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Kamel Yesli : « Les routes d’Algérie, c’est pas l’autoroute A6 »

Propos recueillis par Christophe Gleizes
13 minutes
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Formé au PSG, Kamel Yesli a longtemps galéré en CFA, avant de rebondir. Depuis trois ans, il fait le bonheur de la Jeunesse sportive de Kabylie, un des clubs phares du championnat algérien.

Salut Kamel, comment ça se passe à Tizi Ouzou ?

Plutôt bien, merci. Moi, ça fait déjà trois ans que je suis ici. Ça va, la vie est cool.

Tu trouves pas qu’il fait chaud par moments ?

Quand je suis rentré de Paris le 28 juin dernier, il faisait 50 degrés (rires). C’était difficile. La plupart des gens vivent chez eux sous la clim. Comme à Dubaï.

Tu peux nous présenter un peu la ville ?

Tizi, c’est une ville très calme, vraiment il n’y a pas beaucoup d’activités pour les jeunes. C’est une ville très étudiante, mais ça ne bouge pas spécialement.

Ah bon ? Il y a pourtant de l’alcool en vente libre !

Ah ça, ouais, c’est très différent du reste du pays ! Mais moi, je ne touche pas à ça, pas du tout. C’est vrai qu’il y a pas mal de boutiques qui en vendent, après chacun est libre de faire ce qu’il veut. Moi, je m’occupe de moi. Alger, ça bouge plus, c’est une capitale, il y a plus de restaurants, d’activités, de choses à faire.

C’est pour ça que tu y étais cet après-midi…

Oui, je suis juste parti faire une petite course vite fait. Le trajet est long mine de rien. Les routes d’Algérie, c’est pas l’autoroute A6.

Donne-nous envie de venir à Tizi…

Tu sais, moi, je suis venu ici pour jouer au foot (rires). J’ai la chance d’habiter à Paris et d’y revenir tous les mois. Ici, c’est maison-entraînement. Dès que j’ai un petit week-end, je remonte en France pour voir ma famille.

Pourquoi tu as décidé de venir alors ?

J’ai beaucoup galéré avant. Lors de ma dernière année de contrat au PSG, je me suis blessé deux fois, deux fractures du pied. Je n’ai pas pu jouer une saison complète, le club ne m’a pas gardé. Je n’avais que 18 ans. Et derrière, retrouver un challenge en étant blessé, ça a été très difficile. Même en sortant du PSG. Il y a eu une période où j’ai été un peu déçu du foot, on va dire.

Cela a duré combien de temps ?

Quatre ou cinq mois, à peu près. Il faut comprendre que de mes 10 ans à mes 18 ans, je n’ai pensé qu’au PSG. J’ai fait beaucoup de sacrifices. C’est difficile quand tout se termine. Après, j’ai l’impression qu’il y a beaucoup de joueurs de centre de formation dans mon cas. Quand ils ne passent pas stagiaires pro, ils ont du mal à redescendre dans le monde amateur. D’autant plus qu’au PSG, franchement, on était chouchoutés. Passer à l’échelon inférieur après ça, c’est dur. Du coup, je suis rentré chez moi, à Évry. J’avais besoin de retrouver une vie normale et de faire le point.

Il y avait qui avec toi au PSG ?

Ma génération, c’est Mamadou Sakho, Younousse Sankharé, David N’Gog, Granddi Ngoyi, Yussuf Mulumbu, que des mecs qui jouent dans des bons clubs.

Ah ouais, grosse concurrence…

Il y avait du bon niveau, on va dire !

Après avoir quitté le club, qu’est-ce que tu fais ?

J’essaie de retrouver mes esprits, je coupe complètement pendant quelques mois. J’ai fini par réaliser que je faisais ça depuis tout petit, que j’avais quand même des qualités. Je ne pouvais pas abandonner. Du coup, je me suis remis à m’entraîner seul. Et derrière, des amis m’ont convaincu de signer à Brétigny-sur-Orge. Je connaissais le club de réputation, car il est connu pour sa formation. Le coach m’a redonné confiance et j’ai retrouvé mes sensations. En huit mois, j’ai dû mettre une vingtaine de passes décisives et une dizaine de buts.

