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Kylian Mbappé, hors des sunlights des tropiques
S'il est censé se trimbaler une pancarte de star internationale dans ce Mondial, Kylian Mbappé avance plutôt masqué malgré ses bonnes performances. La faute à un déficit de popularité par rapport aux monstres Messi, Ronaldo et Neymar, mais aussi à sa discrétion hors des terrains.
« SUUUUUUUUUUU ! » Le match du Portugal vient de s’achever et, sur le chemin du retour, des dizaines de spectateurs profitent de l’acoustique d’un couloir de métro de Doha pour s’essayer chacun leur tour au cri signature de Cristiano Ronaldo. En plus d’avoir sa ganache plaquée dans tous les mall pour la qualité du tourisme chez le voisin saoudien, Lionel Messi peut lui s’enorgueillir de remporter le challenge du plus grand nombre de maillots floqués à son nom vus dans les rues de Doha. Neymar, visible en continu sur les petits écrans du métro, et après avoir déclenché l’hystérie à chacune de ses touches de balle, est un des personnages qui se retrouve le plus au centre des discussions et des inquiétudes après sa blessure contre la Serbie. À une autre échelle, même l’absent Sadio Mané est quelque part immanquable, un calicot de plusieurs dizaines de mètres égayant la façade d’une des tours de West Bay. Bien loin du podium, Kylian Mbappé traverse lui cette Coupe du monde des têtes de gondole dans une ombre relative. Déjà peut-être parce que l’équipe de France draine moins de passion que les deux Seleção et la Selección, résultante de décennies d’histoire, de marketing et d’influence aux quatre coins du globe. Aussi parce qu’à 23 ans, le Parisien a quelques années de notoriété à rattraper sur ses aînés. Le rapport de force purement sportif, notamment dans le contexte d’une compétition ultramondialisée, n’est pas toujours lié à l’aura dont bénéficient certaines personnalités, et l’organisation du tournoi semble avoir cerné cette donnée. Ainsi, le grand chapiteau qu’est le stade Lusail a déjà réservé ses ovations au Big Three. En trois matchs, les touristes, les locaux et le monde entier a pu pousser ses exclamations de groupie lorsque Cristiano Ronaldo devance ses coéquipiers pour lancer l’échauffement, lorsque Messi se présente derrière le ballon pour botter un coup franc ou que Neymar enclenche une série de dribbles. Pour espérer de tels honneurs du stade majeur de Doha, Mbappé et les Bleus devront atteindre la finale. Les jeux du cirque ont ça d’impitoyable.
Cette carpe de super-héros
Ce retard ne semble pas forcément saper le moral du « génie français » , bien au contraire. Alors qu’on connaît son appétence à prendre la lumière dès qu’il le peut, le Bondynois a choisi une tout autre stratégie de communication : le silence. Son entourage a déjà fait comprendre qu’il ne prendrait jamais la parole en conférence de presse durant l’ensemble du séjour. Le Mbappé le plus bavard est donc le papa Wilfrid, qui commente les matchs pour la télé togolaise, quand le fiston est plus apparu sur les réseaux sociaux des Bleus pour faire la promotion des nouvelles chaussures Nike Mercurial que pour discuter tactique avec les journalistes. Une manière de rester concentré sur ses objectifs sportifs élevés, mais aussi d’esquiver les sujets sensibles sur le Qatar, qui reste son employeur au quotidien, ou d’éviter qu’on lui impute la responsabilité d’allumer des mèches qui pourraient faire exploser le groupe, comme lors de sa joute verbale avec Olivier Giroud en amont de l’Euro 2021. Nommé deux fois joueur du match, Kyks a ainsi esquivé par deux fois la conférence de presse obligatoire pour chacun des lauréats du somptueux trophée Budweiser. La première, après le match contre l’Australie, a été décomptée par la FIFA comme le joker dont bénéficie chaque nation ; pour la seconde, la FFF a dû s’acquitter d’une amende de 10 000 francs suisses. La maîtrise de sa communication a un coût, mais pour le moment, avec ses trois pions en autant de matchs, la recette fonctionne.
Une évidence depuis deux semaines : ceux qui parlent le mieux et le plus de Kylian Mbappé sont les autres. À chaque passage devant un micro, ceux-là sont questionnés sur leur arme silencieuse. Il y a Coman qui décrit l’état d’esprit du bonhomme et son importance : « Il a encore plus d’assurance, on a besoin de lui pour aller jusqu’au bout de la compétition. » Il y a le rookie Kolo Muani qui en parle comme d’un tuteur : « Je discute beaucoup avec lui, comment garder son sang-froid devant le but ou des appels. » Il y a surtout Griezmann qui décrit le nouveau manteau duquel s’est vêtu son coéquipier : « Kylian n’est pas le même joueur qu’en 2018. Il n’a pas non plus la même personnalité. On le voit beaucoup dans le groupe, aux entraînements… Il parle beaucoup, met la joie de vivre, et sait qu’il est important pour nous. Il sait aussi que chaque geste qu’il fait, en dehors ou sur le terrain, est regardé par les journalistes, les fans, mais aussi par ses coéquipiers. » Dans cette optique, être muet n’empêche pas de se muer en leader.
Par Mathieu Rollinger, à Doha
Propos recueillis par Maxime Brigand.