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Koc en cage
Süleyman Koc, ailier de Paderborn de 25 ans, a tout connu : la 2. Bundesliga, la 3. Bundesliga, la Regionalliga Nordost. Et surtout la prison, pour une série de braquages réalisés avec le « gang des machettes ». Retour sur l'itinéraire d'un homme qui vient de loin.
7e journée de Bundesliga, le 4 octobre dernier. Le Bayer Leverkusen, favori dans la course au podium, reçoit le surprenant promu Paderborn, qui, après un bon début de saison (2 victoires et deux nuls), est rentré dans le rang suite à deux défaites logiques contre le Bayern et Gladbach. Calendrier difficile donc pour le petit nouveau, puisqu’après le champion en titre et le sixième de l’exercice précédent, voilà le quatrième au menu. Mais à la vingtième minute, Lukas Rupp adresse un long ballon à droite dans le dos de la défense à destination de son ailier, Süleyman Koc. Leno, le portier du Bayer, décide donc de se prendre pour Neuer et d’intercepter la passe, et rate la balle. Koc, à l’angle de la surface, n’a plus qu’à frapper dans les cages délaissées. C’est son premier but en Bundesliga. Leverkusen finira par revenir en fin de match pour arracher le nul 2-2 grâce à la hype Bellarabi. Koc n’oubliera sans doute jamais ce match. Parce que, comme Corneille (le chanteur, pas le dramaturge qu’on nous faisait lire au collège), il vient de loin. L’homme ne facture que six petit mois en 2. Bundesliga à Paderborn. Au début de la saison 2013-2014, il était au SV Babelsberg 03, un club de Potsdam, non loin de Berlin, relégué en Regionalliga Nordost (la quatrième division). Et en décembre 2011, la fin du monde l’a frôlé, lorsqu’un tribunal de Berlin le condamne à trois ans et neuf mois de prison pour une série de braquages.
Drive
Le 18 avril 2011, la police pénètre dans l’appartement du frère de Süleyman, Sedat, et les arrête tous les deux, ainsi que quatre autres adolescents. Ils sont suspectés d’être le « gang des machettes » , un groupe de braqueurs s’en prenant aux casinos de Berlin, le plus souvent armés de couteaux, épées et machettes, forcément. « Je ne pouvais pas dire non » , dira plus tard Süleyman lors du procès. À l’époque, il se sent seul dans son nouveau club de Babelsberg, et deux amis de son frère avaient besoin d’un endroit où habiter. Des « amis » pas vraiment recommandables, plongés dans la drogue et le crime. Au début, ils ont juste besoin de sa voiture, une banale Toyota Yaris. Puis ils lui demandent de faire une Ryan Gosling : Koc attend au volant, pendant que son frère et ses deux acolytes pillent un casino. Généreux, il met même Guido Koçer, l’un de ses coéquipiers, au parfum, désormais chargé de repérer les lieux. La carrière de ce dernier n’en pâtira pas, étant seulement condamné à 18 mois de liberté surveillée après avoir coopéré avec les autorités. Koc préfère lui la boucler lorsqu’il passe sur le gril. « Nous avons été élevés de cette façon, explique-t-il plus tard à 11Freunde. Ne jamais parler à la police, ne jamais trahir un ami, c’est une question d’honneur. » Koc plonge.
Une cellule individuelle de sept mètres carrés, 23 heures par jour, une fois par semaine dans la salle de musculation sur un vélo hors d’âge. Voilà ses conditions de détention lors de ses onze mois de détention provisoire. « C’était un très mauvais moment, confie Koc. J’ai besoin du football pour me sentir bien. » Trois, quatre fois au moins, un garde l’emmène jouer sur un petit terrain en gazon synthétique. « Tu es bon, fais bon usage de ta seconde chance si tu en as une » , lui dit-il. En cage, Koc n’est pas bien. Des douleurs à la poitrine le tourmentent. Il les combat avec des somnifères, dort douze à quatorze heures par jour. Quand il se regarde dans le miroir, il voit ses cernes, et pleure. Koc est timide, calme, tranquille. Pas vraiment le genre à régner dans la basse-cour. Ses complices sont tous allés en centre de détention pour mineurs. Alors il s’est assis avec les pontes. Quand quelqu’un lui a demandé pourquoi il a pris part à des braquages, lui, le prometteur joueur pro, grogne : « C’est pas tes affaires » . La vérité aurait été destructrice : parce qu’il était trop gentil, parce qu’il avait les mauvais amis. Parce qu’il a été exploité. Parce qu’il a été complètement idiot.
Pire que notre histoire n’existe pas
À l’intérieur, Koc, qui marche sur des œufs, ne sait toujours pas dire non, et refile les survêtements que sa famille lui envoie à ses co-détenus. Malgré tout, il voit combien tout est éphémère. Il finit par se mettre à table, demandant pardon aux victimes et expliquant qu’il aime son frère et ne peut rien lui refuser. Finalement, en mars 2012, Koc en vient (et non pas au vin) à être libéré sous caution. Il commence à voir un psychothérapeute pour apprendre à fixer des limites, et Babelsgerg le reprend, en dépit des doutes de certains dirigeants. « Je suis prêt à donner à ce jeune homme la chance de reprendre pied dans notre société » , déclare alors Dietmar Demuth, le coach. « S’il se repent honnêtement de ses actes, il mérite une deuxième chance. Cela correspond aussi aux valeurs de notre club » , explique Thomas Bastian, le président du club. Pendant l’Hinrunde de la Regionalliga Nordost, Koc claque huit buts en quatorze matchs, et attire l’attention de Paderborn. Son président, Wilfried Finke, n’est pas non plus inquiet du passé carcéral de Koc : « J’ai appris à connaître le joueur personnellement. Tout le monde mérite une seconde chance dans la vie. » Depuis, Koc vit chaque jour comme le dernier.
Par Charles Alf Lafon