- Allemagne
- Hertha Berlin
Knut Beyer : « Les bistrots font partie intégrante de la culture berlinoise »
Supporter du Hertha depuis toujours et Berlinois pur jus, Knut Beyer est l’un des fondateurs du projet Aktion Herthakneipe. Son objectif ? Venir en aide aux bistrots de la capitale allemande touchés par le confinement lié au coronavirus. Un geste solidaire qui entend sauvegarder un pan du patrimoine local et, surtout, permettre aux fans de pouvoir continuer à boire des coups dans le futur.
Comme à Paris, les bars et restaurants de Berlin sont actuellement fermés pour cause de confinement. C’est ce changement de situation qui a provoqué la naissance de votre projet ?À l’origine, j’avais lancé une initiative en lien avec le projet de construction d’un stade propre au Hertha, car l’Olympiastadion ne lui appartient pas. Je partais du principe que la communication entre la direction du club et les pouvoirs publics était très mauvaise et qu’il fallait une tierce partie indépendante et qui émanait de la base. Le projet, baptisé Blau-Weißes Stadion, rassemble des supporters de tous les âges et de tous les horizons. Son but est de mener des réflexions pour trouver un lieu où ce nouveau stade pourrait sortir de terre. Mais le coronavirus est arrivé, et tout d’un coup, cela ne paraissait plus pertinent de débattre de la construction d’une enceinte sportive au vu de tout ce qu’il se passait en parallèle. L’un de nos membres, Klaus, est gérant d’un bistrot dont la situation économique a commencé à dégringoler, au point de menacer la survie de son établissement. C’est lui qui nous a convaincus de mettre le projet du stade au frigo et de lancer l’Aktion Herthakneipe. En plus du sien, on a identifié dix autres bistrots qui avaient besoin d’aide et on s’est concentrés sur eux pour leur apporter un soutien financier.
Où ces bistrots se situent-ils ?L’un d’eux, l’Olympia-Eck, se trouve à proximité directe du stade. Ce n’est pas un hasard puisque c’est là que nous avons l’habitude d’aller boire des coups les jours de matchs. Mais les autres sont répartis dans toute la ville. Leur seul point commun, c’est que leur gérant est fan du Hertha et que cela se voit dans la déco et l’ambiance de l’établissement.
Quels mécanismes de solidarité avez-vous mis en place pour les aider ?Tout d’abord, on a ouvert une cagnotte dans laquelle les supporters du Hertha peuvent donner ce qu’ils veulent. Pour l’alimenter, on ouvre des bars virtuels les jours de match et l’idée, c’est que les participants mettent dans la cagnotte le prix de ce qu’ils auraient consommé en temps normal dans leur bistrot préféré. Ensuite, on a édité des gadgets vestimentaires, comme un T-shirt, un pull ou un masque facial, mais surtout, un calendrier 2021 que l’on vend au prix symbolique de 18,92 euros, en référence à l’année de fondation du Hertha. Tous les bénéfices iront dans la cagnotte, et le club l’a mis en vente dans sa boutique officielle. Et pour finir, on va récupérer les maillots qui ont été portés lors du derby et on les vendra aux enchères.
Combien l’action a-t-elle rapporté jusqu’à présent ?Mon rêve, c’est qu’à la fin de ce deuxième confinement, on atteigne la barre des 30 000 euros. Ce serait vraiment génial parce que cela nous permettrait plus ou moins de prendre en charge les deux prochains mois de loyer des établissements que l’on soutient. En tout cas, l’action continuera jusqu’à ce que la vie normale reprenne son cours. Ensuite, il faudra progressivement que l’on passe à autre chose car comme je le soulignais, notre projet de départ reste la construction d’un nouveau stade pour le Hertha. Et c’est un projet qui demande énormément d’énergie, ce dont on aura bien besoin. Mais une chose est sûre : si l’existence de nos bars devait à nouveau être menacée, on recommencera sans hésiter.
