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Kevin Blois : « J’ai pris 100 places pour ma famille et mes amis »
Tatouage sur l’avant-bras, Stan Smith et belle gueule, Kevin Blois a tout d’un jeune ordinaire. Sauf que ce dimanche, il jouera dans le but de l’Association jeunesse sportive St-Jean/Beaulieu contre l’AS Monaco en 32es de finale de Coupe de France.
Saint-Jean, c’est une DHR pour Division d’Honneur Régionale. La septième division. C’est le petit poucet de la Coupe de France. Le genre de trucs qui plaisent à Jean-Pierre Pernaut et son 13 heures. Pour la belle histoire, Saint-Jean a hérité de son voisin monégasque. En scooter, il faut 15 minutes pour rallier le stade intercommunal de Saint-Jean au Louis-II. Mais comme le match est extraordinaire, le club amateur des Alpes-Maritimes a fait les choses en grand. Cette nuit, l’équipe de DHR a dormi à l’hôtel. Dans des villas collectives. Une vraie mise au vert. Le club a également investi dans des costumes et des casques audio pour faire comme les « grands » . Ou comment un club amateur s’apprête à défier son grand frère. Entre deux cafés dans un bar du port de Nice, Kevin Blois raconte son quotidien depuis le tirage au sort.
La pression monte ?Ça approche. On s’en rend vraiment compte avec le match qui arrive. Déjà sur les entraînements, on le sent. Cette semaine, on s’est entraînés quatre fois, ce qui n’est pas dans nos habitudes.
Comment un joueur amateur fête-t-il son 31 décembre à deux jours de jouer un quart-de-finaliste de Ligue des champions en Coupe de France ?Ne pas se mettre chiffon (rires). On le fête, mais sobrement. Le match est dans les têtes de tout le monde. Le coach a aussi prévenu de l’importance de la semaine avant le match. On aura le temps de se rattraper plus tard. On veut profiter de chaque moment. J’ai fait six ans de formation avec l’OGC Nice, j’ai évolué au mieux en CFA, ce n’est pas le cas de tous mes coéquipiers. Là, on a l’opportunité de jouer le haut niveau français, une Ligue 1, c’est une chance incroyable.
Saint-Jean regorge d’anciens déçus du centre de formation de l’OGC Nice, comment est accueillie cette rencontre ?On est tous revenus dans le monde amateur, alors que certains copains ont signé pros comme Mouez Hassen, Neal Maupay. Pour ma part, je n’ai que 22 ans, je n’ai pas encore abandonné. Un match de Coupe de France est aussi un tremplin. On veut montrer ce que l’on sait faire.
Pour les anciens Niçois de l’équipe, jouer Monaco doit être excitant. Il y a une certaine rivalité, non ?On a tous joué en jeunes avec l’OGC Nice, que ce soit en 16 ans nationaux, U19, et on rencontrait souvent Monaco. Ça fait partie de la rivalité locale. Ça donne envie de jouer ce match.
De quoi tu vis, au quotidien ?Je suis coach sportif, j’ai travaillé dans une salle de fitness de Sophia-Antipolis, près d’Antibes, pendant un an. Depuis, je me suis mis à mon compte.
Et dans l’équipe ?On a de tout : des électriciens, un gérant de snack, un éducateur sportif, un magasinier, un agent EDF, un consultant immobilier, un aide soignant.
Tu sens une différence dans vos entraînements ces derniers temps ?Oui, bizarrement, tous ceux qui étaient blessés en championnat ne le sont plus (rires). On est sérieux, c’est studieux, tout le monde veut jouer ce match. C’est une chance unique pour nous de se frotter à des mecs de Ligue 1. On sent aussi un engouement médiatique au niveau local, on a eu des caméras à nos entraînements, on donne des interviews, c’est inhabituel. On reste lucide malgré tout, c’est une Ligue 1, deuxième du championnat, ce sont des joueurs qu’on voit à la télévision, alors on ne se fout aucun stress.
