- Asie – Coupe d'Asie des nations – Groupe C – Qatar/Bahreïn
Karim Boudiaf, le Français du Qatar
D'ores et déjà éliminée de cette Coupe d'Asie, la sélection qatarienne dispose d'un dernier match face à Bahreïn pour sauver l'honneur et continuer d'emmagasiner de l'expérience, avec le Mondial 2022 à l'esprit. Dans ses rangs se trouve un joueur qui est né et a grandi en France : Karim Boudiaf. Son portrait avec ceux qui l'ont connu.
« Karim, je m’en souviens très bien. Il lui a suffi d’un seul match d’essai pour me convaincre de le prendre. Il avait une sacrée qualité technique, une belle qualité de passe et une intelligence de jeu largement au-dessus de la moyenne. Il jouait comme quelqu’un qui avait 300 ou 400 matchs en pro dans les jambes… » Il y a un peu d’amertume et beaucoup de frustration dans les propos de Rachid Maatar au moment d’évoquer le cas Karim Boudiaf. L’ancien responsable de la formation de l’AS Nancy-Lorraine et entraîneur de la réserve se rappelle l’arrivée du jeune talent en Lorraine en 2008, mais aussi et surtout de son départ inéluctable deux ans plus tard, direction le Qatar, alors qu’il n’avait pas 20 ans… « Lors d’un déplacement de la réserve à Villemomble, j’avais discuté à la gare de l’Est avec le frère de Karim. Il avait déjà cette proposition du Qatar, et pour moi, c’était clair, il ne devait pas y aller. Pour un formateur comme moi, c’est très dur d’avoir un gamin si talentueux sous la main et de ne pas être parvenu à l’emmener jusque chez les pros en France. Il aurait eu les moyens de jouer avec la A, largement. »
Un échec à Lorient, un rebond à Nancy
Karim Boudiaf est un enfant de Gennevilliers. Sa mère est marocaine, son père algérien. À 16 ans, joueur à Rueil-Malmaison, il est repéré par le FC Lorient et intègre le centre de formation. Cette première expérience avec le foot de haut niveau tournera court puisqu’il finit par se faire exclure. « Des bêtises de jeunes, élude Reda Baiben, un recruteur basé en région parisienne, où Boudiaf revient après ce premier échec en Bretagne. Il avait pris une licence au Racing et je l’ai suivi toute sa saison chez les U19. En juin 2008, j’ai insisté pour qu’il fasse ce match d’essai avec Nancy alors qu’il était prêt à partir pour le Red Star. » Boudiaf se voit donc offrir une seconde chance d’avoir une carrière pro en France. À l’ASNL, Rachid Maatar le fait monter d’un cran, de défenseur central à milieu récupérateur. « Sur un terrain de foot, il avait la sagesse. Et en dehors, c’était un garçon sans histoire, poli, bien éduqué, qui ne posait pas de problèmes. » Mais pourquoi est-il parti si tôt ? « Quand je lui en parlais, il me disait que c’était lui qui voulait accepter cette offre du Qatar, mais il se voyait surtout investi d’une mission : celle de mettre ses proches à l’abri financièrement » , croit savoir son ancien coach.
De 500 à 10 000 euros/mois
Des propos confirmés par Reda Baiben : « Il a sorti sa famille de la merde, alors il ne faut pas juger trop vite son choix. Et pourtant, moi le premier, je le lui ai dit qu’il était bien trop pressé, mais c’est difficile de refuser une offre que personne ne pouvait lui offrir en France. De 500 euros par mois, son salaire est passé à 10 000 euros ! » D’ailleurs, toujours selon Reda Baiben, le club lorrain ne l’a pas vraiment retenu. « Il avait encore un an de contrat, mais il a été libéré, et Nancy n’a rien touché. À l’époque, j’avais dit aux dirigeants que si une opportunité se présentait à Karim de partir, il fallait accepter. L’effectif pro était trop saturé pour lui, il n’aurait pas eu sa chance. »
La saison 2009/2010, 30 joueurs sont utilisés par Pablo Correa. Boudiaf est barré, que ce soit en défense par André Luiz, Sami, Lotiès, Ouaddou, ou à la récupération avec N’Diaye, Ça, Bérenguer ou Bakaye Traoré. Alors il part pour le Qatar et le tout jeune club de Lekhwiya, qui évolue à l’époque en D2. Mais très vite, avec l’entraîneur Djamel Belmadi, franco-algérien comme Boudiaf, Lekhwiya grimpe tout en haut de la hiérarchie du football local : deux titres coup sur coup en 2011 et 2012 pour ses deux premières saisons en D1. L’ancien espoir de Nancy contribue grandement à ces succès et se fait vite draguer par l’Algérie pour intégrer la sélection U23 qui prépare en 2011 le tournoi qualificatif pour les JO l’année suivante. Il reçoit même une convocation officielle, mais décline, prétextant un match à ne pas manquer avec son club.
Pas le seul Français dans ce cas
Il se pourrait bien, en définitive, que dès son arrivée en 2010 dans le Golfe, soient planifiées sa naturalisation, puis sa sélection avec le Qatar. L’organisation du Mondial 2022 est déjà dans les têtes, et la Fédération locale doit mettre en place un programme sur le long terme pour disposer d’un vivier de joueurs suffisamment performants pour essayer de faire bonne figure pendant ce tournoi disputé à domicile. Et si les joueurs nés au Qatar ne suffisent pas, alors il faut en faire venir et les naturaliser. Parmi les 23 de l’équipe nationale présents pour cette Coupe d’Asie, on trouve ainsi des joueurs nés au Sénégal, en RD Congo, au Soudan, en Algérie, au Koweït, au Bahreïn… Et Boudiaf aurait pu ne pas être le seul « Français » , puisque Dame Traoré, né à Metz et ancien de Valenciennes, est également international.
Un autre compatriote est aussi sélectionnable : Amine Lecomte, né à Reims, ex-Sochalien. Pour Grégory Gomis le Versaillais, ancien de Sedan et de Vannes, ce sera bientôt le cas, lui qui est arrivé au Qatar plus tardivement, en 2012. Cette stratégie des Qatariens est facilitée par le fait que le staff actuel de l’équipe nationale est bien connu dans l’Hexagone, avec notamment Djamel Belmadi sélectionneur (celui-là même qui a fait venir Boudiaf sur place) et l’ancien coach sedanais Serge Romero en adjoint. Dans une interview donnée en 2012 à L’Est Républicain, le jeune international qui ne l’était pas encore à l’époque avait déjà les idées claires. « Je me sens super bien ici, je me suis vite adapté, disait-il. Il y a également un projet passionnant avec l’organisation de la Coupe du monde 2022 au Qatar. J’aurai 31 ans à ce moment-là, j’espère donc participer à cette compétition. »
Par Régis Delanoë