Vous avez mentionné les maillots du derby, il faut préciser que les joueurs du Hertha arboraient votre logo sur la poitrine puisque le club est actuellement privé de sponsor principal. Sacrée reconnaissance quand même !En effet ! De mémoire, dans un derby de première division, cela n’était encore jamais arrivé qu’un projet mené par des fans se retrouve floqué sur le maillot des joueurs. Je trouve que c’est un signe fort que le Hertha ait choisi de faire alliance avec nous. Cela prouve qu’ils prennent notre travail au sérieux. Mais on peut effectivement les remercier de ne pas avoir de sponsor à afficher, sans quoi cela aurait été très compliqué. Surtout que je crois savoir que des négociations sont actuellement en cours. Si un accord avait été trouvé avant le derby, l’entreprise aurait forcément voulu apparaître lors d’un match pareil. On peut donc dire que l’on a eu de la chance !
On imagine que les réactions vis-à-vis du projet ont été globalement positives.Oui, c’est appréciable de voir que les gens se sont rangés derrière nous sans opposer de critiques, même lorsqu’ils ne sont pas supporters du Hertha. En même temps, notre action est hautement symbolique, car les bistrots font partie intégrante de la culture berlinoise. Berlin n’est pas une ville qui rayonne par son industrie. Ce qui lui donne sa valeur, ce sont les bars, les brasseries, ou encore les boîtes de nuit. Il y a même des fans de l’Union qui ont fait un don. Je connais personnellement certains d’entre eux depuis l’époque où nos deux clubs entretenaient une amitié par-delà le mur.
Vu la rivalité qui les oppose aujourd’hui, c’est un geste qui mérite effectivement d’être souligné.Attention hein, beaucoup d’entre eux sont quand même venus nous chercher en disant qu’ils avaient eu la même idée de leur côté, que notre projet était forcément piloté par une agence de comm’… C’est le discours classique ! Les Unioner pensent toujours qu’ils sont les seuls fans à se bouger et à mener des actions solidaires. Ça les emmerde qu’on puisse le faire ailleurs et en particulier chez nous. Mais la vérité, c’est qu’ils sont jaloux qu’on ait joué le derby avec le logo de notre action sur le maillot, quand eux affichaient le nom de la multinationale immobilière qui leur sert de sponsor. Et on ne s’est évidemment pas privés de les charrier avec ça !
En somme, on peut parler d’un succès sur toute la ligne.Et comment ! Mais ce n’est pas tout. Je vais vous raconter une dernière anecdote. À quelques jours du derby, lorsque le Hertha avait disséminé 60 000 drapeaux à travers la ville, la bière Berliner Pilsner, qui est l’un des sponsors de l’Union, avait répondu « Vous avez les drapeaux et nous, les trois points ! » Et là, un pote est allé les voir et leur a dit : « Écoutez. Si on gagne, vous mettez dans notre cagnotte dix bacs de bière par but marqué. » La brasserie a accepté et on a gagné 3-1. Donc là, on va recevoir 30 bacs qui seront stockés dans ma cave en attendant que le public puisse de nouveau retourner au stade. Mais le truc, c’est que le sponsor bière du Hertha, Berliner Kindl, appartient au même groupe que celui de l’Union. Maintenant, l’idée, c’est de leur demander de faire un geste équivalent et donc avec un peu de chance, on recevra le double ! Cela ferait ainsi 60 bacs de bière gratuite à se partager entre supporters quand nous pourrons revenir encourager notre équipe. Vivement le retour des beaux jours !
Wir möchten uns speziell bei Annette Hausschild, Fotografin der Agentur Ostkreuz, bedanken. Sie hat uns ohne langes Nachdenken den Abdruck eines Fotos aus ihren wunderbaren Buch „Last Days of Disco » erlaubt und das unentgeltlich zur Verfügung gestellt. Vielen Dank dafür. #hahohe pic.twitter.com/bEz0qcl0zu
— Aktion Herthakneipe (@Herthakneipe) December 8, 2020
Propos recueillis par Julien Duez
Photos : Aktion Herthakneipe et Iconsport.