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Kai Havertz, l’homme qui ne ressent pas la pression
Alors que le Bayern se déplace sur la pelouse du Bayer Leverkusen, ce samedi, l'ogre bavarois devra se méfier de celui qu'il espère voir endosser sa tunique la saison prochaine : Kai Havertz. À presque 21 ans, le petit génie du Werkself a déjà quatre saisons pleines en Bundesliga et tourne à plein régime en ce moment (6 buts sur ses 5 derniers matchs). Le fruit d'un don de caractère inestimable – l'absence de pression –, de longues années d'une double vie entre le lycée et les pelouses ainsi que d'une récente remise en question.
Michael Ballack. Mesut Özil. Toni Kroos. Trois tauliers de l’histoire récente de la Nationalmannschaft, qui ont chacun disputé (voire remporté) une finale de Coupe du monde. Alors quand le patronyme de Kai Havertz se retrouve associé à l’un ou à l’autre de ces poids lourds, la comparaison semble peser une tonne. Et pour cause : on ne demande pas seulement au natif d’Aix-la-Chapelle d’être un futur grand. On lui demande d’être un mix entre l’ancien pilier de Chelsea, le meneur de jeu d’Arsenal et le chef d’orchestre du Real Madrid. D’être l’eau, le feu et la terre. D’agglomérer un mélange de polyvalence, de puissance de frappe, de lecture et de vision du jeu, de délicatesse, de toucher de balle, d’amour de la passe, de maîtrise du tempo et bien plus encore. Et le comble, c’est que le pari est déjà réussi aux yeux de nombreux acteurs et spectateurs de la Bundesliga. Le petit génie a déjà réuni la majorité des pièces du puzzle. Ne reste plus qu’à les assembler.
À 20 ans (il soufflera ses 21 bougies la semaine prochaine), le bilan est vertigineux. Quatre saisons presque complètes chez les pros : 143 matchs, 43 buts et 30 passes décisives et un exercice à 20 buts la saison dernière. Nul doute qu’il y parviendra aussi cette saison s’il continue à tourner à son rythme actuel (neuf Tore et quatre offrandes sur ses douze derniers matchs, 11 buts au total cette saison). Pour rappel, Havertz n’est pas attaquant. Enfin si, depuis cinq matchs. Pas par choix, mais parce qu’on lui a demandé, pour dépanner. Et au lieu de servir de chair à canon, Havertz a ramené la tête des vilains du camp d’en face. Comme à chaque fois qu’on le trimbale de poste en poste. Milieu offensif, ailier droit, milieu relayeur et même milieu défensif, le couteau suisse va où on lui demande.
Le nouvel empereur d’Aix-la-Chapelle
Que s’est-il donc passé pour que ce chérubin, surnommé le « nain » par son premier entraîneur Dirk Morfeld et pour qui Havertz « n’a jamais été le meilleur », connaisse l’ascension éclair qu’il a connue ? « Il était en pleine confiance, et son premier match avec les pros (contre le Werder Brême, en octobre 2016, N.D.L.R.) s’est bien passé. Je pense que ça fait vraiment la différence, parce que le staff te rappelle pour franchir d’autres étapes. Et Kai les a franchies à chaque fois », hasarde Hamza Salman, ex-coéquipier du centre de formation et aujourd’hui au Fortuna Köln (D4). C’est la principale marque de fabrique de ce Havertz décidément déroutant : le fait de réussir des baptêmes du feu avec autant d’aisance là où tant d’autres se pissent dessus de trouille. « Je suis quelqu’un de calme. Peut-être que ça m’aide sur un terrain », condensait le principal intéressé auprès d’ESPN pour expliquer le secret de sa réussite.
Un aphorisme qui est aussi un bel euphémisme. Calme ? Il suffit de le voir à peine célébrer ses buts pour comprendre que cette force tranquille est bien plus que ça. À 17 ans, un mois après ses débuts en pro, Havertz dispute son premier match de C1 contre Tottenham dans l’intimidante arène de Wembley, en compagnie d’un autre novice, Jonathan Tah. « Je me disais : « Wow, Wembley, incroyable », se remémore le défenseur central, submergé par la pression, auprès d’ESPN. Et là, je regarde Kai. Il était si relax, si calme. Et son regard… Quand le match a commencé, il jouait d’une façon… C’était si fluide, si facile. Je me suis dit : « Est-ce que c’est normal ? » »
Rien ne l’est avec Havertz. Alors Simon Rhein, actuel milieu des Wurzbürger Kickers (D3) formé à Leverkusen, tente une explication. « Bien sûr, cela vient de son caractère. Mais il a aussi une très grande confiance en lui. Je pense qu’il sait qu’il peut résoudre toutes les situations lui-même. » Résultat : « Même pas besoin de rituels d’avant-match pour se concentrer. Il ne ressent aucune pression », tout simplement. Voire aucune émotion ? « On a l’impression que ça lui est égal de dribbler un plot à l’entraînement ou de dribbler le meilleur défenseur du monde », rigole Kenson Götze, autre ex-coéquipier du centre de formation du Bayer. Mais pas de méprise, chez Havertz, confiance en soi ne va pas de pair avec arrogance. « C’est juste parce qu’il est concentré dans tout ce qu’il fait, même s’il fait transparaître l’inverse vu de l’extérieur », explique le jeune latéral gauche replié en D6 allemande. En fait, pour dérouler cette bobine de flegme, c’est Hamza Salman qui s’y prend le mieux. « Il était très cool et à la fois très calme dans sa manière d’être. Ce n’est pas qu’il parlait très peu, mais juste qu’il parlait toujours très normalement, très tranquillement. Même quand il faisait des blagues. En fait, il parlait comme il jouait : de façon intelligente, toujours réfléchie ».
