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Karim Rissouli : « Ce match va célébrer l’amitié et l’histoire franco-marocaine »
Fils d’un père marocain et d’une mère française, Karim Rissouli va forcément vivre une demi-finale un peu particulière ce mercredi soir. Entretien avec l’animateur de l’émission C ce soir, aussi proche de Sofiane Boufal que de Dayot Upamecano.
C’est à côté de la plaque de demander à un Franco-Marocain pour quel quart de finale il a le plus vibré ?Non, pas du tout, mais j’aurais encore du mal à répondre à la question, sincèrement. Je dirais que j’ai vibré dans les deux cas, mais pas de la même manière. Devant le Maroc, il y avait ce côté « première fois » qui a forcément provoqué des émotions nouvelles. J’avais le même sentiment que pendant un match de Coupe de France, quand on a peur que le petit poucet se fasse manger à la fin. C’était presque de la superstition, à tel point que pendant les cinq dernières minutes, j’ai laissé en plan mes quinze potes qui étaient venus à la maison et je suis sorti faire les cent pas dans la rue, je ne pouvais plus regarder. Pour la France, la confiance était supérieure parce que c’était la cinquième qualification en demi-finales que je vivais. Mais à la fin, la joie était tout aussi intense : vivre un France-Maroc à la Coupe du monde, ça devait rester un rêve, et aujourd’hui, c’est bien réel.
Malheureusement, il semblerait que certains se focalisent davantage sur les potentiels débordements qui pourraient en découler, plutôt que sur le match en lui-même.Je l’avais un peu anticipé, mais ça me rend super triste. Avant les quarts de finale, dans un coin de ma tête, je me disais que peut-être que ce serait mieux que ce France-Maroc n’ait pas lieu, connaissant les risques politiques que ça allait impliquer, c’est terrible ! Finalement, heureusement que c’est arrivé et ça n’empêchera pas Eric Zemmour de faire ses tweets dégueulasses, ni une partie de la France de penser d’abord aux aspects sécuritaires, plutôt que de se demander d’où viennent ces liens avec le Maroc. Parce qu’ils ne viennent pas de nulle part, et ce match est une bonne occasion de raconter l’histoire franco-marocaine. C’est pour ça que j’accepte de parler : je ne veux pas laisser le débat public à celles et ceux qui vont profiter de cette demi-finale pour tenir des discours quasi racistes.
Quelle serait la première chose que vous aimeriez dire alors ?Que je ne me suis jamais autant senti français pendant cette Coupe du monde. Parce que j’ai le sentiment que ma part de marocanité est reconnue et que j’ai le droit de le dire en tant que binational et biculturel. Évidemment, je ne suis pas naïf sur les discours qui vont être tenus, mais encore une fois, s’il y a des Marocains en France, c’est pour des raisons historiques. Quand mon père est arrivé en 1970, c’est parce qu’on avait besoin de main-d’œuvre. Manque de pot, il a rencontré une Française, il est resté et c’est pour ça que moi, je suis là aujourd’hui.
Ça vous semble pertinent de parler de double identité ?Moi, je n’en ai qu’une : celle d’un Français d’origine marocaine, et c’est ma façon à moi d’être français. Je suis né en France, je parle français et très mal arabe, je me sens donc évidemment pleinement français, tout en ayant cet amour du Maroc qui m’a été transmis par mon père et ma famille qui réside en grande partie au Maroc. À l’adolescence, cette double culture m’a posé pas mal de problèmes de construction que j’ai fini par résoudre grâce à un petit passage chez le psy pendant trois-quatre ans. Aujourd’hui, je la vois comme un plus. Je ne suis pas dans le ressentiment.
C’est un peu ce qu’on a pu voir pendant les célébrations post-victoires du Maroc : une démonstration de cette double culture plutôt que celle d’un ressentiment ou d’une revanche envers l’ancienne puissance coloniale.Exactement. Après la qualif’ contre l’Espagne, je sortais du studio et je suis allé me balader sur les Champs. Ce que j’ai trouvé hyper beau, c’est qu’il y avait plein de familles, de femmes, mais aussi de Français qui ne sont pas d’origine marocaine et qui semblaient vraiment heureux pour le Maroc. On l’a d’ailleurs vu avec les nombreux drapeaux marocains et français brandis côte à côte, donc on sentait une vraie communion et une forme de fierté, mais pas dans le mauvais sens du terme.
