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Krychowiak, le talisman polonais

Par Romain Duchâteau
6 minutes
Krychowiak, le talisman polonais

La Pologne attendait Lewandowski, Milik ou encore Błaszczykowski. Depuis le début de l’Euro, elle n’aura finalement vu qu’un seul homme crever l’écran : Grzegorz Krychowiak. Révélé à Reims, le joueur de vingt-six ans a étoffé sa palette à Séville pour devenir un milieu complet. Et, surtout, le poumon d’une sélection ambitieuse.

Peut-être est-ce parce qu’il se sent quelque part chez lui. Peut-être, aussi, est-ce parce que cela lui rappelle un temps pas si lointain où tout a commencé. La France, Grzegorz Krychowiak, qu’il a découverte à quinze ans, en parle sans doute mieux que certains compatriotes tricolores. Ses atouts, ses charmes, ses raffinements, il les connaît tous. « Les Français sont fiers. Difficile de vous impressionner. Je comprends, car vous vivez dans un super pays, expliquait-il sans détour dernièrement. Vous avez Paris, la Côte d’Azur, le bassin d’Arcachon, plein d’endroits magnifiques. Paris, on n’y va pas pour se reposer ou passer des vacances, mais, au niveau architectural, il n’y a pas mieux. Avec la nourriture, je ne vous apprends rien, vous êtes au top. Quand vous allez à l’étranger, vous n’êtes donc pas impressionnables. » En revanche, le milieu de terrain polonais n’a eu de cesse depuis le début de l’Euro d’éclabousser l’Hexagone de son talent. Si les Biało-Czerwoni s’apprêtent à disputer le premier quart de finale d’un championnat d’Europe dans leur histoire, ils le doivent beaucoup au travail acharné réalisé dans l’ombre par le joueur de Séville.

De bûcheron rémois à belle andalouse

« À ce moment, je me sentais fort, j’avais confiance en moi. Lorsque c’est rentré, après un tel match, cette joie de continuer à l’Euro était quelque chose d’extraordinaire. » Le poing serré, l’exultation irrépressible et le soulagement manifeste. Quand Krychowiak a été le dernier à s’élancer sur la pelouse de Geoffroy-Guichard et a nettoyé la lucarne gauche de Sommer au terme d’une séance de tirs suffocante contre la Suisse (1-1, 5 à 4 aux t.a.b), c’est toute la Pologne qui est tombée dans l’ivresse. Et qui l’a remercié. Pour la qualification historique. Pour sa pugnacité sans faille. Car si le natif de Gryfice a donné l’impulsion lors du premier acte, il est également celui qui a permis aux siens de ne pas sombrer en seconde période. Une nouvelle prestation majuscule qui témoigne de la dimension prise par un joueur qui s’est révélé au Stade de Reims, après deux passages poussifs aux Girondins et à Nantes. C’est au cours de deux saisons (2012-2014) sous le maillot rémois que la Ligue 1 a appris à connaître l’homme de l’Est. Aux qualités d’abord athlétiques. « Ce qu’il dégageait, c’était tout d’abord une énorme force physique, confie Anthony Weber, son ex-coéquipier en Champagne-Ardenne. On l’appelait d’ailleurs le « Polak », voire parfois le « Bûcheron » (il mesure 1m86 pour 83 kg). Il bossait énormément et avait déjà une carrure naturelle imposante. Malgré cela, il était capable d’avoir un volume de jeu extraordinaire et d’avaler les kilomètres sans problème. Je me souviens que c’était quasiment impossible de le bouger dans les duels à l’entraînement. »