Derrière, tu signes rapidement à Sainte-Geneviève-des-Bois…

Oui, pour retrouver le niveau CFA. Je me suis dit qu’en fin de compte, les jeunes du PSG jouaient dans la même division, et qu’il y avait moyen d’attirer les recruteurs. J’étais le plus petit de l’équipe, le capitaine avait le double de mon âge, c’était impressionnant. Mais j’ai beaucoup appris là aussi, grâce à Emmanuel Dorado et Jean-Claude Fernandes, deux anciens pros du PSG. Avec eux, j’ai découvert le monde senior, ce que ça fait de prendre des coups (rires).

C’est ça, la vraie différence ?

Non, la vraie différence, c’est l’envie de jouer. En pro, le football, c’est ton métier. En amateur, c’est plus une passion, car tu dois concilier avec un autre taf. Ce n’est pas facile de travailler toute la journée, de venir s’entraîner à 18h, puis de rentrer chez toi à 22h, tous les jours. Les amateurs ne gagnent pas des sommes extraordinaires, mais ils aiment le foot. J’ai goûté à ça et je sais ce que c’est.

Comment ça se passe alors à Sainte-Geneviève ?

Je fais une saison, 24 matchs en tout, surtout vers la fin. Le club descend en CFA2. Personnellement, je me voyais mal redescendre à l’échelon inférieur. Donc j’arrête le foot pendant un an encore. En fait, je voulais trouver un nouveau centre de formation, mais je suis tombé dans le même cercle vicieux. Je ne trouve pas, je galère. Je fais rien de rien.

Tu prends une petite année sabbatique quoi…

Voilà. Heureusement que j’avais un peu économisé de mes huit années au PSG ! (rires)

Tu finis pourtant par atterrir au Paris FC…

Oui, ils sont venus me trouver par l’intermédiaire d’un agent qui me connaissait du PSG. Je n’avais pas d’agents à l’époque, mon père ne voulait pas, et en plus, je n’en voyais pas l’utilité. Mais ces personnes-là sont toujours restées à côté de moi, à me donner de petits conseils sans contrepartie. Ils ne m’ont jamais lâché malgré mon départ du PSG. Et aujourd’hui, ce sont eux qui gèrent mes intérêts, comme ceux de Sakho, Sankharé, Mvila et j’en passe…

Donc ils t’envoient en CFA2…

À la fin de la première séance, le coach me dit qu’il me prend pour l’année prochaine, et me demande de revenir tous les jours pour reprendre le rythme. Au bout d’un mois, je suis promu en National, en équipe première. Je commence à m’entraîner le matin à 9h. Au final, je fais un mois, deux mois, sans être payé.

Pourquoi ?

À la base, je devais m’entraîner avec la CFA 2 à 19h, donc j’ai signé sans demander d’argent. Je pensais pouvoir me débrouiller en trouvant un petit travail à côté. J’avais faim à cette époque-là, j’étais motivé (rires). Mais, là, vu que je bossais le matin, c’était impossible. J’habitais à Évry, je me levais à 6h30 chaque matin pour prendre l’autoroute A6 et me taper les bouchons, donc je leur ai demandé un petit billet pour m’encourager. Ils me disent que ce n’est pas possible. Je suis donc retourné en CFA2, car il fallait bien que je gagne ma croûte. Je finis l’année et arrive une proposition d’essai du Betis Séville.

Ah, enfin une bonne nouvelle !

Je fais un premier match qui se passe très bien. Les dirigeants appellent mon agent et lui disent de venir me voir pour le second match, où je fais une super prestation aussi. Arrivent les négociations, qui aboutissent. Ils m’ont demandé d’attendre la reprise pour savoir quels joueurs ils allaient libérer, pour recruter en fonction. Et quand mon agent a essayé de rappeler, ils lui ont dit finalement qu’ils avaient trouvé quelqu’un en Espagne. C’était mort. Alors je suis allé aux États-Unis (rires).

