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Kemar Roofe sur le toit de Glasgow
S'il y a un mec sur lequel il faut miser ce jeudi soir à Ibrox Park, c'est bien Kemar Roofe. À 29 ans, l'attaquant des Rangers est devenu l'arme première d'une formation qui espère retrouver une finale de Coupe d'Europe attendue depuis 2008. Passé entre les mains de Marcelo Bielsa et de Vincent Kompany, capable de faire vaciller Steven Gerrard lors d'un simple déplacement au Standard de Liège, Kemar Roofe était encore blessé au genou il y a quelques jours. Le gaillard a bouffé du caisson hyperbare pour se remettre d'aplomb, être présent ce jeudi soir et envoyer les Rangers sur le toit de la Ligue Europa.
Pour impressionner Steven Gerrard, il faut vraiment se lever à l’aube. Kemar Roofe, lui, ne se pose pas de question ce 22 octobre 2020 sur la pelouse du Standard de Liège. L’Anglo-Jamaïcain (par son père) sort les muscles dans les arrêts de jeu, récupère un ballon à 80 mètres des buts adverses, résiste à trois Liégeois qu’il prend pour ses sparring-partners et fout une praline du pied droit avant même d’avoir franchi la ligne médiane. Le portier belge a beau reculer, il n’a plus qu’à aller ramasser le ballon et sa stupéfaction au fond de ses filets. Les Glasgow Rangers s’imposent 2-0, et Roofe vient d’écrire sa ligne dans le Guinness Book. 49,92 mètres de distance pour un pion, la Ligue Europa n’avait jamais recensé un but aussi lointain. « C’est du pur génie, lâche en conférence de presse Steven Gerrard, tout simplement la classe mondiale. Je joue au football depuis 1998 et je pense que c’est le plus beau but que j’ai pu voir. » Rien que ça ! « Je n’en verrai peut-être pas de meilleur, enfonce la légende de Liverpool. Il a la vision, la classe et la force d’envoyer le ballon dans les buts à cette distance. »
Avec seulement quelques matchs dans les jambes chez les Rangers, Roofe s’est déjà mis pas mal de monde dans la poche. Comme il l’a fait, sans frasque, mais avec patience, tout au long d’une carrière professionnelle entamée en quatrième division anglaise. Northampton (2012), Cheltenham (2013), Colchester (2014), Oxford (2015), le gamin de Walsall (au nord de Birmingham) y est allé step by step, histoire de bien cartographier le royaume. Sans griller les étapes, sans se griller non plus, malgré une formation à West Bromwich qui ne lui laissera pas sa chance chez les grands. Son premier déclic a la saveur de l’Argentine.
El Loco en fait une locomotive
Été 2018, le père de famille (trois enfants) entame sa troisième saison à la pointe de l’attaque de Leeds (Championship) et se retrouve à cravacher sous les ordres de Marcelo Bielsa. « Après deux semaines avec lui, tu as l’impression que tout est simple, même s’il y a une rigueur extrême, estimait à l’époque Kemar Roofe dans le Daily Mail. J’avais le sentiment d’être avec un génie. Il m’a ouvert les yeux pour penser autrement au football. » Tantôt en 9, tantôt replacé au milieu de terrain, Roofe se redécouvre et ne compte plus les gouttes de sueur. « L’entraînement était plus difficile que les matchs. Il criait très souvent. S’il te voyait marcher, il déboulait sur toi pour crier. Nous devions être à 100%. Et tout ça avec une multitude de détails tactiques. On préparait cinq systèmes différents, donc cinq manières différentes de se positionner. » Avec El Loco, l’international jamaïcain (5 sélections, 1 but) apprend « que le corps peut faire bien plus qu’on ne le pense ». Conséquence directe, 34 matchs, 15 buts et 2 passes décisives, Roofe gonfle alors ses stats comme jamais il ne l’avait fait. Mais ce dingue de Thierry Henry, dont il n’hésite pas à reproduire les célébrations, est aussi un affectif.
Besoin d’un peu de Kompany ?
Et lorsque Vincent Kompany compose son numéro à l’été 2019, son cerveau ne fait qu’un tour. Quand bien même la Premier League commence à lui faire les yeux doux. « Je ne pouvais pas croire qu’il connaissait mon nom. Il a juste ri et m’a dit qu’il regardait le football, qu’il connaissait mon style et ce que je pouvais faire pour m’améliorer. Quand tu reçois un appel de Vincent Kompany avec lequel tu as grandi lorsque tu regardais la Premier League, tu ne peux pas dire non. » L’idylle bruxelloise – à 6 millions d’euros – tourne pourtant au demi-fiasco. Les débuts sont béton (5 buts entre fin octobre et début novembre), les supporters d’Anderlecht gueulent à tout-va « The Roofe is on fire », mais c’est surtout une blessure au mollet qui sonnera la fin de son aventure chez les Mauves sans avoir convaincu.
Pendant ce temps, Leeds file en Premier League, et Roofe, dont le talent n’a jamais vraiment franchi la Manche, reprend le shuttle et file à Glasgow pour 5 millions d’euros. At home et enfin sur les planches d’une scène européenne qu’il chérissait tant, la flamme se ravive. Ses valises ne sont pas encore déballées qu’Ibrox l’adopte (18 buts en 36 matchs lors de sa première saison). Avec Alfredo Morelos à l’infirmerie depuis plusieurs semaines, Roofe est devenu la gâchette numéro un. Le tout avec une touche de solidarité. Après son triplé à Saint Mirren mi-avril, il lance une cagnotte en ligne pour remporter son maillot. Près de 5000 euros sont récoltés et partent au profit d’Emmaüs et des sans-abris. En clair, c’est lui qui doit emmener Glasgow en finale européenne ce jeudi soir. Touché au genou depuis la mi-avril, l’hypothèse de son absence dans cette demi-finale retour face à Leipzig a fait tressaillir Giovanni van Bronckhorst. L’entraîneur de Glasgow pourra finalement compter sur son avant-centre, lequel a posté il y a quelques jours un cliché de lui dans un caisson hyperbare pour être apte plus rapidement. « Je serai là », a lâché Roofe. Personne n’en doute.
Par Florent Caffery