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Keep calm and Gilles Grimandi
Aujourd'hui, Gilles Grimandi fête ses 45 ans. Un joueur fait du même bois que ces « porteurs d'eau » au statut aussi sous-estimé que cette appellation. Mais indispensable à l'Arsenal d'Arsène Wenger, autant qu'Arsène Wenger lui fut indispensable. Récit d'une love story londonienne.
Le 22 juillet 2006, Arsenal inaugurait son nouvel Emirates Stadium de la plus belle manière, en célébrant le jubilé d’un de ses plus grands et talentueux joueurs : Dennis Bergkamp. Un match entre les Gunners et Ajax Amsterdam auquel seront convoqués Marc Overmars, Ian Wright, Thierry Henry, Patrick Vieira, même Marco van Basten et Johan Cruyff, entrés pour les dix dernières minutes. Terminée sur le score de 2-1 en faveur d’Arsenal, la rencontre aurait pu connaître une tout autre issue : à la 63e minute, alors que les deux équipes sont à 1-1, Edgar Davids lobe David Seaman aux abords de la surface et se dirige à toute vitesse vers le but vide pour reprendre le ballon fuyant. Mais un défenseur, avec le 13 dans le dos, va plus vite que Davids et lui glisse un énorme taquet à cinquante centimètres de la ligne de but. La balle sort en six mètres, le Néerlandais est au sol. En temps normal, il y aurait penalty. Mais en lieu et place, le défenseur d’Arsenal n’entend que les acclamations assourdissantes des 54 000 personnes présentes. Pourquoi ? Peut-être parce que l’équipe du Hollandais non volant n’a pas le droit de perdre. Peut-être parce que Davids porte alors la tunique de l’ennemi Tottenham. Peut-être aussi parce que le défenseur n’est autre que Gilles Grimandi et qu’il vient d’offrir aux fans des Gunners une réminiscence de ce qu’il a toujours fait de mieux lors de ses cinq saisons et demie passées à Highbury : se salir pendant que les autres se gorgeaient de football champagne.
Pro à 21 ans, champion de France à 26
Arrivé lors de la deuxième vague de recrutement de Frenchies, sur la pointe des pieds car moins jeune pousse que Nicolas Anelka – le natif de Gap a alors 26 ans – et moins international français que son collègue de Monaco Emmanuel Petit, Grimandi n’a pourtant pas à rougir de son palmarès. Avant de débarquer chez les « autres » Rouge et Blanc, le défenseur aura accroché une finale (en Coupe des vainqueurs de coupe face à Brême) et une place de dauphin de Division 1 en 1992, avant de remporter le titre de champion de France en 1997. Sans pour autant être un titulaire indiscutable lors de ses six saisons passées sur le Rocher, trimbalé sur toute la ligne de défense et parfois devant dans le rôle de 6. Un statut qui lui sied néanmoins très bien, lui qui s’est révélé à l’âge tardif de 21 ans au plus haut niveau. « J’ai pas été un joueur extrêmement talentueux, donc je pense que ce qui a fait ma force, c’est le travail à long terme et le sérieux » , racontera ce dernier lors d’un documentaire réalisé par l’Office municipal des sports de Gap en 2002.
Précisément ce que recherche Arsène Wenger pour construire le nouvel Arsenal. Le coach séculaire d’Arsenal connaît bien le vaillant bonhomme, puisque c’est lui qui a décidé de faire monter Grimandi de l’équipe B à l’équipe A de Monaco, un an seulement après son arrivée au club. Des retrouvailles qui vont sceller une relation quasi fusionnelle. Plus que pour n’importe quel autre joueur, Wenger a vraiment été « Tonton Arsène » pour Gilles Grimandi, comme le défenseur le confessera encore en 2002 : « Il est le personnage le plus important, le plus influent de ma carrière. Dans le milieu professionnel, bien sûr, après il y a la famille. » Et pour cause : sur les douze ans qui composent la carrière professionnelle du joueur polyvalent, huit seront passés en compagnie du technicien alsacien. Évidemment, Grimandi, qui n’a déjà pas besoin qu’on le force pour qu’il mette ses tripes sur le terrain, donnera tout sous les ordres de Wenger.
