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Mbappé-Deschamps : l’amour flou
Après celui d’octobre, Kylian Mbappé est absent pour le dernier rassemblement de l’année civile des Bleus. Les explications données par Didier Deschamps entretiennent le malaise régnant autour de son capitaine et de son détachement, au moins ponctuel, de la sélection.
Didier Deschamps est arrivé avec huit minutes de retard, ce jeudi après-midi, sur l’estrade de l’auditorium du siège de la FFF en raison d’un « petit souci d’imprimante », comme si la machine chère à Gutenberg voulait, comme lui, repousser un peu plus sa dernière liste de l’année 2024. Une conférence de presse du sélectionneur des Bleus ne ressemble jamais à une partie de plaisir, celle-là n’a pas fait exception. Elle n’avait pas besoin de commencer pour devenir un exercice de pénibilité pour DD, qui savait que la nouvelle absence de Kylian Mbappé, révélée une poignée de minutes plus tôt dans les médias, allait prendre le dessus sur tout le reste, de la première convocation de Lucas Chevalier à l’enjeu des deux rencontres à venir. Les présents dans la salle ne parlaient que de ça avant l’arrivée du patron, ils ont continué en posant la très grande majorité des questions – pour ceux qui ont la chance d’avoir le droit au micro – autour du cas du Madrilène. Moins de deux ans après avoir vu l’attaquant devenir un héros national, applaudi un peu partout dans l’Hexagone, après un triplé en finale de Coupe du monde, le malaise entre l’équipe de France et son capitaine qui ne l’est plus vraiment n’a jamais été aussi palpable.
« C’est mieux comme ça »
Il y a un peu plus d’un mois, à la même place, Deschamps justifiait l’absence de son capitaine par un pépin physique : « Il a un problème qui n’est pas grave, mais qui nécessite des soins pour pouvoir bien récupérer. Je ne suis pas là pour prendre des risques non plus. » L’excuse était parfaite. Mais le Real Madrid n’a pas fait le jeu du premier entraîneur de France en titularisant Mbappé lors de la victoire des Merengues face à Villarreal deux jours après l’annonce de la liste. C’était le début du grand flou. En tout cas exposé au grand jour, puisque la relation entre le sélectionneur et son capitaine ne s’est pas complexifiée du jour au lendemain, celle de Mbappé avec les Bleus non plus. Pour rappel, le joueur avait déjà hésité à se mettre en retrait après l’Euro 2021, marqué par son tir au but non transformé contre la Suisse et par les insultes racistes dont il avait été victime sur les réseaux sociaux.
💬 Didier Deschamps sur sa discussion avec Kylian Mbappé : « C’est des discussions aves les joueurs, j’écoute, ce ne sont pas des reproches, je me nourris de ces discussions en protégeant les joueurs » pic.twitter.com/kPBJNpY4UL
— la chaine L'Équipe (@lachainelequipe) November 7, 2024
« C’est mieux comme ça », a tranché le double DD ce jeudi, comme si on pouvait évacuer l’absence d’un capitaine et d’un joueur pesant 48 buts en 86 sélections comme une lettre à la poste. En répondant sans vouloir répondre aux nombreuses questions, Deschamps a laissé planer les doutes et ouvert la porte à toutes les hypothèses possibles pour expliquer l’automne délicat entre Mbappé et les Bleus. « J’ai eu plusieurs échanges avec lui, j’ai réfléchi et j’ai pris cette décision sur CE rassemblement. Je ne vais pas argumenter, a-t-il commencé avant d’argumenter un peu quand même. Je peux vous dire deux choses : 1) Kylian voulait venir, 2) ce ne sont pas les problèmes extrasportifs (son nom est cité dans une affaire d’agression sexuelle en Suède, NDLR) qui entrent en ligne de compte à partir du moment où la présomption d’innocence existe et doit exister. C’est un choix ponctuel. »
Mbappé et les Bleus, une histoire mise entre parenthèses ?
Le sélectionneur pouvait-il dire autre chose ? Admettre que c’était à la demande de son capitaine aurait exposé sur la place publique un rapport de force inversé entre les deux hommes. On ne sait alors pas s’il y a eu un accord dans la communication à mener entre les deux, histoire de soulager Mbappé de toute responsabilité après l’épisode du mois d’octobre et de lui éviter aussi un passage devant la presse durant cet ultime rassemblement de l’année, ou bien si Deschamps a vraiment choisi tout seul, comme un grand, de se priver de l’élément autour duquel il a voulu tout faire tourner. Soit pour le préserver, soit pour lui faire comprendre qu’il n’avait pas trop apprécié d’être pris pour un jambon le mois dernier. Le sélectionneur ne voulait « pas rentrer dans une argumentation qui amène à des interprétations », c’est totalement raté. Il a en tout cas entretenu le doute sur son capitanat et n’a pas voulu dire si son absence pouvait avoir un effet positif ou négatif sur le groupe. « Je n’ai rien à dire sur cette question », a-t-il lancé dans un demi-sourire.
Depuis la fin de l’Euro et la reprise de ces trêves internationales incessantes, Deschamps a répété son envie de régénérer son groupe, de donner des responsabilités à certains joueurs. « On a un stage avec deux matchs avec un cap que j’avais fixé sur lequel je reste. À savoir de donner du temps de jeu et le répartir sur des joueurs qui ont moins d’expérience, qui ont donné beaucoup de satisfaction au dernier rassemblement. Il y a une dynamique aussi », a-t-il encore martelé. Les observateurs ne sont pas des lapins de trois semaines : tout le monde sait que ni Marcus Thuram, ni Randal Kolo Muani, ni Bradley Barcola, ni Christopher Nkunku, ni Michael Olise ne passent devant Mbappé dans l’esprit de Deschamps. En tout cas, sportivement.
Deschamps a quand même laissé échapper qu’ils ne pouvaient « pas être d’accord sur tout », ce qui lui a valu une relance et une nouvelle crispation : « Je n’ai pas dit désaccord, j’ai dit on peut ne pas être d’accord sur tout, ce ne sont pas des désaccords. Ce sont des discussions que j’ai avec les joueurs comme à chaque rassemblement. Je m’en suis toujours nourri, qu’elles soient collectives ou individuelles. » Il peut noyer le poisson, on en reviendra au même constat : Mbappé et l’équipe de France, ce n’est plus une grande évidence. Il était venu au rassemblement en traînant des pieds en septembre, se présentant en conférence de presse au Parc des Princes avant le match contre l’Italie en faisant clairement comprendre qu’il n’avait pas envie d’être là et qu’il se moquait à peu près de tout. Qui sait, l’attaquant a peut-être besoin d’air, de couper, et on aurait très bien pu le comprendre à une époque où la santé mentale des footballeurs, même les meilleurs, même les plus riches, n’est plus trop un tabou. À l’inverse du jeu du chat et de la souris mené par Mbappé et Deschamps depuis plusieurs semaines.
Par Clément Gavard et Léo Tourbe