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Kidiaba, le gardien de la paix

Par Christophe Gleizes, à Lubumbashi
Kidiaba, le gardien de la paix

Robert Kidiaba est l'idole de la RDC, un pays ravagé depuis vingt ans par de terribles conflits entre groupes armés. Le football en bandoulière, le gardien star du Tout Puissant Mazembe espère bien suspendre les massacres un jour. En attendant, il multiplie les parades, prie Dieu avec ferveur et danse sur ses fesses à chaque but marqué.

Le monde a découvert Robert Muteba Kidiaba un 14 décembre 2010. C’était lors de la demi-finale du Mondial des clubs, entre le Tout-Puissant Mazembe et l’Internacional Porto Alegre. À la 53e minute, lorsque Mulota Kabangu a ouvert le score dans la moiteur d’Abu Dhabi, il a non seulement permis au Tout-Puissant de créer un exploit sans précédent dans la compétition, mais aussi sonné le quart d’heure warholien de son gardien. Pour célébrer le but de son coéquipier en mondovision, le portier congolais a commencé à sauter sur son cul, sans s’arrêter. Inexplicablement. « Cette danse, on m’en parle très souvent, c’est ce qui m’a rendu célèbre » , sourit l’intéressé, qui n’a jamais quitté les artères poussiéreuses et colorées de Lubumbashi depuis son arrivée au club en 2002. « J’ai commencé à la faire dès 1995, au début de ma carrière. À la base, c’est un exercice d’entraînement, ça sert à travailler les abdominaux. Un jour, pendant une séance, j’ai essayé d’aller le plus loin possible. Sans raison particulière, juste pour voir. Résultat, j’ai fait cinquante mètres, et c’est devenu ma spécialité. »

La danse du cul, c’est ça :

Star à domicile

Cinq ans ont passé, mais la chorégraphie est restée. Ce savoir-faire unique, sa marque de fabrique, Kidiaba a appris à le cultiver avec soin et parcimonie. « Le public la réclame souvent, mais je ne la fais que lorsque l’on marque un but important » , murmure-t-il à distance de Patrice Carteron, qui a repris en main le TP Mazembe, quadruple champion en titre de République démocratique du Congo. « J’ai dû me fâcher une fois avec Robert. Il avait mal, il était blessé, et malgré tout, il voulait quand même faire sa danse pour faire plaisir aux supporters… J’ai cru rêver. » Star à domicile, Kidiaba a accédé au rang d’icône grâce à ses arrêts réflexes impressionnants et sa coupe de cheveux alambiquée, qui remporte un franc succès auprès des plus jeunes. « En Afrique, c’est un peu compliqué, je suis obligé de vivre caché en permanence » , avoue-t-il sans peine, discrètement retranché dans les locaux du club à l’heure de la sieste : « Je ne peux pas sortir à part dans une voiture aux vitres fumées, sinon c’est l’émeute, on me demande des autographes ou de l’argent. » Malgré la pression, ce dernier reste sympathique en toute occasion. « Il a un problème je crois, à huit heures du matin ou à minuit le soir, il a toujours le sourire, assène Carteron. J’en connais des joueurs qui sont stars seulement quand il y a les caméras et les appareils photos. Mais pas Robert. Depuis que je suis en Afrique, c’est la personne la plus gentille que j’ai rencontrée. »

Ce mardi, Robert s’occupe avec passion de ses abdominaux saillants sous un soleil de plomb. « À la maison, j’arrive à en faire 500 par jour. Mais là, on est en pleine préparation pour le match, je fais juste quelques séries de 50 » explique-t-il ingénu. Ce perfectionnisme, ce goût de l’effort, Kidiaba a appris à le cultiver pour perdurer. Premier arrivé, dernier parti, le joueur en demande toujours plus à l’entraînement. Pas mal pour un homme qui vient de fêter ses 38 ans, et qui a six enfants à charge. « La première chose qui m’a frappé chez lui ? Il est hyper professionnel. Lors des séances, il est vraiment demandeur, il peut passer sa journée sur le terrain » témoigne Zakaria Alaoui, l’entraîneur des gardiens, casquette vissée sur le crâne. Pour l’ancien international marocain, aucun doute, la plus grande qualité de Robert reste l’explosivité : « Il est très tonique. Physiquement, c’est une force de la nature. Et puis c’est un compétiteur acharné, la défense est rassurée quand il est là. Je ne dis pas qu’elle est fébrile quand il y a d’autres gardiens, mais Robert a beaucoup plus de vécu et de charisme. Il dégage beaucoup de force. » Élu meilleur gardien du continent en 2009, le principal intéressé ne veut cependant pas se gargariser, à l’ombre des palmiers : « J’apprends continuellement, je ne peux pas dire que je suis le meilleur. À la Coupe du monde, j’ai trouvé le niveau des gardiens excellent. »

