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Kondogbia, geste d’humeur ou choix du cœur ?
Sans une blessure à la cheville, Geoffrey Kondogbia aurait honoré aujourd’hui sa première sélection avec la République centrafricaine, le pays de ses parents. Et tourné du même coup le dos à l’équipe de France dont il n’a porté que cinq fois le maillot chez les A. Un choix sportif très surprenant de la part d’un garçon qui, à 25 ans, incarnait encore l’avenir des Bleus. Depuis trop longtemps ?
« Le week-end dernier, on a vu ce qu’a fait Kondogbia contre Séville. Puis mardi, on a vu ce qu’a fait Pogba contre Séville. La différence a été flagrante. Je n’ai pas suivi la saison de tous les milieux de l’équipe de France, mais je pense que Kondogbia est au moins à leur niveau. Je le prendrais sans aucun doute si j’étais sélectionneur. » Marcelino n’est pas plus VRP que sélectionneur. Mais en mars dernier, date de cette sortie médiatique de son entraîneur à Valence, Geoffrey Kondogbia, plus appelé chez les Bleus depuis septembre 2016, avait bien besoin d’un coup de main pour revenir dans la course au Mondial. Pour autant, pourquoi comparer sinon l’incomparable, le compatible voire le complémentaire, si l’on se souvient que c’est ensemble, associés devant la défense, que Pogba et Kondogbia ont conquis la Coupe du monde U20 en 2013 ?
Peut-être parce qu’au gré de l’évolution de leurs carrières respectives et des fluctuations de celles-ci, mais surtout des choix de Didier Deschamps, les deux milieux sont un peu devenus concurrents en équipe de France. Ou plutôt un premier choix et une alternative. Depuis leurs débuts chez les A en 2013 (en mars pour Pogba, en août pour Kondogbia), le Mancunien a empilé 61 sélections, disputé trois compétitions internationales et remporté un Mondial, quand le Valencien n’est apparu que cinq fois sous le maillot bleu. Dont aucune en match officiel. Tout sauf un détail : le natif de Nemours pouvait donc toujours, selon les règlements de la FIFA, envisager de jouer pour la République centrafricaine, le pays de ses parents. Une perspective par laquelle il se serait laissé séduire début août, à en croire centrafriquefootball.cf. Généralement bien calé sur les Fauves du Bas-Oubangui, le site assurait début septembre que le dossier de changement de nationalité sportive du joueur avait été « introduit depuis bientôt un mois » .
Première différée
Sans une blessure à la cheville qui l’a privé du dernier match de Liga contre Levante et, plus emmerdant, d’un amical contre Alcoyano (D3 espagnole) mercredi, le gaucher aurait honoré ce dimanche en Guinée sa première cape avec la 108e nation au classement FIFA. Comme l’ancien Monégasque Frédéric Nimani, autre nouvelle tête de la sélection centrafricaine. Une sélection victorieuse du Rwanda (2-1) lors de la première journée de qualifications à la CAN 2019, certes, mais dont l’unique ligne au palmarès est la coupe de la CEMAC 2009, épreuve l’opposant quand le calendrier le permet aux cinq autres pays membres de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (Cameroun, Tchad, Guinée-Équatoriale, République démocratique du Congo et Gabon). Une équipe qui n’a jamais pris part à la Coupe d’Afrique des nations, pas même au championnat d’Afrique des nations, compétition réservée aux joueurs évoluant dans les championnats domestiques.
La Coupe du monde, n’en parlons pas : le pays, dont la seule rencontre face à une équipe non africaine s’est soldée par une défaite face à Malte (2-1 en août 2011), ne participe à ses qualifications que depuis 2002. Et encore, il a renoncé aux campagnes qualificatives pour les Mondiaux 2006 et 2010. Pendant ce temps, quelques-uns de ses camarades de la génération 93 (Areola, Umtiti, Pogba, Thauvin, mais aussi Varane, qui n’a pas remporté le mondial U20) étrenneront ce dimanche soir leur titre de champion du monde en France, contre les Pays-Bas… Contraste aussi saisissant qu’inattendu. Qu’est-ce qui peut bien pousser Kondogbia à consentir à ce grand écart ? Puisqu’elle n’est pas sportive, sauf à vouloir absolument évoluer avec Cédric Yambéré, l’explication est sans doute d’ordre sentimental. Son frère Evan, formé à Lorient, mais dont la carrière s’est essentiellement écrite dans les divisions secondaires belges, porte lui aussi le maillot bleu et blanc.
Un Rabiot bis ?
Surtout, le Valencien a développé un réel attachement aux pays de ses ancêtres, où il se rend fréquemment depuis deux ans et dont l’état actuel le préoccupe. « Je ne peux même pas décrire les paysages, il faut le voir pour le croire, confiait-il à So Foot en février. Quand tu arrives là-bas, tu te dis que tu n’es pas sur Terre, que tu es sur une autre planète. Dans tous les domaines, c’est insalubre : les infrastructures, l’eau, l’électricité… Imagine un truc élémentaire que tu as chez toi, n’importe quoi. Là-bas, ça n’existe pas. Les maisons, c’est de la taule qui ne filtre pas la pluie, les routes ne sont pas goudronnées…(…)On s’intéresse à tout ça avec mon frère, on est en train de voir ce que je peux faire pour agir à mon échelle. » Cela passe donc d’abord par le football, synonyme d’ancrage personnel plus profond encore en République centrafricaine.
Deschamps ne le dira sans doute pas, mais la perte, si elle se confirme, est réelle pour l’équipe de France. Dans un secteur où il a coutume d’appeler cinq joueurs, Kondogbia constituait à terme – avec Corentin Tolisso et Adrien Rabiot, ce dernier s’étant auto-exclu du quintette au moins temporairement – l’alternative la plus sérieuse derrière le duo Kanté-Pogba. Car ni Blaise Matuidi, dont la présence en Bleu est un débat permanent, ni Steven Nzonzi n’incarnent réellement l’avenir des Bleus à un poste où le vivier n’est pas aussi riche qu’en attaque ou en défense centrale. Sauf qu’après six saisons au plus haut niveau, où il s’est montré irrégulier, mais a surtout prouvé qu’il était capable du meilleur, le joueur formé à Lens en avait sans doute assez d’attendre un coup de fil de DD, avec qui le contact est selon lui rompu depuis un bail. Assez de « rêver » , comme il avouait le faire de la Coupe du monde il y a encore quelques mois ? En intégrant la sélection centrafricaine, il devra pourtant redoubler d’espoir.
Par Simon Butel
Propos recueillis par Matthieu Pécot et Antoine Donnarieix.