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Kjetil Knutsen, Maître Glimt
Depuis son arrivée sur le banc du FK Bodø/Glimt en 2017 comme adjoint, Kjetil Knutsen a fait passer le club du nord de la Norvège dans une autre dimension. Une galaxie parallèle qui voit le champion local en titre se déplacer à l’Olimpico, ce jeudi, pour y défier l’AS Rome en quarts de finale de la Ligue Europa Conférence. Avec la ferme ambition de remettre une nouvelle claque à José Mourinho.
20 octobre 2021, veille de match à Bodø. Dans une obscure salle de l’Aspmyra stadion, l’antre de 8000 places du FK Bodø/Glimt, les conférences de presse de l’AS Roma et du champion de Norvège en titre se déroulent sans encombre. Lorsque c’est au tour de Kjetil Knutsen de se présenter devant les journalistes présents pour l’occasion, une question plus légère arrive à ses oreilles : « On surnomme José Mourinho le« Special One ». Qu’en est-il de vous ? » Amusé, le pimpant quinquagénaire répond du tac au tac « : Eh bien, étant donné que le« Normal One »est déjà pris(par Jürgen Klopp, NDLR), vous n’avez qu’à m’appeler lePretty One! » Beau, Kjetil l’est presque tout autant que son équipe le lendemain. Sur sa pelouse synthétique, devant une foule en délire, Bodø/Glimt humilie les Giallorossi (6-1) et inflige au « Mou » la plus large défaite de sa carrière.
Six mois plus tard, hasard du tirage au sort, la Louve retrouve sur son chemin le club norvégien et son entraîneur tombeur au stade des quarts. Une nouvelle fois, Bodø s’impose (2-1) lors de la première manche, et la tension est palpable. Dans le tunnel qui ramène les 22 acteurs sous la douche, une empoignade a lieu entre Knutsen et Nuno Santos, l’entraîneur des gardiens de la Roma. Difficile de savoir qui a envoyé le premier marron, mais ce qui est sûr, c’est qu’aucun des deux ne sera présent dans l’arène à Rome ce jeudi. Forcément, sans son sorcier, Bodø est le plus lésé dans l’histoire. Mais les fondations solides bâties et renforcées depuis cinq ans à tous les étages du club laissent présager un âpre duel aux Romains qui cherchent encore la clé pour faire dérailler cette machine made in Norway.
Bodø, plus que le chanteur de U2
Il faut dire que depuis le début de sa campagne européenne 2021-2022, tout le monde s’est vautré sur le casse-tête Bodø/Glimt. Avec sept succès et quatre nuls, il reproduit sur le Vieux Continent ce qu’il inflige à Molde, Rosenborg et ses autres rivaux locaux depuis bientôt trois ans. Dernier exemple en date : sa double confrontation face au Celtic en février dernier en seizièmes de finale de Ligue Conférence. Sans avoir disputé le moindre match officiel depuis le mois de décembre – trêve norvégienne oblige – les Jaunes ont balayé les Bhoys (2-0, 3-1) sans trois joueurs majeurs partis lors du mercato à Krasnodar (le buteur Erik Botheim), Schalke 04 (le défenseur Marius Lode) ou Lens (Patrick Berg). Depuis trois ans, la formation nordique est contrainte de céder ses têtes d’affiche, mais ses résultats sont toujours là. Tout simplement parce que la recette du succès, elle, reste la même.
Kasper Junker en est l’exemple parfait. Le buteur danois de 28 ans, parti depuis au Japon pour défendre le blason des Urawa Red Diamonds, a vécu sa meilleure vie à Bodø/Glimt. Il n’y est resté qu’un an (de janvier 2020 à avril 2021) mais suffisamment longtemps pour décrocher le premier titre de l’histoire du club et terminer la saison avec des stats affolantes (27 buts et 11 passes décisives en 25 matchs de championnat). Mais comment un buteur qui n’avait jamais dépassé la barre symbolique des 10 pions a-t-il pu terminer si haut ? Junker l’admet : la qualité du scoutinga fait la différence. « Tous les joueurs sont recrutés pour « matcher » parfaitement avec leur style de jeu et ce qu’ils attendent, confirme Kasper. Ils ont un style, ils s’y attachent, et c’est très plaisant quand tu es joueur de faire partie de ce projet de jeu. » Ce style, c’est un 4-3-3 offensif qui n’a qu’une ambition : démolir son adversaire en marquant le plus de buts possibles. « Ce qui est impressionnant de l’intérieur, c’est que tu ne connais pas la peur d’attaquer, raconte l’ex-bomber maison. Tout le monde veut attaquer, et cela peut paraître presque naïf et simple, mais le leitmotiv principal est de divertir les gens. Durant cette saison, on avait toujours en tête que même si on prenait un but, on allait en marquer au moins deux derrière. C’est ce qu’il s’est passé. » Lors de cette saison du titre, le FK Bodø/Glimt a inscrit 103 buts en 30 journées. Un ratio qui rend les visages des adversaires bien pâles.