Monaco va disputer son premier match de Coupe de France contre vous. Pour votre équipe, c’est un peu plus, non ?Ça sera notre septième match de la compétition. On a éliminé Vidauban, La Colle-sur-Loup, Aubagne qui joue en CFA, Istres et Hauts-Lyonnais.
Tu te souviens du jour du tirage au sort ?On était tous dans un restaurant sur le port de Nice. Avec la répartition des groupes, on savait que l’on pouvait tomber sur une Ligue 1 comme Saint-Étienne ou Monaco. J’avais mon ordinateur, car c’était diffusé sur Eurosport 2, on avait un décalage entre le son et l’image. Et quand on a tiré Monaco, c’était l’euphorie. On voulait une grosse rencontre. On l’a eue. Au vrai, on voulait tous jouer Nice.
Vous allez jouer au Louis-II, ça change la donne ?Ça pimente un peu le match. Notre terrain n’est pas homologué alors ça compliquait la chose. Au départ, on voulait les recevoir à Charles-Ehrmann, le centre d’entraînement de Nice, ou à l’Allianz Riviera, mais c’était compliqué. Mais Louis-II, c’est un beau stade de football, c’est à dix kilomètres de Saint-Jean-Cap-Ferrat, où on joue habituellement. C’est un vrai plaisir de jouer dans un si grand stade au final. Après, on va peut-être être surpris par la grandeur du terrain, ça peut nous déstabiliser au niveau de l’espace. D’autant qu’on n’a pas eu le droit de s’entraîner avant sur place, on va vraiment découvrir le terrain lors de l’échauffement. Il faudra s’adapter rapidement.
J’imagine que tu as eu beaucoup de demandes de place de la part de ton entourage ?C’est simple, j’ai pris 100 places pour la famille, les amis. J’ai investi 1500 euros pour que tout le monde soit regroupé au stade. Ils vivent ce moment avec moi, ils sont à fond. Chacun y va de son petit truc pour m’aider. Ma belle-mère, par exemple, me prépare une banane et un chocolat tous les matins. C’est un rituel. Ma mère est derrière moi aussi, elle a peur que je me blesse au dernier moment, elle me surveille (rires).
Vous avez pris conscience que pendant 90 minutes, vous allez vous frotter à Moutinho, Toulalan, Ricardo Carvalho, des mecs qui ont joué des Euros, des Coupes du monde, gagné des Ligue des champions ?Oui et non. C’est certain qu’ils ont tous des CV impressionnants, des salaires fous, et puis le football c’est leur métier, pas nous. Mais on ne va pas s’écraser en tout cas.
Une prime de victoire en DHR, c’est combien ?Entre 150 et 300 euros en fonction des clubs.
Tu as mis une option sur un maillot monégasque à récupérer à la fin ? Je voulais celui de Danijel Subašić, mais c’est Nardi qui devrait jouer. Je voulais aussi El Shaarawy, mais toute l’équipe est dessus, surtout mon pote Hichem Ferreri qui a la même coupe de cheveux que lui.
Comment une équipe de septième division prépare une rencontre contre une Ligue 1 ? Vous êtes focalisés sur Monaco ou plutôt sur vous ?On sait qu’il faudra surtout resserrer les lignes, faire attention aux phases arrêtées. En DHR, vous n’avez pas l’habitude de gérer des corners tirés par João Moutinho, ça change la donne. D’autant que dans les airs, on manque un peu de taille, car je dois être le plus grand de l’équipe, je mesure 1,86m. Globalement, on fait la même chose que d’habitude. Le premier quart d’heure sera important, il faut leur rentrer dedans. On s’est battus pour arriver en 32es de finale. On va en profiter.
En tant que gardien, tu risques d’être sollicité.C’est ce que tout le monde me dit. Je m’attends à tout : prendre le bouillon, être peu concerné, tout peut arriver. Je sais que je peux être amené à avoir du boulot dans les airs avec Lacina Traoré qui fait 2,03m, mais j’ai eu la chance de jouer contre Jan Koller en championnat, puisqu’il a joué en amateur avec Monaco PHA et PHB. Même à 40 ans, ça restait une référence. J’avais beau sauter avec les mains, il était encore au-dessus de moi.