Et de 1 !!!!!! Maintenant allez les Bleus !!!!! pic.twitter.com/8NIoN1idbN
— Karim RISSOULI (@KRissouli) December 10, 2022
L’autre rôle que l’on prête à cette équipe du Maroc, c’est celle d’un porte-étendard panafricain ou, en tout cas, panarabe. On l’a vu avec le soutien de la communauté algérienne envers leurs voisins. De quoi espérer que cesse le tabou d’une opposition entre la France et un pays nord-africain ?Dans le cas de cette opposition historique, puisque c’est une première en Coupe du monde, je préfère que l’on parle d’« histoire franco-marocaine », même si elle peut être vécue et ressentie différemment par les Français d’origine algérienne, tunisienne ou arabe. Je pense que le Maroc et l’Algérie n’ont pas la même histoire avec la France. Le Maroc était un protectorat, pas une colonie, et la présence française a duré 44 ans, ce qui est loin des 132 ans en Algérie, et elle ne s’est pas terminée par une guerre. D’ailleurs, quand on parle de réconciliation et de mémoire, c’est plus souvent vis-à-vis de la France et de l’Algérie que de la France et du Maroc. Alors, peut-être que le rapport historique franco-marocain est plus apaisé, même si le présent est un peu tendu par rapport à la question des visas alloués aux Marocains, ce qui peut provoquer une sorte de ressentiment vis-à-vis du fait que la France ne les accueille pas comme elle le devrait aujourd’hui. Quoi qu’il en soit, il ne faut pas transposer le fantasme franco-algérien sur ce match France-Maroc, parce que les deux pays ont une histoire différente. En ce qui concerne le rôle de porte-étendard, Walid Regragui l’a dit dès les huitièmes : « Maintenant, on y va pour toute l’Afrique », pas « pour le monde musulman », je trouve ça important de le préciser. Et c’est pour ça que de nombreux peuples se reconnaissent dans le Maroc, on aime bien que le petit Poucet déjoue les pronostics, comme en Coupe de France, c’est ça qui rend les émotions encore plus fortes. Après, il existe certainement une fierté musulmane, mais ce n’est pas à moi de la commenter.
L’Angevin que vous êtes ne doit pas rester insensible à la présence de Sofiane Boufal et Azzedine Ounahi dans l’effectif.Totalement, ça rejoint ma propre histoire. J’ai beaucoup joué au foot à Angers, là où Boufal est né et dans le club où Dayot Upamecano évoluait quand il était jeune. Donc j’ai des liens partout, au-delà de ma double culture.
Est-il selon vous plus simple pour la jeune génération actuelle de porter cette double culture que pour vous à l’époque ?Je ne sais pas, peut-être, il faudrait le leur demander. En tout cas, je pense qu’ils ont un discours assez décomplexé par rapport à ça. Plus le temps passe, plus l’histoire de l’immigration deviendra ancienne, et plus ce sera simple. C’est le cas pour un Français d’origine italienne ou polonaise aujourd’hui plutôt qu’il y a 70 ans. Le temps fera son œuvre. En attendant, je trouve super de voir qu’en zone mixte, les mecs parlent français, arabe, espagnol, néerlandais ou italien. C’est vraiment le symbole de l’histoire de l’immigration entre le Maroc et l’Europe. On ne pourra plus dire que le sport n’est pas politique, évidemment qu’il l’est. Quand c’est comme ça, c’est beau. Et je croise les doigts pour que ça le reste.
On imagine que vous avez vu la vidéo de Sofiane Boufal qui demande à un journaliste arabophone de reposer sa question en français.(Rires.) Oui, mais moi, je l’aurais probablement coupé avant ! On voit bien qu’en ce qui le concerne, se sentir marocain ne se résume pas à la langue. Un pays, c’est une famille, une culture, la langue en fait partie, de la musique…
Ce n’est donc pas défini que par le prisme de la langue ou de la religion.Surtout pas par une religion. Je pense qu’il faut que ceux qu’on appelle les musulmans en France redeviennent des arabes, et après, s’ils veulent être musulmans, tant mieux pour eux. En tout cas, moi, je ne suis pas franco-musulman, je suis franco-marocain.
En conclusion, est-ce que c’est à côté de la plaque de demander à un Franco-Marocain qui il supportera ce mercredi soir ?Non (rires), mais je ne le sais pas ! Je me pose la question depuis samedi dernier et je pourrais presque faire une expérience anthropologique : qu’est-ce que je vais ressentir quand le ballon va s’approcher du but français ? Ou du but marocain ? Je vais être à la fois excité qu’il y ait un but et, en même temps, dégoûté pour l’autre équipe. Donc je n’en sais rien, je vais le découvrir au moment du match. En tout cas, je suis super impatient, car c’est l’occasion de célébrer l’amitié et l’histoire franco-marocaine. Mais quoi qu’il arrive, maintenant je sais que je vais suivre cette Coupe du monde jusqu’au bout, puisque dans tous les cas, j’aurai une équipe en finale.
Propos recueillis par Julien Duez
Photos : Nathalie Guyon-FTV et Icon Sport.