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Karl Power, le Rémy Gaillard anglais
On a retrouvé la trace de Karl Power, un fameux personnage outre-Manche connu pour avoir joué le douzième homme de Man United sur la photo d’avant-match d’une rencontre de Ligue des champions en 2001. Entre autres facéties.
Stade olympique de Munich, le 18 avril 2001. C’est soir de quarts de finale retours de Ligue des champions avec à l’affiche ce match sous haute tension entre le Bayern de Munich et Manchester United. Les Red Devils, qui s’étaient inclinés 0-1 à Old Trafford, vont de nouveau s’incliner lors de cette deuxième rencontre sur le score de 2-1, laissant les Allemands filer vers le titre en allant ensuite battre le Real de Madrid en demi-finale, puis Valence en finale. Mais cette confrontation est restée fameuse en Angleterre, moins pour son résultat sportif que pour un drôle d’incident qui s’est produit juste avant le coup d’envoi. Au moment du traditionnel rituel de la photo des équipes, un douzième homme a rejoint celle de Manchester pour immortaliser l’instant. Son nom : Karl Power. On le voit arriver dans le champ de la caméra, claudiquant légèrement pour venir se placer à côté de Dwight Yorke, habillé à l’identique des dix joueurs de champ mancuniens, flocage « Cantona » dans le dos. Parmi eux, le capitaine Roy Keane finit par s’apercevoir de cette inattendue présence : il désigne l’intrus, de même que Fabien Barthez qui semble même sur le point de lui balancer une poignée de terre au visage. Mais il ne le fait pas, les photographes font leur travail et les joueurs partent comme d’habitude se positionner sur leur moitié de pelouse, tandis que Karl Power repart tranquillement par où il est arrivé, sans être ennuyé le moins du monde par le service de sécurité. Plus de 14 ans après les faits, l’intéressé s’amuse encore à raconter les détails de ce qu’il aime à présenter comme le plus beau moment de sa vie.
« Man United comme un physiothérapeute »
« Ce n’était pas mon idée au départ, mais celle de Tom » , prévient-il en préambule. Tom, c’est Tommy Dunn, son meilleur ami. Les deux sont de Manchester et des fans hardcore de MU. De sacrés personnages avec un accent à couper au couteau et des gouailles à jouer dans un Ken Loach. Lors de la saison 2000/2001 de Ligue des champions, Dunn décide de suivre son équipe de cœur partout en Europe. Il a économisé assez d’argent pour s’offrir ce plaisir et compte bien immortaliser ce rêve de fan en se baladant partout avec un caméscope. Ainsi, muni de cette caméra et de son bagou, il parvient parfois à duper la sécurité et à se faire passer pour journaliste, allant jusqu’à assister aux conférences de presse d’Alex Ferguson et à fouler les pelouses avant-match. C’est là qu’une idée germe en lui : et s’il pouvait rejoindre l’équipe avant un coup d’envoi, le temps d’une photo ? Mais Dunn ne se sent pas de faire le coup lui-même. C’est alors qu’il propose à son vieux pote Karl Power de le faire à sa place. Ce dernier se remet alors difficilement d’une grave agression survenue une nuit à Manchester en 1994 : poignardé aux jambes dans la rue, il passe les cinq années suivantes en rééducation. Alors ce défi de Munich, c’est un pari que les deux amis se font. « On me disait après l’accident que je ne pourrais plus jamais marcher de nouveau. J’étais en fauteuil roulant, mal en point. J’avais Man United en tête et ça a été comme un physio qui m’a aidé à progresser, pas à pas. Pendant des mois, Tommy venait me voir pour qu’on regarde les matchs ensemble et on s’était dit qu’il faudrait qu’on fasse un truc pour remercier Man United de m’aider à aller mieux. » Finalement, l’opportunité se présente de faire ce « truc » le 18 avril 2001.
À l’hôtel des joueurs pour découvrir la couleur des maillots
« À Munich, on avait pris les trois jeux de maillot de Manchester, car on ne savait pas lequel l’équipe allait utiliser, explique Karl Power. Ils étaient tous les trois floqués Cantona » , le joueur préféré de Power. Dunn et lui parviennent à découvrir le nom de l’hôtel où les Mancuniens séjournent, ils s’y rendent et réussissent, en rusant, à savoir quel maillot sera utilisé le soir même : le blanc. Power s’habille donc de la tête aux pieds comme un vrai joueur, dissimule son « déguisement » sous des vêtements normaux qu’il enlève au dernier moment, alors qu’il était parvenu à se placer au bord du terrain comme Dunn avant lui, en se faisant passer pour un journaliste de la télévision. Au moment où les joueurs des deux équipes se serrent la main, Power se déshabille discrètement et vient se positionner aux côtés de Dwight Yorke, comme si de rien n’était. « Il n’y avait personne de la sécurité pour m’arrêter après, j’ai juste rejoint Tommy qui était en train de me filmer, on a quitté le terrain, je me suis rhabillé et on est allé s’asseoir derrière un but pour assister au match et regarder ce qu’avait filmé Tommy. » Trop facile !
Il devance Schumacher sur le podium de Silverstone
Tellement facile que les deux larrons ne vont pas s’arrêter là et vont refaire parler d’eux par la suite avec d’autres « performances » en marge de matchs de rugby, de cricket, à Wimbledon ou encore à Silverstone, où Power parvient à monter sur le podium avant le vainqueur du jour, Michael Schumacher, et à arroser la foule de champagne… En foot aussi, il remet le couvert en 2003 à Old Trafford : neuf de ses potes et lui parviennent à pénétrer sur la pelouse, tous avec le maillot de Forlán sur les épaules pour rejouer le but marqué quelques jours plus tôt par l’Uruguayen face à Liverpool. Un coup de génie mal pris par le club, qui décide finalement de bannir Karl Power à vie d’Old Trafford. « Moi, je pense qu’ils auraient dû me donner un job à la sécurité du stade plutôt, je leur aurais montré leurs faiblesses » , continue-t-il en faisant le malin. Celui que ses amis surnomment « fat neck » , souvenir de sa jeunesse de boxeur, se dit aujourd’hui rangé des farces. « Actuellement, j’écris un bouquin autobiographique et je manage un groupe de Manchester nomméThe Backhanders. Tu devrais écouter, c’est très bon. » Un retour à ses premières amours, lui qui évoluait avant son accident dans le monde de la musique et reste un pote de Shaun Ryder et de Bez, les deux leaders du groupe Happy Mondays. « Et puis bien sûr, conclut-il, je reste un fan de Manchester. Je le serai toujours. » Un fan avec son quart d’heure de gloire.
Par Régis Delanoë