Rien ne t’arrête…

J’atterris à San José, en MLS. Je ne connaissais pas du tout, c’était pas encore à la mode. Je fais une semaine avec eux, tout se passe bien sur le terrain, mais niveau salaire, c’est pas du tout ce qu’on croit au début. En fait, avec le salary cap, si tu as un million de dollars de budget, ils donnent 900 000 dollars à la star et le reste se partage les miettes. Moi, j’avais 21 ans, pas beaucoup d’argent, j’étais loin de chez moi, je parlais pas la langue, c’était trop difficile. Donc j’ai abandonné.

Cela ne t’a pas plu, les States ?

Si, la vie est belle là-bas. Mais tout seul, loin de tout, je ne pouvais vraiment pas, d’autant qu’il n’y avait pas de motivation financière. Si j’avais été mieux payé, j’aurais pu faire ce sacrifice-là. Ce n’est pas arrivé, mais c’est un mal pour un bien, car je suis alors retourné au Paris FC, où je me suis rapidement imposé en National. Je deviens titulaire et je signe un contrat fédéral. J’étais soulagé, mais les quatre derniers mois au club ont été difficiles, avec beaucoup de changements d’entraîneur, trop de politique en coulisses. Donc j’ai décidé de partir en Algérie !

Tu n’avais jamais été contacté avant ?

Si, en sortant du PSG, on m’avait déjà proposé l’Algérie. Les agents ici, dès qu’ils entendent qu’on a le double passeport ils viennent te demander si tu es intéressé. Le premier argument ici, bien sûr, c’est l’aspect financier. À 18 ans, j’ai refusé. À 20 ans, je ne pouvais pas non plus. Je me voyais mal quitter mon petit cocon parisien. Mais là, j’avais 24 ans, j’en ai parlé à mes parents, qui m’ont dit pourquoi pas. Cela s’est fait à la dernière minute, j’étais annoncé à Sétif et finalement j’ai signé à la JSK.

T’as hésité avant de venir ?

Oui, un peu. Pour être honnête, mes parents sont kabyles, ils ont une maison en ville et sont originaires d’un petit village à côté, mais moi, je suis né en France, j’ai grandi en France. Plus jeune, je venais ici en vacances, mais je n’étais pas retourné en Algérie depuis mes quatorze ans, du coup je ne connaissais pas vraiment le pays ni la langue. Mais bon je me suis débrouillé. Je me suis fait tout seul ici et j’en suis fier.

En ville, les supporters parlent pas mal de toi, ils disent que tu es un des plus talentueux de l’équipe…

Ah bon ? C’est vrai que je reçois beaucoup de messages. Quand on donne son numéro ici, ça a vite fait de tourner. Les Algériens, ils arrêtent pas. Avec le club, on est sponsorisés par Ooredoo qui nous donne des puces, ce qui fait qu’on a tous le même numéro à quatre chiffres près. Ils testent toutes les combinaisons possibles, je suis obligé d’acheter une puce extérieure et de changer de numéro tous les mois…

Les Kabyles sont débrouillards…

Ce sont des pirates (rires).

La JSK, ça représente quoi pour toi ? Tu peux nous en parler ?

C’est un club très particulier, qui représente une région très particulière, la Kabylie, qui a sa propre langue. Il y a un attachement identitaire très fort au club, un peu comme le Barça, ou les clubs corses, toutes proportions gardées. Ils ont beaucoup de principes ici : c’est une région de rebelles, d’opposition au pouvoir, qui ne se laisse pas faire. Nous, quand on porte le maillot, on défend cette idée aussi, comme un symbole. C’est le seul club de la région, avec Bejaia, mais qui est quand même à trois heures de voiture, alors qu’à Alger, ils ont cinq clubs différents pour une même ville.

C’est motivant, non ?

C’est motivant, et en même temps, c’est à double tranchant. Il y a beaucoup de pression pour qu’on porte haut les couleurs du club. Il faut gagner chaque match, peu importe l’adversaire ou le contexte. Tu es tout le temps sous pression. Quand ça se passe bien, franchement c’est extraordinaire. Après, quand c’est un peu plus difficile, il faut faire le dos rond. Les supporters algériens, ils sont dingues de foot. Il n’y a pas beaucoup d’autres activités pour la jeunesse qui se défoule au stade. J’accepte la critique, mais parfois les supporters sont très durs.