Reconnaissance tardive

Si son portrait orne aujourd’hui les murs menant des vestiaires à la pelouse du stade, où les meilleurs joueurs sont peints dans une tentative – réussie – de Hall of Fame, le parcours de la star locale a longtemps été sinueux. « Quand je suis arrivé au club, j’étais le troisième gardien dans la hiérarchie. Les gens n’ont pas compris mon choix et ont essayé de me décourager. Mais j’ai travaillé dur pendant des mois pour être titularisé » . Patient, Robert s’impose petit à petit dans les cages, connaît ses premières sélections nationales en 2003, remporte ses premiers titres en 2006 et 2007. Ambitieux, le club prend alors une dimension supérieure sous l’impulsion de son bien-aimé président, Moïse Katumbi Chapwe, homme d’affaires milliardaire et philanthrope, gouverneur de la province du Katanga à ses heures perdues. L’entraîneur franco-italien Diego Garzitto arrive à la tête de l’équipe. Sous sa houlette, le TP Mazembe remportera sa première Ligue des champions et atteindra la finale du Mondial des clubs contre l’Inter Milan. Amusé, ce dernier se rappelle depuis le club algérien de Constantine, où il travaille désormais : « Quand je suis arrivé, il restait sur plusieurs fautes de mains. Le public l’avait pris en grippe. Avec mon staff, on ne voulait pas vraiment le garder. Mais il s’est accroché, et ça a fini par payer. S’il en est là aujourd’hui encore, à son âge, ce n’est pas un hasard. »

Ce moment où tout a failli basculer, Kidiaba s’en souvient bien. « Je n’avais pas envie de continuer, j’étais faible mentalement. J’avais des doutes liés à mon âge… Heureusement, le président m’a encouragé. » Une finale et une chorégraphie plus tard, voilà le gardien plus que jamais relancé. Au point de devenir en janvier 2013 le capitaine des Léopards, le surnom donné à l’équipe nationale. « En tant que doyen, je tiens à hisser mon pays en finale de la CAN. Je dois bientôt annoncer la fin de ma carrière internationale, c’est une belle occasion à ne pas rater. » Plébiscité par ses coéquipiers pour sa discipline, sa rigueur et son ancienneté, le natif de Kipushi a porté son pays contre le Cap-Vert et la Tunisie. « Ce sont les joueurs et le sélectionneur qui m’ont élu en interne pour le brassard, ça m’a touché. Mes 41 sélections, c’est ma fierté. Être nommé capitaine, c’est une grande responsabilité sportive et morale. » Symbolique, la fonction dépasse le cadre du terrain dans un pays déstabilisé depuis 1994 par les conflits dans la région du Kivu, une zone de non-droit peuplée de brigands de différentes obédiences, où s’affrontent sans pitié armée régulière et seigneurs de guerre locaux. « En tant que footballeur, je pense que j’ai un grand rôle à jouer pour l’avenir et le développement de la République démocratique du Congo » raconte le leader de la sélection, avant d’étayer le fond de sa pensée : « En 2009, nous avions fait un bon parcours au championnat d’Afrique des nations (CHAN), et les conflits ont cessé pendant quelques jours à l’Est, pour nous regarder. On avait alors surnommé ma danse la « danse de la paix ». Je ne sais pas si c’est un hasard. »

