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Kleinheisler, Werder’s original

Par Joël Le Pavous
5 minutes
Kleinheisler, Werder’s original

En Hongrie, on le surnomme Scholes pour sa chevelure poil de carotte digne du Mancunien retraité. Mais au-delà du comparo flatteur, László Kleinheisler, pur produit du Clairefontaine hongrois débarqué à Brême au mercato hivernal, est surtout le héros magyar ayant donné aux siens un avantage décisif lors du barrage aller contre la Norvège pour sa première sélection nationale. Un héros discret en diable.

Il a raté d’une semaine la mort tragique d’Ayrton Senna dans un virage à Imola et ne marchait pas encore quand Taffarel remerciait le ciel lors du sacre auriverde à la World Cup 94. Sous les yeux du jeune Ronaldo remplaçant. László Kleinheisler n’a ni le teint ni la nationalité d’un carioca, mais le ballon rond l’a agrippé tel le Fenomeno en son temps. Phénomène, il l’est devenu le 12 novembre 2015 à l’Ullevaal Stadion d’Oslo. Bernd Storck le lance chez les A, et « Láci » inscrit l’unique but de la rencontre à la 26e minute. Grâce à lui, les Magyars posent un panard en France. Puis deux au retour via Priskin. D’un coup, la Hongrie foot s’emballe. Qui est ce numéro quinze rouquin dont personne ne soupçonnait le talent ? Réponse : un milieu format Valbuena dépassant « Petit Vélo » de six centimètres (1m73). Un milieu façonné à la Puskás Akadémia, le Clairefontaine maison imaginé par le Premier ministre Viktor Orbán pour permettre à la Hongrie de réintégrer l’élite comme à l’époque du Major galopant. Un milieu plutôt fit issu du même bled (Kazincbarcika) que la papesse du fitness magyar, Réka Rubint. Un milieu volontaire et adepte du contact, à l’instar du boss du onze gouvernemental sur les pelouses.

« On payait ses licences annuelles »

S’il préfère le polo à la chemise à carreaux plébiscitée par Orbán, « Láci » partage les racines rurales du taulier de la Hongrie. Kleinheisler grandit à Csobánka, bourg vallonné du massif des Pilis situé à 25 kilomètres de Budapest. Le marmot est turbulent et déteste l’école. Ses vieux l’inscrivent dans un CAP cuisine local, mais il se fiche de la spatule et n’arrive même pas à cuire un œuf dur. En revanche, il vénère le cuir. Dans le salon familial, son beau-père et sa mère dissimulent difficilement leur émotion en montrant à la chaîne commerciale magyare RTL Klub la tunique de leur progéniture à Oslo. «  »Láckó » avait deux ans à peine quand j’ai rencontré sa maman, et le ballon lui collait déjà aux pieds. Il en traînait toujours un avec lui et à la maison, on jouait sans arrêt puisque j’avais moi-même fait du foot dans ma jeunesse. Il me le renvoyait aussi proprement du pied droit que du gauche. J’ai vite compris qu’il aurait un avenir dans ce sport. J’allais jusqu’à emprunter de l’argent à mes amis histoire de lui acheter les équipements nécessaires » , se souvient János Horváth qui l’a élevé en courant constamment après le flouze malgré ses tonnes d’heures supplémentaires dans une carrière voisine.

Le rêve de János et de « Láci » se réalise lorsque le Videoton Székesfehérvár propose à l’espoir de 19 ans son premier contrat professionnel en 2013. Kleinheisler a séduit les dirigeants après deux saisons d’efforts à l’académie de Felcsút dont il deviendra par la suite l’une des vitrines de choix. Mais avant d’incarner les exemples de réussite, le milieu hongrois s’affûte en OTP Bank Liga et contribue au titre 2014/2015 du « Vidi » , finaliste malheureux de l’UEFA 85 face au Real Madrid. Problème : László peine à progresser et Felcsút le récupère en prêt. Jusqu’à ce but norvégien dingue le sortant de l’anonymat. L’ancien Toulonnais György Bognár s’est occupé du bonhomme au sein d’un centre de formation du troisième arrondissement de Budapest : « J’ai longuement discuté avec ses parents pour le faire entrer dans notre établissement. Son habileté des deux pieds se remarquait immédiatement. Les cours l’embêtaient clairement plus que le foot. Il fallait l’encadrer au maximum afin qu’il finisse le collège. Et en plus, sa famille manquait cruellement de moyens. On payait ses licences annuelles et on finançait sa présence aux camps d’entraînement. On l’a pris en main parce que c’était un gamin fantastique. »

« Brillant et agressif »

Fantastique ? Assez convaincant, en tout cas, pour pousser le Werder à parier sur la pépite fin-janvier en dépensant 300 000 euros de frais de transfert assortis d’un contrat de trois ans et demi. Et pourquoi l’Allemagne ? Peut-être parce que Kleinheisler, outre son patronyme à consonance germanique, a mis l’entraîneur Bernd Storck et son assistant Andi Möller dans sa poche. La preuve : l’ex-coach du Kazakhstan et le champion d’Europe 96 avec la Mannschaft le trouvent « brillant, rapide et agressif » . Brillant ou pas, « Láci » vient d’éviter de peu la descente en 2. Bundesliga. Un bizutage teuton tendu. Kleinheisler le joker estimé en Basse-Saxe garde néanmoins son enfance galère dans un coin de la tête. « Je me bats à 100 % pour accomplir mes objectifs, et les Allemands apprécient cette mentalité. Je suis heureux et le serai encore plus si je parviens à aider mes parents encore plus qu’actuellement. Je leur reverse une partie de ce que je gagne depuis que je vis du foot. Je ne dis pas ça pour m’envoyer des fleurs. Pour moi, c’est surtout la chose la plus naturelle du monde. Je n’oublierai jamais à quel point mon père m’a soutenu pour que je puisse devenir joueur professionnel » , lâche le Brêmois d’adoption. « Láci » était l’un des meilleurs Magyars contre l’Allemagne à Gelsenkirchen et espère reproduire la perf’ ce soir face à l’Autriche d’Alaba et d’Arnautović. La Matmut Atlantique de Bordeaux accueillera le 137e choc Vienne-Budapest de l’histoire joué depuis 1902. Record inégalé du Vieux Continent. Quel que soit le résultat, l’archange d’Oslo a d’ores et déjà acquis son auréole. Sur une affiche du pétrolier MOL (le Total local, ndlr) appelant à soutenir la Hongrie, on l’aperçoit bras croisés et regard déterminé aux côtés de l’attaquant Dániel Böde et du fameux Dzsudzsák. Paré à se défoncer en France.

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