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Kanté, petit bonhomme de Suresnes devenu géant

Par Romain Duchâteau, à Suresnes​
12 minutes
Kanté, petit bonhomme de Suresnes devenu géant

Le voir aujourd’hui s’époumoner et avaler les kilomètres tient presque de l’évidence. Pourtant, jusqu’à ses dix-neuf ans, N’Golo Kanté a surtout inlassablement couru à Suresnes, modeste club amateur des Hauts-de-Seine. Loin, très loin de Leicester et des projecteurs de la Premier League. Des débuts tortueux, puisque le talent n’a longtemps pas suffi. Plongée à la source où son empreinte demeure palpable.

Comme un cadeau au pied du sapin qu’on a longtemps regardé langoureusement, poser un pied aux abords du stade Maurice-Hubert se mérite. Entourée par une multitude d’arbres légèrement effeuillés par la douceur de l’hiver et bordée de longues routes où les appartements aux briques orange et rouges font office d’horizon, cette modeste enceinte ne se laisse pas découvrir aussi facilement. Située en plein cœur de Suresnes, banlieue des Hauts-de-Seine (92), il faut longer les grillages près de l’avenue Alexandre Maistrasse pour arriver à destination. Mais, ce samedi 23 janvier, ce n’est pas près du terrain principal que le petit parterre de spectateurs se presse, mais à seulement quelques pas. Sous une pluie fine et un ciel gris intimidant, les U13 de la Jeunesse sportive de Suresnes, parés de maillots jaune et bleu, s’époumonent face à leurs adversaires du jour sur une pelouse synthétique adjacente. Pendant que les entraîneurs respectifs s’égosillent, l’assistance composée de parents et de jeunes issus de quartiers proches observe les débats avec un vif intérêt. Cinquante mètres plus loin, c’est une autre pelouse encore, abîmée par le temps et les crampons étrennés par les nombreux acteurs qui sont passés, qui s’offre aux visiteurs.

Sur la piste d’athlétisme qui borde le terrain, d’aucuns regardent leurs enfants s’exercer au milieu des plots posés çà et là. En face trône ce qui ressemble à un préfabriqué où affluent jeunes et éducateurs du club. À peine la porte franchie, il suffit de quelques secondes pour s’imprégner de l’ambiance familiale qui règne. Il suffit, aussi, de jeter un coup d’œil sur les murs tapissés d’articles de journaux pour prendre conscience qui est la plus grande fierté du club amateur. Partout, le nom de N’Golo Kanté apparaît. Telle une évidence. Comme une récompense brandie après le parcours sinueux du milieu actuel de Leicester. « N’Golo, c’est notre plus grande fierté, assure en préambule Tomasz Bzymek, son entraîneur en seniors. N’Golo, ce n’est que ça : travail, travail et travail. On se demande où est-ce qu’il va s’arrêter. » « C’est un cas unique pour nous. Le voir arriver là où il est désormais, alors qu’on sait qu’il jouait encore avec nous jusqu’à dix-huit, dix-neuf ans, c’est surréaliste, confie pour sa part Piotr Wojtyna, un autre de ses éducateurs dans sa jeunesse, à la fois nostalgique et dérouté. C’est un énorme plaisir de voir ce qu’il accomplit. Tout ce qu’il est parvenu à faire, personne ne pourra lui enlever. C’est un parcours formidable. Il a une bonne étoile » . Pourtant, à ses débuts, la route tracée par le Franco-Malien était loin d’être aussi étoilée que maintenant.

Taiseux, courses échevelées et mascotte du club

Comprendre pourquoi l’itinéraire de N’Golo Kanté se révèle singulier, c’est donc revenir à la source. Prendre le pouls d’un club de banlieue comme tant d’autres et d’un environnement bienveillant. S’il voit le jour dans le dixième arrondissement de Paris, il grandit au quartier des Géraniums, à Rueil-Malmaison, dans une famille nombreuse composée de quatre frères et de quatre sœurs. Un cocon familial extrêmement discret, à l’image de ce qu’est N’Golo, gamin taciturne et taiseux. Pour tenter d’en savoir plus, il faut donc laisser la parole à ceux qui l’ont côtoyé très tôt. « Il était souvent en famille. Il a grandi dans une famille unie, soudée et solidaire, explique Adil Azami, son partenaire pendant plusieurs années à Suresnes. Un contexte normal, comme tant d’autres familles. C’est un gars simple. » Derrière cette simplicité se cache une blessure qui ne sera jamais vraiment cicatrisée : la perte de son père à seulement onze ans. Mais le banlieusard parisien n’en parle pas. Il est d’ailleurs peu loquace en général, ce qui ne lui permet toutefois pas de passer inaperçu lors de ses premiers pas à la J.S. Suresnes. « Tout de suite, on s’est pris d’affection pour lui, se souvient avec tendresse son ami et son coéquipier de dix à dix-neuf ans, François Lemoine, barbe ostensible et large sourire aux lèvres.Parce que c’était le plus petit, il ne parlait pas, il était gentil. Dans toutes les équipes où il était, c’était la mascotte. Partout. Un joueur comme ça, il est forcément couvé par les autres. »