Cette efficacité de tous les instants est liée à la répétition des séances. Même s’il adore la nature, Kjetil Knutsen n’est pas fan des longues séances de footing dans les bois. Ce qui l’intéresse, c’est la répétition des mouvements. Dès le jour un (celui qu’on retient) de la préparation d’avant-saison, ses hommes répètent inlassablement et de façon plus ou moins longue des transitions offensives ou des attaques placées pour qu’en match, tout relève de l’instinct. « Je crois que c’est cette loyauté au jeu et à ce système qui fait que, saison après saison, les résultats continuent d’être là, appuie Junker. Chaque joueur qui vient à Bodø doit connaître ce style et chercher à être le meilleur dans son rôle. Tout le monde sait comment Bodø joue, mais c’est toujours aussi dur de jouer contre eux. » Outre ses principes de jeu qui feraient pleurer de joie Zdeněk Zeman, Kjetil Knutsen est avant tout attentif à ses hommes. Même s’il n’hésite pas à les bousculer quand il estime que c’est nécessaire. Junker : « Kjetil est un mec relax qui aime profiter de sa famille, de la nature qui est magnifique à Bodø, qui aime dîner avec ses assistants… Mais, il peut aussi être très dur sur le terrain. Quand tu vas débriefer des matchs par exemple, il va te dire sans filtre ce qu’il a pensé de ta prestation. En bien ou en mal, tout en restant juste. »
Un Viking bientôt à la conquête du Vieux Continent ?
Depuis qu’il a posé ses fesses sur le banc de Bodø, le natif de Bergen emploie un préparateur mental, Bjørn Mannsverk, qui est un ancien pilote de l’armée de l’air norvégienne. Ainsi, toutes les trois semaines, cet intervenant extérieur sonde ses joueurs pour qu’ils gardent l’esprit frais : « L’objectif, c’est qu’ils n’aient pas peur de rater ou de dire une bêtise, nous racontait Mannsverk en septembre dernier. Qu’ils aient suffisamment confiance pour tenter, car c’est de là aussi que vient la créativité. Les gens ont peur de faire des erreurs. Moi, j’apprends aux joueurs à aimer faire des erreurs. » Plus que simplement rentrer dans leurs cerveaux, l’homme fort qui entraînait dans les divisions inférieures depuis 2012 insuffle un ADN de victoire qui, selon l’aveu de Junker, « est rare dans le football norvégien » : « Lorsque l’on avait perdu (3-2) à San Siro face à l’AC Milan, il était dégoûté. Après le match, il est arrivé dans le vestiaire en disant : « Ok, on a bien joué, on peut être fiers, mais putain, on aurait pu gagner, merde ! » Venir à San Siro, bien jouer et perdre de peu, alors qu’il y a un monde entre Bodø/Glimt et l’AC Milan, ça ne lui suffisait pas. »
Dès lors, pas sûr que rester éternellement à Bodø/Glimt suffira à combler son appétit. Approché par Aberdeen, les Rangers ou même Norwich récemment selon la presse britannique, Kjetil Knutsen pourrait prendre son drakkar pour aller conquérir l’Europe. À 53 balais, la tête pensante de Bergen est convoitée, et même s’il ne ramène pas la Ligue Europa Conférence en Norvège, son directeur sportif Aasmund Bjorkan ne le remerciera jamais assez : « Je ne pense pas qu’un autre entraîneur dans le monde aurait pu faire ce qu’il a fait ici avec ses adjoints. Je suis en fait surpris que plus de clubs ne l’aient pas vu. Le travail de Kjetil à Bodø/Glimt a été absolument fantastique. Bodø, c’est une ville de 50 000 habitants… » Quoi qu’il se passe à Rome, même s’il devra suivre la rencontre depuis les tribunes, le « Pretty One » a de beaux jours devant lui.
Par Andrea Chazy
Tous propos recueillis par AC, sauf mentions.