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Kei le survivant

Par Régis Delanoë
5 minutes
Kei le survivant

Ce dimanche soir a lieu la grande finale de la saison 2015 de MLS entre Columbus Crew et Portland Timbers. Avec, dans les rangs du Crew, le prolifique buteur Kei Kamara. Né en Sierra Leone, il a connu la guerre civile, a échappé à un destin d’enfant soldat, a fui son pays en bateau, a transité dans un camp de réfugiés avant de partir faire sa vie aux États-Unis. Un itinéraire fou, fou, fou.

« En se levant le matin, on voyait des cadavres dans les rues. Les vautours étaient déjà à l’œuvre. » Quand Kei Kamara parle de son enfance, on est frappé par le contraste entre sa voix douce et l’horreur des scènes qu’il décrit. Le Sierra-Léonais ne s’est pas souvent exprimé sur sa vie d’avant l’exil. Il l’a fait pour un article paru sur le site de la FIFA, dont est issue cette citation, et plus longuement pour un documentaire qui lui a été consacré, diffusé il y a quelques semaines sur la très bonne chaîne YouTube de la MLS. Kamara se raconte, calmement, non sans émotion mais avec le recul du néo-trentenaire père de famille qu’il est aujourd’hui. De ses premières années, il se souvient de temps heureux et paisibles, malgré la misère et le départ de sa maman vers les États-Unis alors qu’il n’a que 6 ans, pour aller chercher l’argent qui manque au foyer. Le jeune Kei est alors élevé par sa tante, qui le considère comme un fils.

300km à pied

Mais les Kamara vivent à Kenema, la troisième ville du pays, au sud-est du pays, qui vit principalement du commerce des diamants. Un commerce qui provoque de telles tensions qu’une guerre civile violente éclate en 1991 dans la région pour se propager dans tout le pays. Ce conflit restera comme étant « la guerre des diamants » et fera entre 100 000 et 200 000 morts ainsi qu’un tiers de déplacés. Kei Kamara est l’un d’eux. Après avoir vécu l’horreur des massacres en pleine rue et l’enrôlement de copains d’école comme enfants soldats, il quitte Kenema avec sa tante et ses cousins, à pied, direction la capitale Freetown dans un premier temps, à 300km. Mais là non plus, la vie n’est pas sûre, alors il embarque dans une embarcation de fortune pour quitter le pays et rejoindre un camp de réfugiés en Gambie, plus au nord.

Il y restera près de deux ans, entre ses 14 et ses 16 ans. Finalement, après une interminable attente, Kamara l’exilé finit par recevoir le feu vert des autorités américaines pour partir rejoindre sa mère aux États-Unis. La famille recomposée s’installe en banlieue de Los Angeles, et l’ado de Kenema débute une seconde vie dans son pays d’adoption. Il comble vite son retard scolaire et achève son intégration par le biais du soccer, un sport qu’il pratique depuis tout gamin et où il impose son physique dans les championnats lycéens puis universitaires. Kamara finit par découvrir le niveau pro en MLS – une ligue mineure – avec l’équipe des Orange County Blue Stars (quelque chose comme Tintin et les oranges bleues en traduction) en 2004 et 2005. Son talent offensif est remarqué, et le jeune attaquant est drafté en 2006 par Columbus Crew.

Le roi de la célébration

À 21 ans, Kei le survivant découvre la MLS, mais son apprentissage est compliqué et le rookie est souvent pris en grippe par le public à cause de sa maladresse. S’en suivent une série d’échanges peu concluants vers San José d’abord, puis Houston et finalement Kansas City, où enfin il s’impose et s’épanouit. Dans le documentaire qui lui est consacré, Kamara explique avoir trouvé une famille au SKC et la confiance de ses coéquipiers, dont le Français Aurélien Collin. Il se rend aussi fameux et populaire grâce à ses célébrations de but souvent bien folles, qu’il continue encore aujourd’hui de perfectionner : avec un chapeau de St Patrick ou un casque, en imitant Michael Jackson ou en mimant le slow motion des films… À Kansas City aussi où il découvre la neige avec des yeux d’enfant, il convoque via les réseaux sociaux des supporters à le rejoindre pour une bataille de boules de neige géante qui se termine à 200 participants. Son enthousiasme est contagieux, et Kansas City devient à l’époque l’une des meilleures équipes de la Ligue. Un vrai beau collectif.

Son efficacité offensive personnelle finit également par convaincre un club de Premier League anglaise de l’enrôler : Norwich, qu’il rejoint en janvier 2013 pour une demi-saison encourageante, mais sans plus. Non retenu à l’issue du prêt, il a néanmoins l’occasion de rester dans le coin pour une deuxième expérience avec Middlesbrough, club pour lequel il s’engage deux saisons, mais dont il ne reste qu’une, achevée avec un bilan de 4 buts marqués. S’il croit alors avoir une troisième opportunité de percer en Angleterre, son test concluant à Wolverhampton ne se traduit pas par un contrat, la faute à un permis de travail refusé. Il lui faut donc se résigner à revenir en MLS où il retrouve cette saison le club de ses débuts, Columbus Crew, et où cette fois il s’épanouit : co-meilleur de la saison régulière avec 22 buts (à égalité avec Giovinco), Kei Kamara est en pleine possession de ses moyens, encore décisif en play-offs pour éliminer le Montréal de son idole Didier Drogba. Cette finale de la saison face aux Timbers de Portland se joue à domicile, avec un Sierra-Léonais évidemment à bloc sur le front de l’attaque locale, comme toujours. Prêt à se montrer une nouvelle fois décisif et à innover une fois de plus en matière de célébration de but.

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Par Régis Delanoë

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