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Karim Benzema dans le club des 5
Karim Benzema est le cinquième Français lauréat du septième Ballon d’or national. Si son sacre incontesté doit beaucoup à son talent personnel, il s’inscrit pourtant dans la lignée de ses illustres prédécesseurs : Kopa, Platini, Papin et Zidane.
Un peu de chronologie prestigieuse, pour commencer ! Raymond Kopa a remporté ce trophée individuel en 1958, Michel Platini s’est payé un triplé inouï et inédit en 1983-1984-1985, Jean-Pierre Papin l’a alpagué en 1991 et Zinédine Zidane l’a cueilli en 1998. Pas mal pour la France qui rejoint l’Allemagne, l’Argentine, le Portugal et les Pays-Bas à la place de nation numéro 1 avec, donc, 7 ballons dorés. De quoi cette septième boule de cristal non maléfique est-elle le nom ?
Blanc-Beur-Black
L’histoire de l’immigration de la France contemporaine trace une perspective quasi incontournable et continue du football hexagonal. Les Ballons d’or de Kopaszewski (d’origine polonaise), de Platini (d’origine italienne), de Zidane et de Benzema (tous deux d’origine algérienne, kabyle) ont suivi les vagues migratoires successives de notre pays. Si Papin le ch’ti se pose en exception, tous se rejoignent dans les surnoms familiers « bien de chez nous » dont on les affuble : Kopa ou le Napoléon du foot, Platoche, Jipépé ou Patator, Zizou et maintenant Benz’ ou KB9 (culture rap oblige), El Nueve, Benzegol. Cette mise en perspective chronologique de l’immigration de France laisse à penser que notre prochain Ballon d’or suivra la dernière vague d’immigration, celle d’Afrique subsaharienne, qui complètera la formule Black-Blanc-Beur, avec le Franco-Algéro-Camerounais Kylian Mbappé, dit « Kyky » , titi parisien de Bondy. Reste que l’origine immigrée n’est pas non plus une règle d’or absolue de la réussite footballistique au regard des autres lauréats potentiels qui auraient pu eux aussi être couronnés, tels Just Fontaine, Alain Giresse, Thierry Henry ou Franck Ribéry. En 2022, le football français ne peut dès lors que se féliciter de posséder trois buteurs d’origines et de profils différents : Giroud, Benzema et Mbappé ! Le tropisme de l’immigration ne fait que confirmer que c’est encore souvent par le sport et les arts (la musique et le cinéma, surtout) que les minorités continuent de briller dans leurs sociétés d’accueil. Mais sans oublier que l’œuvre bénéfique de l’intégration « à la française » a fait largement accéder aujourd’hui nombre d’immigrés de la seconde génération et des suivantes aux classes moyennes et aux professions libérales.
French style !
Le sacre de Karim Benzema continue d’écrire la singularité d’un football français qui gagne à titre individuel (7 Ballons d’or) et en sélection nationale (2 Coupes du monde 1998 et 2018, 2 Euros 1984 et 2000, une médaille d’or aux JO 1984, 2 Coupes des confédérations 2001 et 2003 et une Ligue des nations 2021), mais qui n’existe quasiment pas au niveau de ses clubs (C1 unique de 1993 pour l’OM et C2 1996 pour le PSG). Avant l’Euro 1984 sacrant le collectif des Bleus d’Hidalgo, le premier titre international du football hexagonal fut la distinction individuelle de Kopa, Ballon d’or en 1958. Preuve que la France tient son rang parmi les grandes nations du foot en ce sens qu’elles produisent régulièrement des joueurs d’exception. Et Karim en est un comme Raymond, Michel, Jean-Pierre et Zinédine l’ont été. Plus qu’une identité collective, observable chez l’Espagne ou les Pays-Bas, le football français exprime par son Club des 5 un style résolument offensif, inspiré et esthétique qui n’est pas sans rappeler, en rugby, le french flair du XV de France. Car, hormis chez JPP, pur numéro 9 tout dévoué à son boulot de finisseur, Kopa, Platini, Zidane et Benzema excellent ou ont excellé dans le double registre de buteurs-meneurs, de buteurs et créateurs. Bien sûr, Michel et Karim ont un profil plus prolifique en matière de pions inscrits, mais les deux autres savaient aussi marquer des buts importants.
Et Karim créa El Nueve
Chez Karim, auteur de 50 buts toutes compétitions confondues la saison passée, le double registre de buteur-meneur se renforce même dans sa particularité paradoxale de ne pas être obsédé uniquement par les stats. « Si tu ne penses qu’au but, c’est que tu ne sais pas jouer au foot », professe-t-il. Alors que c’est justement par les stats que le football de maintenant fait et défait les rois ! Karim a de fait créé El Nueve, sorte d’attaquant hybride qui tient une place à part dans le football actuel. A class of his own, comme disent les Anglais. Outre ses 50 buts, le natif de Bron a aussi délivré 16 passes décisives. Si on ajoute les avant-dernières passes décisives et ses participations actives ou initiales dans les buts inscrits par d’autres, ainsi que les penaltys qu’il a laissés aux copains, l’ensemble de son œuvre définit un réel profil d’exception. Avec une rare intelligence du jeu, Karim avait révélé dans un entretien dans L’Équipe du 5 avril dernier son cheminement personnel qui en a fait une sorte de démiurge de lui-même, créateur de son double, El Nueve : « Mon principal objectif, c’était de devenir une sorte d’attaquant « idéal ». (…) Donc si j’ai révolutionné le poste à ma manière, c’est ma plus belle réussite. » Mission accomplie ! El Nueve (le numéro neuf) sonne aussi comme El Nuevo (le nouveau) : KB9 ou la nouvelle nuance du 9. En plus de ses buts, ses passes décisives et ses deux titres majeurs avec le Real (C1 et Liga) ainsi que la Ligue des nations avec les Bleus, il s’est en outre distingué par un leadership qu’on ne lui aurait pas soupçonné auparavant. Avec ou sans brassard (Marcelo était le capitaine officiel du Real, Lloris celui de l’équipe de France), c’est lui qui a insufflé l’esprit de la gagne au Real et chez les Bleus, par la voix et par le geste, par l’attitude et par les buts cruciaux. El Nueve s’inscrit dès lors parfaitement dans la lignée de ses quatre illustres prédécesseurs qui sublimaient aussi jusqu’aux succès le collectif dans lequel ils se fondaient à merveille. Karim Benzema, c’est le football français qui sait aussi imaginer, inventer… et se recréer !
Par Chérif Ghemmour