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Kanté a-t-il vraiment trois poumons ?
« Kylian Mbappé est le garçon sur le poster, mais c'est N'Golo Kanté qui est dans le cœur des Français », résumait récemment Ian Herbert au Daily Mail. Alors que la presse mondiale salue le travail de l'ombre du meilleur joueur français, cauchemar de l'Argentine puis de l'Uruguay en attendant la Belgique, ses performances spectaculaires répondent peut-être à une particularité anatomique. Et si Kanté avait réellement trois poumons ?
Que ne peut-on pas calculer dans le football moderne ? Rien, vous répondrait probablement Philippe Doucet avec assurance, sans savoir qu’il se trompe comme un juge devant Patrick Dils. Car au milieu des tableaux statistiques déployés à coups de palettes graphiques sur les chaînes de télévision mondiales, une donnée échappe à la communauté scientifique comme le fonctionnement des pyramides de Gizeh. De combien de poumons dispose N’Golo Kanté ? « Il court partout, il a quinze poumons » , estimait Paul Pogba après la courte victoire des Bleus face au Pérou (1-0).
Olivier Giroud avait lui l’impression de « jouer à douze sur le terrain » grâce à la présence du petit milieu de Chelsea, quand on peut entendre alentours que le gamin disposerait de « trois poumons » selon l’expression consacrée. L’intéressé, de son côté, déclarait ceci dans un sourire à Denis Brogniart et Nathalie Iannetta après le quart de finale de l’équipe de France face à l’Uruguay : « J’ai deux poumons, comme tout le monde. » Alors, fake news ou bon point ?
Respirer par la peau comme les lombrics
Tout d’abord, il convient d’écarter l’hypothèse de la pure malformation physique. Car s’il existe des pathologies entraînant l’ablation totale d’un poumon – opération autrement appelé pneumonectomie –, notamment les cancers ou certaines causes infectieuses, aucun cas mondial n’a jamais été recensé avec trois poumons à sa naissance. Ou, à défaut, n’a vécu assez longtemps pour faire l’objet d’un recensement. À noter au passage que la rumeur voulant que le pape François ne vive qu’avec un seul poumon est fausse, celui-ci s’étant fait retirer la partie supérieure de son organe droit à la suite d’une pneumonie aiguë lorsqu’il avait 21 ans (c’est l’Agence catholique argentine qui le dit). Bref, un rapide coup de fil au service de pneumologie du Centre hospitalier Robert-Boulin à Libourne (en Gironde) permet d’écarter tout soupçon. La spécialiste vient de partir, mais une jeune femme à l’accueil téléphonique ne peut étouffer un rire à l’énoncé du questionnement : « Non désolé, mais c’est comme si vous disiez que quelqu’un à trois bras, quoi. Ce serait très pratique, mais on n’a jamais vu ça. »
Même la pieuvre, qui dispose de trois cœurs, n’a que deux poumons à sa disposition. C’est simple : le règne animal a créé de biens étranges créatures, comme le lombric dont la peau lui sert d’organe respiratoire, ou même les poissons qui respirent via des branchies. Mais aucune espèce n’est connue pour disposer de trois poumons. Le secret se situe donc ailleurs. Un œil aux statistiques pourtant surhumaines : Kanté, depuis le début du Mondial, c’est quarante ballons récupérés dans les pieds, le meilleur total toutes sélections confondues, et aussi le plus bel intercepteur du tournoi (17 au total). C’est aussi une réputation qui n’en finit plus de grandir pour le cauchemar des cameramans, lesquels doivent courber le dos au milieu de chaque Marseillaise pour cadrer son visage joufflu en contre-plongée après celui d’Olivier Giroud. En clair, des performances de Ballon d’or ancienne formule.
« Pas une capacité pulmonaire supérieure à un individu lambda »
Morgan Bourc’his tient à recadrer certaines extensions de pensée : non, « ce n’est pas parce que l’on a de gros poumons que l’on est très endurant » . Cet apnéiste français, double champion du monde en 2008 et 2013 et spécialiste des disciplines sans palme et sans assistance, fait le distingo entre capacité pulmonaire et capacité d’endurance : « N’Golo Kanté a de toute évidence un métabolisme qui lui permet de soutenir l’effort et de le répéter, soutenu par un entraînement foncier aérobique, explique-t-il. Ça lui permet d’être efficace sur les ballons malgré la fatigue, mais ça ne veut pas dire pour autant qu’il a une capacité pulmonaire supérieure aux autres. On ne peut pas déterminer ça sans faire de test. » L’effort de l’apnéiste est en ce sens bien différent de celui du footballeur, l’un veillant à ralentir son métabolisme à la manière d’un lave-linge en mode économie, l’autre brûlant de l’oxygène comme un cheminot balancerait du charbon dans le moteur d’un train à vapeur.
« Une personne lambda possède un volume pulmonaire de quatre, cinq, six litres, poursuit Morgan Bourc’his. Les sportifs n’ont pas forcément des capacités pulmonaires supérieures à la moyenne, à part les apnéistes et les nageurs qui peuvent monter jusqu’à douze litres. En ce sens, oui, on pourrait dire qu’on dispose de trois poumons, mais c’est du langage commun. » Paraîtrait-il même que les individus très endurants sont de bien piètres apnéistes, précisément parce que leur corps souffre très rapidement du manque d’oxygène. Et qu’inversement, « beaucoup d’apnéistes qui ont huit ou neuf litres de volume pulmonaire sont moins endurants que Kanté » . Le mythe serait-il donc simple affaire de condition physique ? Réponse du service pneumologie du Centre hospitalier Robert-Boulin à Libourne : « Écoutez, je ne suis pas sûr que cela fasse rire notre pneumologue quand la moitié des patients ici n’en ont qu’un, de poumon. Il veut pas nous en passer un, Kanté, au lieu de courir derrière un ballon ? » Après le 15 juillet, promis.
Par Théo Denmat
Tous propos recueillis par TD