- France
- Affaire de la sextape
Karim Benzema, ni blanchi ni « bleui »
Coup de tonnerre dans le ciel du sport tricolore : la Cour de cassation a jugé déloyale l'enquête ouverte à l’encontre de Karim Benzema. S’il n’est pas innocenté pour autant, cette première victoire judiciaire éclaircit le ciel personnel et peut-être en bleu de l’attaquant du Real. Toutefois, la partie ne fait finalement que commencer. Devenu à son corps défendant bien autre chose qu’un simple footballeur, reprendre sa carrière internationale signifierait forcément davantage que la fin de l’épisode « sextape ». Si le Madrilène doit remporter une bataille, elle se déroulera bien loin des salles d’audience, voire même des terrains.
Karim Benzema avait changé d’avocat et de ligne de défense. Un choix judicieux. Alors que la cour de Versailles en décembre dernier avait validé la procédure, il avait choisi, avec ses défenseurs, de continuer à saper les fondements de l’enquête qui avait entraîné sa mise en examen. En poursuivant toutes les pistes de recours (plutôt que d’attendre un procès où il ne risquait a priori pas grand-chose finalement), il a clairement gagné du temps dans son contre-la-montre vers Moscou. Sur le fond, il s’agit d’un pur travail de juriste. Maître Patrice Spinosi (par ailleurs avocat de La Ligue des droits de l’homme et pourfendeur de l’état d’urgence) a apparemment réussi à convaincre les juges que le policier désigné pour accompagner Mathieu Valbuena face à la tentative de chantage dont il était victime avait eu un « rôle très actif » . Bref, un policier pousse-au-crime, ce qui est interdit évidemment, même si la zone grise en la matière reste floue et souvent à l’appréciation des magistrats. Qu’on ne se méprenne pas, Karim Benzema n’est ni blanchi ni surtout innocenté. Un autre conseil du joueur, Me Sylvain Cormier, le précisa de suite : « Le combat principal, c’est la démonstration de son innocence. Karim Benzema n’a absolument rien à se reprocher dans cette affaire. » Concrètement, nous sommes repartis pour un round, cette fois auprès de la cour d’appel de Paris, désignée par la cour de cassation pour statuer de nouveau sur l’enquête. Néanmoins, cette fois, la fin du feuilleton semble se dessiner, avec une possibilité de nullité de la procédure. Ce qui par ailleurs aura forcément des conséquences sur le sort des autres prévenus (Mustapha Zouaoui et Axel Angot) dont le « meilleur ami » , Karim Zenati, autre protagoniste de l’histoire, n’a cessé d’être protégé par Benzema.
Voilà pour la forme. Nous pouvons désormais quitter les palais de justice. Car quoi qu’il advienne dans les prétoires, la situation de Karim Benzema reste fondamentalement inchangée. Cette affaire laissera d’abord des traces profondes dans ce qu’elle a révélé du mode de fonctionnement interne du petit monde du football et de ceux qui essaient d’en profiter. Le grand perdant aura été, il faut malgré tout le rappeler, un Mathieu Valbuena que tout le monde avait prié de se taire et qui doit se demander pourquoi il a alerté la police. Lâché par quasiment tout le foot français et même la Fédération, il aura payé le prix fort.
Reconquérir le maillot bleu
De son côté Karim Benzema, s’il veut en sortir, a désormais un autre combat à mener. Reconquérir le maillot bleu et surtout laisser dans la cour des grands – celle des sélections nationales – une marque aussi honorable que son palmarès sous les couleurs du Real Madrid. Il fallait une première marche juridique pour revenir sous les meilleurs auspices. Il manque désormais à apaiser le climat. Certes l’élection de son « ami » Emmanuel Macron, qu’il avait applaudi fort visiblement sur les réseaux sociaux, changeait pour le moins son rapport au pouvoir et à la société française (en comparaison par exemple avec son « ennemi » Manuel Valls, par ailleurs supporter du Barça). Les révélations à l’occasion des Football Leaks de sa probité fiscale envers son pays – qualité plutôt rare chez les stars du ballon rond – avaient également redoré son blason. L’interview qu’il avait livrée à L’Équipe en mai dernier avait continué de creuser ce sillon. Alors que chacun notait les piques contre Mathieu Valbuena, peu remarquait sa volonté de convaincre tous les amoureux du « beau jeu » , notamment en vantant ses performances et son état d’esprit collectif. Le Lyonnais sait très bien que cette nouvelle équipe de France n’a plus rien à voir avec celle qu’il a connue. Ses lauriers madrilènes, qui lui sont posés par ses « fanzema » et les journalistes, à juste titre, sur les crampons, sont insuffisants, aussi injustes que cela puisse sembler. Et même si la douche froide en Suède pousse forcément à remettre l’hypothèse de son retour sur le tapis, les Français ne l’ont pas attendu pour croire de nouveau en leurs Bleus, leur Antoine Griezmann et tous les « petits » qui se bousculent derrière pour se faire une place. Il lui reste donc un rôle à réinventer au sein de la sélection avec pour secret espoir que le jeu offensif, seul point fort pour le moment, fasse pencher la balance en sa faveur. En cela, le conservatisme de Didier Deschamps s’avérera un obstacle supérieur à son orgueil blessé après les propos de KB9 dans Marca.
Le mouton noir
Le défi outrepasse même ce simple niveau professionnel. L’affaire de la sextape a bien commencé comme une désolante tentative de chantage. Cependant, elle a pris une ampleur inégalée, servi de révélateur de dimensions sociales et politiques qui dépassent de loin la perception qu’en a Karim Benzema, le nez dans son guidon individuel. La fonction de mouton noir, le doute permanent de racisme, les « deux poids deux mesures » , la guerre sur les réseaux sociaux entre pro et anti… Depuis deux ans, les Français, nonobstant leur sentiment intime sur l’affaire, se servent du cas Benzema pour se raconter et se détester au travers de l’équipe de France. Une vieille habitude, mais dont l’hypocrisie, de part et d’autre, rendait l’exercice souvent pernicieux (du Giroud bashing sur les réseaux sociaux aux déclarations douteuses d’un Premier ministre peu bavard en revanche sur Nikola Karabatic, condamné pour le coup). Déminer une telle situation prendra du temps, d’autant que les Bleus se sont en revanche bien lissés, avec en futur sauveur de la nation un Kylian Mbappé aux allures de fils idéal. Le sourire est un langage politique. La carte Benzema ne sortira que si l’EDF se rend en Russie avec l’intention de faire autre chose qu’obtenir une honorable place en quart de finale, avant d’être dégagé par les vrais prétendants… À en croire notre président de la République, les Français sont redevenus optimistes. La suite du parcours de l’enfant de Bron risque de lui rappeler que c’est un peu plus compliqué que cela.
Par Nicolas Kssis-Martov