Un joueur différent, aussi. Dont les premières courses et foulées sur les terrains ont marqué les esprits. « La première fois qu’on l’a vu arriver, il faisait deux têtes de moins que nous. Déjà, en benjamins, c’était le plus petit de tous. Il était minuscule, poursuit Lemoine qui a découvert le phénomène, alors âgé de dix ans, en U13. On se demandait donc en rigolant : « Mais c’est qui celui-là ? » Nous, on se croyait trop forts. Et on l’a vu à l’œuvre… » Kanté a beau faire deux têtes de moins que les autres, il n’est pas surclassé pour rien dès son plus jeune âge. « Le premier souvenir que je garde de lui, c’était le premier entraînement qu’on a fait en septembre où il y avait des groupes de niveau parce qu’on pouvait avoir jusqu’à plus de cent gamins. Parmi toute cette masse, ce qui sautait aux yeux avec N’Golo, c’est qu’il ne s’arrêtait jamais de courir, souffle avec un accent polonais prononcé Piotr Wojtyna, anorak noir du club sur les épaules et lunettes noires vissées sur le nez. À partir de là, moi, ça m’a déjà suffi pour repérer ses qualités. C’est un gamin qui se battait déjà naturellement sur le terrain. D’ailleurs, je me souviens qu’en primaire, en CM2, il a gagné un cross où il y avait quatre cents enfants. » Le potentiel ne souffre aucune contestation. Il demande simplement à être aiguillé, poli, peaufiné.

« Je ne l’ai jamais entendu dire : « Moi je, moi je ». Quand on lui disait de faire quelque chose sur le terrain, il l’appliquait »

Derrière le gamin taiseux, il y a déjà une maturité saisissante. N’Golo écoute attentivement, se nourrit des conseils de ses éducateurs et les applique. Sans jamais dire un mot en guise d’acquiescement. Juste un petit sourire, du bout des lèvres. « Il avait déjà des qualités d’écoute et de concentration. On ne venait pas pour travailler, mais lui si. Il était là pour progresser alors qu’on était très jeunes et qu’on pensait davantage à s’amuser. C’était peut-être inconscient de sa part. Il était comme ça » , rappelle Lemoine, encore admiratif. « C’était un joueur extrêmement humble. Je ne l’ai jamais entendu dire: « Moi je, moi je ». Jamais. Quand on lui disait de faire quelque chose sur le terrain, il le faisait et appliquait, étaye Wojtyna, son éducateur pendant huit ans, le regard empreint de souvenirs. C’était un gamin très réceptif. Il avait une faculté d’apprentissage remarquable. » Preuve en est au détour d’une anecdote révélée par ce dernier : « À la fin d’une saison, je lui avais dit qu’il devait travailler son jonglage pendant les vacances de deux mois. À son retour, il fait un test. Cinquante du droit, cinquante du gauche, cinquante de la tête ! On le sentait tellement investi dans chacun de ses mouvements. Sur un simple exercice de jonglage, on a pu constater toute sa rigueur et sa maturité pour son âge. » En seniors, l’apprentissage s’est également poursuivi sans coup férir. « Il fallait l’accompagner. Il a acquis les bases avec Piotr. Puis a appris ensuite avec moi à se comporter contre les adversaires avec ou sans ballon et à défendre, les dédoublements collectifs, le jeu à trois, etc » , ajoute Tomasz Bzymek, lui dont l’accent respire aussi l’Europe de l’Est.

Mais peu importent les catégories, les tournois remportés où il termine souvent meilleur joueur – et où les coupes sont presque parfois plus grandes que lui – ou les matchs disputés, l’évidence est là. Palpable. Indéniable, même. Sans jamais faire de bruit, Kanté brille plus que les autres. « Quelques qualités qu’il a actuellement, on les retrouvait à l’époque. Une très bonne lecture du jeu, il sent et prévoit les coups puisqu’il a une seconde d’avance, puis la vivacité, précise Piotr Wojtyna.Il a cette capacité de répéter les efforts et pouvait fournir la même intensité en fin de match qu’en début. Il avait aussi fait un test VAMEVAL, un test de référence pour les entraîneurs afin de juger l’endurance et la puissance. Et tout ce qui était endurance, il avait dépassé tous les joueurs en seniors alors qu’il était en U19. » « À chaque fois qu’il jouait avec une équipe, elle gagnait, s’esclaffe pour sa part Tomasz Bzymek. À l’entraînement, les gardiens choisissaient leur équipe, et N’Golo était tout de suite choisi en premier. Parce qu’ils savaient qu’ils avaient 99% de chances de gagner avec lui. » Et François Lemoine de lever le voile à son tour sur un épisode singulier bien ancré dans sa mémoire : « Là où j’ai vraiment pris conscience que c’était un truc de fou, c’est quand j’étais en U19. Un jour, N’Golo se pointe à un match. Il était tout petit, et les joueurs autour de lui avaient cinq ans de plus. On jouait contre Gennevilliers, une équipe du coin qui va au casse-pipe. On se prenait une branlée, et il entre à dix minutes de la fin. Il évolue au poste d’arrière gauche, alors qu’il est milieu de terrain et il met la misère à tout le monde. À partir de ce match-là, il a commencé à jouer tout le temps avec nous, puis n’a plus arrêté de progresser. »

