c’est gagner. » Une manière indirecte de rappeler qu’à 22 ans, Mbappé aime être au centre de l’attention, au centre d’un projet, d’un club, ce qui n’est automatiquement pas le cas quand Messi débarque ou Neymar prolonge jusqu’en 2025.
Dans une forme de spontanéité maîtrisée, Mbappé joue cartes sur table quand il s’agit d’assumer le ridicule « clochardgate » ( « ce sont des choses qui arrivent tout le temps dans le foot » ) ou de concevoir de se mettre au service de Messi sur le terrain ( « Moi, je suis d’accord pour courir quand Messi marche, pas de problème ! » ). Au-delà de la pelouse, il se donne également le beau rôle dans le feuilleton de l’été qui s’est déroulé en coulisses. Non, Mbappé ne voulait pas prolonger. Oui, il souhaitait quitter le PSG. « Je pensais que mon aventure était terminée, raconte KM7. Je voulais découvrir quelque chose d’autre. Cela faisait six ou sept ans que j’étais dans le championnat de France. J’ai donné ce que j’ai essayé de donner à Paris et je pense que je l’ai bien fait. Arriver à 18 ans en post-formation et faire tout ce que j’ai fait, je pense que c’était quelque chose de remarquable. Après, chacun est libre de tirer les conclusions qu’il veut, mais c’était mon bilan. Partir était la suite logique. »
Il n’y a rien de nouveau. Mbappé avait fait le même coup à l’été 2017 quand il avait dit au revoir à Monaco, son club formateur, pour s’engager avec le PSG. S’il assure ne pas avoir un « un plan de carrière », le gamin de Bondy a souvent mis son intérêt personnel au-dessus de tout le reste. Le PSG n’était qu’une étape sur le chemin de sa gloire. Il ne l’a jamais caché : Mbappé veut entrer dans l’histoire de son sport, exploser des records, quitte à parfois récolter de la haine et des sifflets. Ces derniers auraient été un sujet délicat à aborder avec de nombreux joueurs, mais pas avec Mbappé : « Je me suis dit qu’à leur place, j’aurais sifflé aussi. Dans ce dossier, qui savait quoi ? On a entendu plein de choses. Je ne me suis pas dit : « Après tout ce que j’ai fait, ils me sifflent. » Non, j’ai pris ça comme une marque d’affection. Ils ne voulaient pas que je parte, ça veut dire que je suis important. Moi, j’étais au clair avec moi-même et avec ma situation. » Fort.
Le sens de la hiérarchie ? Non merci !
Il est trop courant de se plaindre que les joueurs n’ont rien à dire ou sont des adeptes de la langue de bois pour ne pas se satisfaire de voir Mbappé exceller dans l’exercice. Ce plan de com’ ne plaira sans doute pas à une partie des supporters parisiens, qui ne garderont peut-être pas le numéro 7 dans leur cœur, ce qui lui importe peu tant qu’il gagne ailleurs. C’est une philosophie de vie, un choix de mener sa carrière comme il l’entend. À la lecture des premières petites phrases dévoilées au compte-gouttes, Nasser al-Khelaïfi et Leonardo ont pu commencer à tirer la tronche, alors que le PSG n’avait visiblement pas été informé de ces deux entretiens. Il faut imaginer la tête du boss en découvrant cette réponse de son joueur dans L’Équipe : « Quand votre président dit devant le monde entier que vous n’allez pas partir, et pas partir libre… Sur le coup, j’étais un peu inquiet, je ne vais pas vous mentir. Je me suis dit : si je ne pars pas libre, il va m’arriver quoi ? Après, on prend un peu de hauteur et on se dit que c’est leur manière de manifester leur attachement. Ça veut dire que le club m’aime bien et ne va pas me laisser partir. » Une leçon de communication quand l’état-major parisien a multiplié les sorties hasardeuses au sujet de son génie français ces derniers mois. Les dirigeants parisiens sont aujourd’hui dos au mur : ils ne peuvent pas mettre au placard le meilleur joueur des quatre « fantastiques » depuis le début de saison et doivent se résoudre à l’idée qu’il ne portera plus le maillot du PSG dans quelques mois.
Il est rare de voir un joueur de 22 ans avancer ses pions sans prendre de pincettes. Mbappé n’a que faire de la hiérarchie, il l’a également rappelé en s’occupant poliment du cas de Noël Le Graët, président de la Fédération française de football et de près de 60 ans son aîné, qui avait rendu public le contenu de la rencontre entre les deux hommes après l’Euro. « C’était quelque chose de confidentiel, et quand c’est sorti, non, je n’ai pas compris, lance Mbappé. Je ne lui en tiens pas rigueur, je pense qu’il avait ses raisons, mais je ne me suis pas plaint pour un penalty, ce n’est pas vrai. Ce dont je me suis plaint auprès de lui, c’est d’avoir été insulté et traité de « singe » pour un penalty. Ce n’est pas la même chose. Je ne me plaindrai jamais pour un penalty : le penalty, c’est moi qui le rate. » Une nouvelle version des faits, la sienne, qui alarme une fois de plus sur les méthodes du patron du football français et ses pirouettes quand il s’agit de racisme. Mbappé, lui, sort presque grandi de cette opération de communication. Le champion du monde mènera sa carrière comme beaucoup d’autres, c’est-à-dire comme il l’entend, et il l’assume complètement. À lui maintenant d’être à la hauteur sur le terrain, à Paris comme avec les Bleus, avant de donner un nouveau tournant à son histoire.
Par Clément Gavard