Il faut dire que le club ne se porte pas très bien actuellement…

Quand je suis arrivé il y a trois ans, la première année était super. On finit à la seconde place du championnat et on perd aux penaltys en finale de la Coupe d’Algérie contre le Mouloudia d’Alger. La deuxième année, on est donc qualifiés en Ligue des champions, le club met beaucoup de moyens pour progresser. Le premier match, on gagne 2-0 à Oran. On revient à la maison pour le Clásico contre l’USMA, un match très important. On perd 2-1 et puis il se passe ce qui se passe…

La mort d’Albert Ebossé…

À partir de là, ça a vraiment été très difficile. Le championnat s’est arrêté pendant quinze jours et le club a été lourdement sanctionné. Plus de Ligue des champions. Le huis clos à tous les matchs. Pendant presque un an, on n’avait plus le droit de jouer dans notre stade. On a dû partir s’entraîner à Alger à un moment donné. Il n’y avait rien pour nous aider.

Parle-nous un peu d’Albert, qui était ton meilleur ami au club.

C’était vraiment le gars avec qui je passais tout mon temps ici. Il parlait français, donc ça nous a tout de suite rapproché. Quand on vient de France, on grandit dans une ambiance multiculturelle, donc on a une certaine facilité pour parler aux Africains. J’étais super proche de lui, on habitait le même palier, on mangeait ensemble très souvent. Quand je partais à Paris, il me demandait si je pouvais ramener des petits trucs pour lui, pour sa fille. Il était en mission pour sa famille restée au pays. Surtout, il était connu et apprécié dans toute l’Algérie. On allait jouer dans le Sud en plein désert et il y avait des gens dans la ville qui criaient son nom, c’était incroyable. Après le drame, je suis rentré à Paris et je ne voulais pas trop revenir pour être honnête. J’étais trop déçu. Je voulais couper et trouver un club en France.

Tu es quand même revenu…

Je suis revenu, mais franchement, c’était à reculons. Au début, j’ai vraiment eu du mal à rejouer, même si la direction m’a beaucoup aidé. Tout le monde était attristé, mais moi, je l’ai encore vécu d’une autre manière, car je le connaissais mieux que personne. Ses frères, il me les passait sur Skype ou au téléphone, je faisais presque partie de sa famille. Il était comme un frère ici…

Comment fait-on pour revenir au foot dans ces conditions ?

Cela a vraiment été difficile de me remettre au travail, d’autant plus que les mauvais résultats se sont enchaînés. Il y avait beaucoup de tensions au club, des non-dits, des messes basses. On a lutté toute l’année pour éviter la relégation. Aujourd’hui, l’ambiance est meilleure, on a réussi à créer un beau groupe. Pour le moment, tout se passe bien…

Ah oui ? Le manager vient pourtant de poser sa démission…

Oui, mais à force, on s’habitue, ça va assez vite en Algérie. Les gens ne restent jamais à leur place. En tant que joueurs, on ne se préoccupe pas de l’extra-sportif, on reste concentrés sur le terrain.

En ville, le président Hannachi est très critiqué pour sa gestion. Il refuse pourtant de démissionner.

Moi, je le comprends. Il a fait toute sa vie ici. On a fêté le 64e anniversaire du club récemment, et le président, ça fait au moins 50 ans qu’il est au club. Il a connu toutes les étapes, joueur, entraîneur, dirigeant, puis président. On ne peut pas lui enlever le club. C’est comme mon père qui a été restaurateur toute sa vie. Il ne veut pas partir à la retraite de peur de ressentir un vide et de déprimer.

Comme lui, tu te vois rester longtemps au club ?

Écoute, j’ai récemment prolongé de deux ans (rires). Donc c’est bien parti. Mais dans le foot, tout va très vite, et mon histoire en témoigne : j’étais en haut de l’affiche au PSG avant de redescendre plus bas que terre. Aujourd’hui, je revis, et je profite. Grâce à la JSK, je suis passé de stades presque vides à une arène passionnée et noire de monde. J’ai connu des matchs où il y avait des gens partout, même sur les toits. C’était rempli à craquer, le double de la capacité du stade ! Connaître de telles émotions, ça fait plaisir. Ici, j’ai enfin trouvé la reconnaissance que je cherchais.
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Propos recueillis par Christophe Gleizes

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