Conflit meurtrier

Branchés sur courant alternatif depuis l’accord de Goma en janvier 2008, les combats ont redoublé d’intensité depuis juillet. « C’est une situation épouvantable, le conflit international le plus grave depuis la Seconde Guerre mondiale. Depuis 1997, on estime le nombre de morts entre 4 et 5 millions de personnes, sans compter un million de réfugiés » , explique d’une voix froide et glacée Pierre Jacquemot, ancien ambassadeur de France en République démocratique du Congo. Là où le grand public n’imagine que des affrontements tribaux et ethniques, se cache en réalité une guerre impitoyable pour les matières premières du Congo. Cuivre, étain, charbon, fer, manganèse, cobalt, uranium, gaz ou pétrole gisent dans les sous-sols à profusion. Surtout, le pays détient entre 60 et 80% des réserves mondiales de coltan, un minerai de tantale indispensable à la fabrication des téléphones mobiles, des ordinateurs et des consoles de jeux. De quoi susciter la convoitise des multinationales électroniques, qui arment différents chefs de guerre pour contrôler les gisements encore mal exploités. « Les Nations unies ont par le passé dénoncé l’existence des filières anglaises et belges qui sévissent dans la région » , relate le diplomate français, « et les pays asiatiques continuent aussi de s’approvisionner discrètement sur le marché » . Si le principal mouvement de contestation, connu sous le nom de M23, a rendu les armes suite à une offensive commune de l’armée et de l’ONU, les tensions dans la région ne sont pas près de s’arrêter : « Même si la fonction des Casques bleus a été élargie, l’armée congolaise n’est pas en mesure d’établir l’ordre sur la longue durée. »

Derrière ses allures insouciantes et son regard juvénile, Robert Kidiaba apporte sa pierre à l’édifice branlant du cessez-le-feu. Le football en bandoulière, il tente de venir en aide aux réfugiés : « J’ai mal quand je pense au nombre d’orphelins. Ce sont les enfants qui me supportent partout où je vais. Pour eux, j’ai décidé de devenir le gardien de la paix. » Entre deux matchs, il profite de sa notoriété pour médiatiser le conflit, parfois soutenu par ses coéquipiers en club. « Souvent, j’emmène des médicaments, des cahiers, des stylos… C’est le président qui finance la majorité des dons, et nous sommes heureux de venir réconforter en personne les déplacés. » Il y a deux ans, le gardien a ainsi remis de ses propres mains une cagnotte de 200 000 dollars à Julien Paluku, le gouverneur de la province du Nord-Kivu. Ambassadeur de l’UNICEF, il s’est aussi rapproché de l’organisation internationale Peace One Day. « Mon engagement pour le retour de la paix est sans faille. Le football est un facteur d’union, nos sympathisants qui combattent doivent cesser le feu. Aux jeunes qui me suivent et sont dans la brousse pour combattre, je vais demander d’abandonner leurs armes. Leur moyen de réintégration sera le sport, pourquoi pas le football. À la communauté internationale, je veux qu’elle apporte son soutien pour le maintien de la démocratie et aide à la construction des stades afin de permettre aux jeunes de changer leurs orientations… » Depuis, Kidiaba représente l’espoir et l’avenir d’un pays meurtri, en quête d’idoles prêtes à changer les choses. Juste un peu.

Foi en l’avenir

Si la probabilité de voir le conflit s’amenuiser reste un doux mirage, Robert s’accroche sans relâche, avec une conviction qui force l’admiration. Sa force intérieure, ce catholique fervent la tire d’une foi totale en Dieu. Une passion et un dévouement qui lui ont valu le surnom moqueur d’ « Abraham » dans le vestiaire, quand il portait encore la barbe. « Dans ma vie, la religion vient en première position. Dieu te donne ton souffle de vie quand tu te lèves chaque matin. Je vais souvent à la messe pour le remercier de ce cadeau. » Comme ce vendredi matin, à l’église de Kafubu, où il se recueille avec toute son équipe sous les regards énamourés de quelques enfants, tout heureux de côtoyer leurs joueurs préférés dans l’intimité de la nef. « La connotation religieuse est très importante ici. Joueurs, staff et dirigeants, nous allons à la messe avant tous les matchs. Cela génère un esprit de famille » , souffle Patrice Carteron, concentré sur sa prière, mais toujours prêt pour un bon mot : « Ça n’a rien d’étonnant, étant donné que le club, c’est le Tout-Puissant et que notre président s’appelle Moïse. » Dans les lumineuses travées de la chapelle, l’atmosphère est pieuse, mais détendue. Sous les chants de la chorale, un tendre apaisement filtre des vitraux jaunis pour bercer la communion des fidèles. Son temps de recueillement achevé, Robert se dirige d’un pas décidé vers l’avenir : « Je suis optimiste, un jour, il y aura la paix. » Quand viendra ce mirage tant attendu, il sera le seul à ne pas être sur le cul.

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