« Il ne rigole vraiment pas. À la fin des entraînements, il y avait toujours un joueur qui avait pris un coup à la cheville ou autre part (rires). Il ne fait pas exprès hein, c’est son jeu ! » complète Prince Oniangué, un autre ancien compère, avant de s’appesantir sur ses qualités : « Il effectuait un gros abattage au milieu de terrain et il avait une grosse détermination. Mais il a un secret : il travaille vraiment plus que tout le monde. Il arrive avant tout le monde, travaille en salle avant et après les entraînements. Et ça se répercute directement sur le terrain. C’est d’ailleurs à ses côtés que j’ai réalisé ma meilleure saison. » Vite trop grand pour l’Hexagone, le compagnon de la plantureuse Célia Jaunat est enrôlé par le FC Séville à l’été 2014. Un transfert vers l’Espagne qui s’accompagne toutefois d’interrogations, notamment sur le plan technique. Physiquement impressionnant, le Polonais étalait à l’époque encore quelques lacunes balle au pied. Mais au sein d’une Liga exigeante et sous l’égide d’un Unai Emery qui a su l’aiguiller, il élève son niveau de jeu. Se perfectionne. Prend de l’assurance. « On savait que c’était ça ce qui lui manquait au départ. On s’est rendu compte de sa progression quand on a affronté Séville en match de préparation la saison dernière, explique Weber. Il avait pris une dimension énorme, tous les ballons passaient par lui. Quand il avait signé là-bas, on se demandait si ça allait lui correspondre. Et, finalement, ça lui va comme un gant. »

Le cerveau d’Adam Nawałka

À pas feutrés, l’ancien sosie de Mickaël Vendetta et probable futur Parisien s’est logiquement imposé comme un membre inamovible du système andalou. Et si Séville a soulevé sa troisième Ligue Europa d’affilée cette année, c’est parce que le bougre de vingt-six ans a joué un rôle prépondérant. « Il a été important pour l’équipe comme la saison dernière et nous a donné une stabilité défensive. Avec Steven N’Zonzi, ils ont fait du bien. C’est une bonne doublette, assure son partenaire français Timothée Kolodziejczak. Il a progressé techniquement, ce n’est pas sa qualité première, mais il a travaillé là-dessus. On le sent plus à l’aise avec le ballon désormais, c’est sûr. Il n’est pas en galère avec ses pieds. Il a eu une confiance aveugle avec le coach Emery et il a pu encore plus se lâcher. » Dans les rangs d’une sélection polonaise décomplexée et qui peut regarder en face toutes les grandes nations du foot depuis son succès charnière contre l’Allemagne en 2014 (2-0, 11 octobre), la place du milieu a pris elle aussi un peu plus d’épaisseur. Au pays, d’aucuns murmurent même qu’il s’est tout simplement érigé comme l’élément le plus indispensable de l’équipe. Devant Glik, Błaszczykowski et le capitaine Lewandowski, lesquels forment avec lui la colonne vertébrale façonnée par Adam Nawałka.

Une formation qui se veut à l’image de la personnalité de son sélectionneur : rigoureuse, pointilleuse, orgueilleuse et passionnée. Après deux derniers championnats d’Europe complètement manqués (éliminations au premier tour en 2008 et 2012), la Pologne a soif de reconnaissance et entend s’inviter à la table des grands. En dépit d’une animation offensive parfois poussive et d’une défense souvent chahutée. « On veut que les Polonais soient fiers de nous. On a beaucoup de responsabilités vis-à-vis de notre pays, nos supporters, nos familles » , martelait au début de l’Euro le numéro 10 de la Polska, par ailleurs élu homme du match face à l’Irlande du Nord (1-0). Galvanisé par la victoire contre la Suisse, le discours de celui qui totalise 38 sélections s’est voulu bien moins policé. À l’aube d’un quart de finale historique, les ambitions sont désormais assumées et clamées avec une conviction inflexible : « Ce n’est que le début. Cette équipe a faim. Je pense qu’on a encore rien fait jusqu’à présent. Cette équipe a beaucoup plus d’ambitions qu’un quart de finale. On peut réaliser des choses encore plus belles. » Avec un Grzegorz Krychowiak rayonnant comme jamais, il n’est plus interdit de rêver.

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Par Romain Duchâteau

Propos d’Anthony Weber, Prince Oniangué et Timothée Kolodziejczak recueillis par RD, ceux de Grzegorz Krychowiak extraits de L’Équipe et France Football

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