Des bouclettes et un coup de coude dans la tronche de Simeone
Mais dès son arrivée à Arsenal, le natif de Gap va en rencontrer un autre : celui qui sépare la France de l’Angleterre, peut-être plus physique qu’une simple traversée de la Manche, lors d’un match face à Leicester pour le compte de la quatrième journée de Premier League. Un Dennis Bergkamp de feu signe un hat trick et dirige les siens tranquillement vers une victoire jusqu’à ce que Grimandi dégage un ballon en corner sur une action anodine en toute fin de match. Quelques secondes plus tard, Steve Walsh envoie une tête dans la cage de Seaman et permet à Leicester d’accrocher le match nul. Heureusement pour lui, la confiance de Wenger couplée à sa polyvalence le feront démarrer fréquemment dans le onze type en remplacement de Tony Adams ou de Patrick Vieira, souvent blessés cette saison-là. « Si on établit une équipe type d’Arsenal, il n’y a pas de Grimandi dedans. Je suis un peu le onzième homme et demi » synthétisera dans les colonnes du Parisien en 2001 celui que ses coéquipiers vont très rapidement surnommer « Curly » (Bouclettes en VF).
Les supporters des Gunners, eux, lui ont trouvé un autre surnom : Grimster. Pour son engagement empirique à la Premier League. Lorsqu’il marque son premier but à Highbury, il le fait certes de la plus belle manière – une volée dos au but qui vient se loger en lucarne opposée – mais surtout, il le fait alors que son aine lui fait un mal de chien. Et quand ce n’est pas lui qui subit la douleur, il l’inflige aux autres. Pep Guardiola s’en rappelle encore, lui qui s’est pris un énorme tacle suivi d’un coup de coude lors d’un match de Ligue des champions en 1999, renvoyant Grimandi aux vestiaires. Même sanction pour Diego Simeone qui finira le visage en sang lors d’un houleux Lazio-Arsenal la saison suivante. Force est de reconnaître que pour aller loger son bras dans la pommette du Cholo, faut avoir un peu de courage.
En Austin Mini dans les rues de Londres
Un geste qui étonna Grimandi lui-même, après coup, comme il l’affirmera au Guardian : « Quand je l’ai frappé, deux ou trois secondes plus tard, je me suis dit : « Mais pourquoi t’as fait ça ? » J’ai réagi trop brusquement. Hors du terrain, je n’aime pas ça. Je ne suis pas agressif. Mais c’est mon tempérament sur le terrain. » En réalité, Grimandi est un grand discret à la ville. À Arsenal, pendant que ses coéquipiers roulent en bagnole de luxe, lui préfère la jouer local en faisant rentrer son mètre quatre-vingt dans une Austin Mini. Voire carrément prendre les transports en commun londoniens. « Ça n’est pas un souci pour moi de circuler en bus ou en métro à Londres. Parfois, dans le Sud de la France, c’est différent, mais ici, lorsque les gens te reconnaissent, ils sont toujours sympas. Donc si c’est plus simple de prendre le bus, je le fais » , enchaînera-t-il, toujours dans le Guardian.
Un tel amour pour le club londonien que Grimandi fait toujours partie de l’organigramme d’Arsenal, et ce, depuis plus de dix ans, comme recruteur en France. En tant que joueur, « Curly » aura disputé presque 170 matchs en un peu moins de six saisons avec les Gunners. Majoritairement titulaire mais pas toujours, mettant la tête là où d’autres ne mettraient pas le pied, et servant de rampe de lancement aux cinq titres remportés par les Gunners entre 1997 et 2002, notamment deux titres en Premier League lors de sa saison d’arrivée, puis de départ. Cinq ans d’amour avant de laisser la place aux Invincibles. Une nouvelle fois, le défenseur français sait s’effacer et sortir avec les hommages. Parce que même s’il n’hésitait pas à se salir, Gilles Grimandi savait le faire avec une certaine classe.
Par Matthieu Rostac