Les chemins de Havertz
Pour percer les mystères d’une telle placidité, il faut aussi voir le phénomène à l’œuvre en dehors des pelouses. Le voir et l’entendre jouer du piano, par exemple, son autre passe-temps favori. « Mon objectif est de maîtriser des œuvres classiques et contemporaines », lâchait-il auprès de bundesliga.com. Une tâche qui demande des heures et des heures d’entraînement, de fausses notes, de patience… De quoi accentuer le calme de sa personnalité. Voilà bien un début de réponse à son capitaine Lars Bender, qui s’interrogeait lors d’un entretien avec la Bundesliga : « Je ne sais pas comment j’aurais fait face à tout ce battage médiatique quand j’avais son âge, à 17 ans. Je n’avais jamais vu un joueur aussi mûr que Kai… »
Havertz, lui, ne voit pas où est le problème. « Ce n’est pas difficile de garder les pieds sur terre. Mes parents m’ont élevé pour ça. Pourquoi les footballeurs devraient être différents d’une personne lambda ? » posait-il pour bundesliga.com. Et comme tout jeune adolescent normal, Havertz va au lycée, là où la plupart de ses coéquipiers ont lâché l’affaire. Un double emploi du temps qui requiert de nombreux sacrifices. « Je me souviens que lorsque Kai est passé pro, il devait jouer contre l’Atlético en Ligue des champions à 17 ans. Il a annulé parce qu’il devait réviser pour ses examens. Je ne pense pas qu’un autre footballeur dans le monde ferait ça », s’estomaque encore son premier entraîneur auprès de Watson.de. Le plus déconcertant dans cette affaire est qu’Havertz, dont le chemin vers le foot pro est déjà balisé, sait que l’école ne lui sera probablement d’aucune utilité, ou du moins pas pour l’instant. Mais en concertation avec sa famille et la direction du Bayer, qui voit là un excellent moyen de lui apprendre à ne jamais abandonner et de continuer à persévérer en cas d’écueil, le natif d’Aix-la-Chapelle s’obstine. Et finit par obtenir le précieux sésame de l’Abitur (le bac).
Aujourd’hui, Havertz peut leur en être reconnaissant. Car c’est peut-être grâce à cet apprentissage de la persévérance qu’il a su surmonter une première moitié de saison désagréable. Orphelin de son grand pote Julian Brandt, parti au Borussia Dortmund, Havertz semble parfois errer comme une âme en peine sur les pelouses. Naturellement, le public, qui ne connaît pas sa façon de faire, l’assimile à un je-m’en-foutiste. Les sifflets pleuvent à la BayArena. Mais Havertz ne s’en formalise pas. Travaille son langage corporel, pour le rendre légèrement plus expressif. Se surprend à participer à certains attroupements autour des arbitres. Échange avec son entraîneur Peter Bosz, pour franchir un cap supplémentaire dans le jeu. Le Néerlandais le rapproche de la surface adverse, lui ordonne de davantage tenter sa chance face aux cages. En quelques mois, voilà Havertz de retour au top, plus dangereux que jamais, avant de probablement quitter Leverkusen cet été. Direction le Bayern, le choix le plus naturel ? « C’est un grand club, mais je ne peux pas dire que je veux uniquement rester en Allemagne. Je ne suis pas comme ça, je suis ouvert à tout », tranchait auprès d’ESPN celui qui avait encore des posters du Barça dans sa chambre il n’y a pas si longtemps. À bientôt 21 ans, l’international allemand (7 sélections) est prêt à faire le grand saut à l’étranger. Ce samedi, le Rekordmeister a une dernière chance de lui prouver que, finalement, ce n’est pas si mal la Bundesliga.
Par Douglas de Graaf
Tous propos recueillis par DDG, sauf mentions.