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Karim, ce Ballon d’or était pour toi

Par Maxime Brigand
6 minutes
Karim, ce Ballon d’or était pour toi

Jeudi soir, Cristiano Ronaldo devrait recevoir le cinquième Ballon d’or de sa carrière, soit autant que Lionel Messi et cinq de plus que Benjamin Nivet. Pourtant, cette année, c'est Karim Benzema qui aurait dû le remporter. Voilà pourquoi.

De cette bande de gamins trop rapidement étiquetée « dorée » , allongée il y a plus de dix piges et quelques sur le toit de l’Europe en maillots bleus, Karim était le plus discret, le moins attendu. Celui à propos duquel l’on avait le moins de certitudes. Les espoirs, c’étaient eux : Samir Nasri, Jérémy Ménez, Hatem Ben Arfa, « ces trois-là étaient les plus talentueux de notre génération » , appuyait même Benzema récemment dans un entretien donné aux Inrocks. Problème : « Je pense qu’à certains moments, ils ont baissé les bras trop vite.(…)Je me rappelle que lors de ma première saison au Real, c’était très dur, mais je me suis accroché. » Comme à Lyon, quelques années plus tôt, où, comme souvent avec Benzema, il y avait le joueur « talentueux, mais on n’en voyait pas assez. Les actions où il pouvait se faire remarquer, on en voyait deux par heure. » (Armand Garrido, son coach chez les U17 de l’OL, dans Le K Benzema.)

En septembre 2016, Carlo Ancelotti ne disait pas autre chose : « Benzema, il ne lui manque rien. Mais je pense qu’il n’a pas l’envie d’être le meilleur, meilleur, meilleur. Il est content de ce qu’il fait. C’est un joueur humble, pas une superstar. » Chacun a taillé sa route, ils se sont perdus, lui non. Enfoncé dans le canapé d’un hôtel parisien, il s’expliquait alors début septembre : « Tu peux avoir de la chance pendant un an ou deux, mais après, si tu n’es pas performant, on te remercie et on te demande d’aller voir ailleurs. Je vais être franc : c’est dur, c’est super dur d’en arriver là.(…)Mais je suis quelqu’un qui aime les défis, la difficulté. »

« Quand on connaît le football… »

Depuis, Karim Benzema a relevé encore un peu plus le curseur et est devenu le meilleur buteur français de l’histoire de la Ligue des champions en claquant un doublé à Nicosie, le 21 novembre dernier, lors de la parade du Real au stade GSP de Strovolos (6-0) : 53 buts, en 98 matchs de C1. Un soir où le Français a même décidé de faire gicler le masque, hurlant au monde entier qu’il est bien « un grand joueur. Je joue dans le meilleur club du monde. Celui qui n’est pas content avec ça, c’est son problème. » Qui en doute encore ? Gary Lineker, probablement, qui s’amuse à surfer depuis 1986 sur un statut de « meilleur buteur de la Coupe du monde » disputée au Mexique et qui reste avant tout un mec qui a prouvé l’étendue de son caractère en se chiant dessus lors d’un premier tour de Coupe du monde, quatre ans plus tard, contre l’Irlande. Le bonhomme juge Benzema « surcoté » , Zidane en profite alors pour lui fracasser la mâchoire : « Quand on connaît le football, dire ça est une honte.(…)C’est vrai que le n°9 doit toujours marquer 50 ou 60 buts. Mais Karim ne va pas marquer 60 buts par saison. Il va en marquer 25 ou 30, et distribuer 30 ou 40 passes décisives. Pour moi, c’est le plus important. » Définitivement, 2017 aura été son année.

Pourtant, Karim Benzema ne remportera pas le Ballon d’or en 2017. Probablement qu’il ne le remportera d’ailleurs jamais. Surprise : il ne sera même pas dans le trio de tête. En même temps, de quoi a été composée son année ? D’un titre de champion d’Espagne, d’une nouvelle Supercoupe d’Europe, d’une troisième C1 et d’une qualification à la Coupe du monde. Bah oui, Karim Benzema n’est pas un international à la retraite. Quoi d’autre ? Il paraît que ce garçon est le meilleur buteur français de l’histoire du Real, de la Liga, sur une saison de Liga, de l’histoire des Clásico et que seuls trois joueurs de l’histoire de son club ont marqué plus de buts que lui en Ligue des champions. Ah, il est aussi le sixième meilleur buteur de l’histoire de la compétition. Et alors ? Tout le monde peut le faire, surtout à bientôt 30 ans. C’est sûrement d’ailleurs pour ça que le Real a décidé de le prolonger en septembre jusqu’en 2021 avec une clause libératoire fixée à un milliard d’euros. Bref, des broutilles.

« C’est le plus complet »

Non, simplement le meilleur joueur du monde à son poste. Joueur, pas attaquant, joueur. « Je peux créer et terminer, glissait-il en septembre. Mais c’est quelque chose qui n’intéresse plus les gens en fait. C’est comme ça, c’est le football d’aujourd’hui, on oublie certains détails. Quand un attaquant ne marque pas, mais crée plusieurs situations de jeu, ça n’intéresse personne. Alors qu’un attaquant qui ne touche pas un ballon, qui marque, mais qui n’est pas forcément beau à voir, on s’attarde sur lui. J’estime que le football doit être beau à voir, à regarder. Tu ne viens pas au stade ou tu ne t’installes pas sur son canapé pour rester les bras croisés. » Depuis quelques jours, il paraît que Mauro Icardi intéresserait le Real. On s’en cogne, « ici, nous avons le meilleur attaquant du monde qui est Karim Benzema » , giflait alors cette semaine Mateo Kovačić. Difficile de donner tort au milieu croate, rapidement rejoint par Thierry Henry : « Quand je parle de Karim Benzema, il n’y a qu’un mot qui me vient à l’esprit, c’est la classe. » Et le palmarès, et l’intelligence de jeu, et probablement le manque de reconnaissance, aussi.

Oui, on ne mesure pas le niveau extraordinaire affiché une nouvelle fois par Karim Benzema cette année, même si son début de saison 2017-2018 a, avant tout, été résumé à son manque d’impact statistique (5 buts, 2 passes décisives toutes compétitions confondues). « C’est le plus complet » , résume souvent Ancelotti lorsqu’il est invité à évoquer son ancien joueur. Alors quoi ? « Le Ballon d’or, c’est dur, mais après, c’est toujours dans un coin de la tête, répond Benzema. On est tombés dans des années où il y a deux extra-terrestres et ils ne laissent rien pour les autres. » Et ce monde se résume aujourd’hui à la statistique reine, au nombre de buts claqués, et ne parle plus de jeu. Lionel Messi n’a pas réussi une grande saison, Cristiano Ronaldo si, mais – aussi – avant tout grâce à Karim Benzema. Alors oui, le Français ne claque pas 50 buts par saison, ne lâche pas ses abdos sur les réseaux sociaux et n’est pas poursuivi pour évasion fiscale. Pourtant, c’est un talent brut, collectif, qui pue le foot et le purifie.

En ça, ce Ballon d’or 2017 devait être le tien, Karim. On te le donne. Pour l’ensemble de l’œuvre, pour te voir débarquer (enfin) avec un costume complet, ce que tu avais oublié au moment de recevoir ton trophée UNFP de meilleur joueur de Ligue 1 en 2008. Et aussi, parce que si le foot se résume au beau geste, laissons les s’endormir avec ce slalom.

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