Il y a aussi les tirs au but… Oui, d’autant que c’est un exercice qui me réussit en ce moment, puisque je viens d’en arrêter trois en trois matchs. Mais si on arrive jusqu’aux tirs au but, ça voudra dire qu’on a fait un très bon match.
La peur de la valise existe ?Peur, non. Mais ça peut arriver. On reste lucides, on a six divisions d’écart. On a beau être premiers de DHR, il faut regarder la vérité en face.
Et vos dirigeants pour une éventuelle belle prime, c’est possible ?Non, on a la chance d’avoir deux présidents en or, qui sont au quotidien avec nous, Marc Ganovelli et Pascal Volpi. C’est une chance de les avoir avec nous. Ils sont passionnés, alors tout est plus facile.
Quand on est gardien de but en DHR, on est quel genre de gardien ?J’ai eu la chance d’être formé à l’OGC Nice, qui possède une très grande école de gardiens de but, je suis donc dans la lignée. Personnellement, j’ai toujours aimé Iker Casillas ou Stéphane Ruffier.
Comment l’équipe appréhende l’arbitrage « Ligue 1 » , qui laisse forcément moins la place à la parole sur le terrain entre les joueurs qu’au niveau amateur ? C’est vrai qu’en DHR, ça parle beaucoup (rires). On ne va pas se changer pour autant, mais il faudra faire attention. On va essayer de rester à onze pour commencer. On ne voudrait pas avoir de regrets à la fin.
Après Monaco, il y aura un retour au championnat de DHR. Tu n’as pas peur du grand vide ?En début de saison, l’objectif était de monter en championnat. Il ne faut pas perdre ça de vue. Il n’y a que deux montées, donc ce n’est pas gagné, même si on est leaders. Après le match de Monaco, en fonction du résultat, il faudra se remobiliser. Au départ, quand tu commences la Coupe de France au deuxième tour en septembre, ce n’est pas un objectif. Petit à petit, ça devient magique. Depuis le tirage, on ne pense qu’à Monaco et, pour autant, on a gagné nos deux matchs de championnat.
Quel genre d’équipe est Saint-Jean Beaulieu ?On essaie de jouer au ballon. Il faut arrêter avec les clichés du football amateur qui se joue dans les tranchées ou uniquement avec des longs ballons. On est une équipe disciplinée, qui garde la balle, on joue en 4-4-2 avec deux chiens devant qui ne lâchent rien et qui vont à 10 000. À l’entraînement, on est comme un groupe professionnel. L’encadrement est présent, on joue la gagne sur chaque exercice. On parie des pizzas ou autre chose. Dans chaque petit jeu, il y a une carotte pour que tout le monde soit compétiteur.
En tribunes, tu penses que le petit poucet sera plus soutenu que l’ASM ?On va avoir du monde derrière nous. Il y a beaucoup de Niçois chez nous, ainsi que des joueurs de la Selecioun 1, alors on a le soutien de la BSN (Brigade Sud Nice, groupe ultras qui soutient l’OGC Nice depuis 1985). Contre Monaco, on a vendu près de 4000 places rien que pour nous soutenir. Ça va faire du bruit. C’est la première fois que l’on jouera devant autant de gens.
Et si Saint-Jean s’offre Monaco. Au tour suivant, l’adversaire idéal, c’est qui ?Nice ou le PSG. Rien que ça.
1. Fondée en avril 2014, la Countea de Nissa Football Association a pour objet la promotion du football, de la culture et de l’identité niçoises. Elle est membre de la ConIFA, Fédération regroupant les équipes des territoires non affiliés à la FIFA. La Selecioun est uniquement composée de footballeurs – professionnels et amateurs – nés sur le sol de l’ancien Comté de Nice. Un territoire regroupant le littoral de Nice à Cap-d’Ail, les vallées de l’Estéron, du Var, de la Tinée, de la Vésubie, de la Roya, de la Bévéra et du Paillon.
Propos recueillis par Mathieu Faure