Recalage à la pelle, foi et coup de pouce du destin

Le phénomène N’Golo est alors en marche et prend de l’ampleur année après année. « Je peux te dire qu’il a traumatisé des équipes entières, confesse en se marrant Adil Azami, son coéquipier au milieu de terrain pendant plusieurs années. Il y a des gars qui me parlent encore de lui. C’était à la fois impressionnant et choquant. Il y a des jours, les tribunes étaient remplies. Beaucoup de personnes, une cinquantaine, ne venaient que pour le voir jouer. Ça criait « N’Golo, N’Golo ! » Généralement, à ce niveau-là, tu ne vois pas ça. » Malgré cette supériorité ostensible, des qualités manifestes qui laissent pantoise l’assistance, il garde un sens viscéral du collectif. Un style de jeu que l’on retrouve encore aujourd’hui à Leicester. « Chez lui, la passe était innée. C’est nous qui le poussions souvent à aller tout seul, surtout quand il est arrivé en senior où tu veux gagner les matchs. On lui disait de prendre la balle et d’y aller tout seul » , insiste François Lemoine. Même son de cloche dans la bouche de Piotr Wojtyna : « Il ne marquait pratiquement pas de buts. Il faisait partie d’une génération qui a largement remporté un championnat de district avec 15 victoires, 3 nuls et aucune défaite. En dix-huit matchs disputés, il n’a même pas dû marquer cinq buts. Parce que c’était quelqu’un de naturellement collectif, altruiste dans son jeu. » Un tel talent n’a pourtant jamais eu l’opportunité de s’exprimer dans un centre de formation. Parce qu’il est desservi par sa petite taille, le Franco-Malien essuie un nombre incalculable de refus. À Sochaux, Rennes, Lorient, Beauvais, Amiens ou encore à l’INF Clairefontaine.

« Ils ne l’ont pas retenu parce qu’il était petit, vraiment très petit. Je suis également allé aux sélections de l’INF Clairefontaine, relate François Lemoine, encore un brin amer. J’étais petit aussi. Je faisais les tests et je n’ai jamais vu les gars qui faisaient passer les tests me regarder. Jamais. Alors pour N’Golo, ça devait être cent fois pire ! Ils n’ont même pas dû poser leurs yeux sur lui une seule fois. » « Comme il venait d’un club de district, ça l’a aussi desservi, regrette également Wojtyna. Alors qu’à plusieurs sélections auxquelles j’ai assistées, il sortait du lot. » Forcément désappointé, mais pas abattu par cette succession d’échecs, il poursuit son tortueux chemin. Sans rien dire. Comme d’habitude. « Malgré ça, le gamin est toujours resté souriant, voulait toujours progresser, était tout le temps positif, ne ratait jamais un entraînement, n’était jamais en retard, ne râlait jamais, lâche, presque ému, Tomasz Bzymek. Jamais un mot, jamais une critique. » « Cette personnalité découle de son éducation et de sa famille, reprend Lemoine. La religion compte aussi beaucoup pour lui. C’était déjà un garçon très pieux. Très jeune, ça se ressentait moins. Mais quand il était un peu plus vieux, je savais qu’il était très pratiquant. Mais jamais de manière excessive, il ne le revendiquait pas. C’était en lui, quelque chose de très personnel. » À Suresnes, le plus haut niveau atteint par Kanté sera la PH. Ce n’est qu’en 2010 que son destin bascule à dix-neuf ans. Par le biais d’un des dirigeants du club suresnois, Jean-Pierre Perrinelle (aujourd’hui disparu), il signe une licence amateur. Grâce aux contacts du dirigeant et au passage de son fils Damien entre 2006 et 2010, N’Golo rallie l’US Boulogne. Après une entrée en matière poussive entre blessures et déracinement en DH et CFA 2, il étonne en National. Avant l’explosion fulgurante au Stade Malherbe Caen. Avant la confirmation tout aussi sidérante aujourd’hui à Leicester. Une ascension ébouriffante qui ne lui a pas fait oublier ses débuts franciliens. Là où son histoire s’est éveillée. « Je l’ai croisé il y a trois semaines. Il respecte toujours ses entraîneurs, comme avant. Il est resté le même et c’est ce qui lui a permis de progresser, conclut Tomasz Bzymek, la fierté à peine dissimulable. Je trouve qu’il est vraiment différent. Pendant une heure et demie, il n’a pas arrêté de signer des autographes aux gamins. Il était très disponible avec eux. » Sans dire un mot, mais le sourire aux lèvres. Comme toujours. Mais qu’on ne s’y trompe pas, le petit bonhomme de Suresnes est devenu grand. Très grand.

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Par Romain Duchâteau, à Suresnes​

Tous propos recueillis par RD

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