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Juventus et Atlético, d’une planète à l’autre
Ce soir à Turin, la Juventus et l'Atlético vont se disputer la première place du groupe A de cette édition de la Ligue des champions. Ce groupe, cela pourrait bien être le seul point commun partagé par deux clubs que tout oppose, de la conception du monde à la situation hiérarchique sur la scène nationale, en passant par la devise et le palmarès. Et cela pourrait bien aider la Juve à reconquérir les sommets européens.
Dans l’imaginaire collectif, la Juve est une Vieille Dame vêtue exclusivement de blanc et de noir. Autoritaire, dure et toujours victorieuse, elle domine la scène nationale italienne sans pitié. Cette Juventus, c’est celle qui était surnommée « la Fiancée de l’Italie » . Quand elle gagne, elle prend le soin de tuer ses adversaires avec des gants blancs. L’Atlético, c’est le Colchonero, le matelassier. Il ne porte pas de gant et vit bien pour autant. Les mains sales, il laisse ses empreintes partout, aime le sang et les carnages. Populaire et fier, l’Atlético est un club qui a grandi dans l’adversité. En Italie, la Juve l’a catalysée, créant des rivalités avec tous les clubs imaginables (Inter, Fiorentina, Torino, Napoli, Roma, Milan, toutes les équipes de Zeman…). L’Atlético le rebelle, la Juventus la souveraine, et une différence identitaire capitale : l’Atlético a su grandir malgré les échecs et les désillusions, pour réussir à se construire une identité indépendante des résultats sportifs. À l’opposé, l’histoire a fait que la Juventus s’est bien plus identifiée à cette logique sportive, de même que le Real Madrid : des titres et des trophées, sinon rien. La devise bianconera, offerte par Giampiero Boniperti, n’est autre que « gagner n’est pas important, c’est la seule chose qui compte » .
Côté madrilène, l’idéologie est plutôt basée sur l’amour et l’esprit : « Un sentiment qui ne peut s’expliquer » . En plus des mots, les clubs s’opposent aussi dans leurs murs. Alors que la Juventus a quitté un Stadio delle Alpi trop grand (69 000 places) pour s’installer dans un petit, mais chaud Juventus Stadium (41 000), l’Atlético s’apprête à faire le chemin inverse en 2016 : laisser un Vicente-Calderón trop petit (54 000) pour poser ses affaires dans la grande Peineta (73 000). Côté palmarès, la Juve règne sur les championnats (30, pour 9 Coppa Italia), tandis que l’Atlético est devenu un club de coupes (10 championnats pour 10 Coupes du Roi). Historiquement, l’Atlético pouvait être considéré comme le « deuxième grand d’Espagne » durant une bonne partie de son histoire, avant de progressivement perdre cette place au profit du Barça. Un destin qui le rapproche donc de celui du Torino, alors que la Juve est plutôt merengue. Les deux clubs s’opposent enfin dans la répartition géographique de leur soutien affectif : alors que la Vieille Dame a su séduire les villes sans grand club (toute l’Italie sauf Milan, Gênes, Rome et Naples, grosso modo), l’Atlético ne peut compter que sur ses propres murs pour se défendre.
Folie victorieuse et modernité monotone
L’Atlético des années 2000 et 2010, c’est une lignée de grands numéros 9. Fernando Torres, Diego Forlán, Sergio Agüero, Radamel Falcao, Diego Costa et Mario Mandžukić. Avant, les Colchoneros avaient aussi pu compter sur les services de Christian Vieri et Jimmy Floyd Hasselbaink. En face, jusqu’à l’arrivée salutaire de Carlitos Tévez, la Juventus avait dû se contenter du talent capricieux de Mirko Vučinić et des limites de celui d’Alessandro Matri, devenant le plus grand club européen sans grand attaquant. Entre autres, Drogba, Van Persie, Cavani et ce même Mandžukić avaient dit « non » . Le courage et le talent d’un seul héros pour l’Atlético, face à l’homogénéité et la cohésion turinoise. Cette Juventus, c’était « une équipe de petits soldats » , comme l’avait appelée Antonio Cassano. Et les effectifs ont évolué dans deux sens opposés : les stars de l’Atlético se sont soumises aux exigences collectives de Diego Simeone, tandis que les stars de la Juve ont gagné de l’importance (l’indispensable axe Bonucci-Pirlo-Pogba-Tévez).
Le succès récent des joueurs formés au club permet aussi de différencier les deux clubs. À Madrid, Koke et Gabi sont rois, tandis que Mario Suárez attend son tour, plus ou moins près du trône. Côté turinois, Marchisio et Giovinco n’ont jamais réussi à prendre les commandes, et la Juve est aujourd’hui dirigée par un meneur de jeu de foi interista, à savoir Andrea Pirlo. Car les fondements de la Juve se trouvent plutôt dans les bureaux de son administration que sur le prè. Dans la longue tradition de la famille Agnelli, d’une part, mais aussi dans une organisation qui a su rendre ringarde toutes ses concurrentes en Italie. La Juve a son propre stade, dégage des revenus en croissance et ne compte pas s’arrêter là. Elle est tout simplement en avance. Face à la modernité turinoise, le Colchonero se range plutôt du côté des clubs économiquement vieillots. Le club a connu des difficultés financières par le passé et a suivi une ligne directrice très risquée, mais efficace ces dernières saisons : une succession de ventes à gros prix suivies de réinvestissements intelligents. Jusqu’à quand ?
Pourquoi la Juve a beaucoup à gagner de cette confrontation
Le point commun incontournable des deux équipes pouvait se trouver sur les bancs, dans l’enthousiasme contagieux et la force de conviction d’Antonio Conte et Diego Simeone. Mais si la Juventus n’a cessé de grandir en termes d’organisation et de profits, elle n’a pas réussi à passer le cap en Europe. Aucune coupe en 2012, un quart expéditif en 2013 contre le Bayern, et une élimination en poule sur une boule de neige de Sneijder la saison dernière, suivie de la désillusion de trop pour Conte contre Benfica en Ligue Europa. En face, l’Atlético a longtemps pris le risque de faire couler son économie au profit de quelques émotions supplémentaires. Financièrement, mais aussi sportivement, avec un entraîneur misant tout sur les compétitions à élimination directe. Et si Allegri déclare « ne rien avoir à envier à l’Atlético » , sa formation pourrait apprendre beaucoup ce soir au Stadium.
En 2010, l’Inter de José Mourinho avait beaucoup appris de sa double confrontation face au FC Barcelone en poule. Un match aller où l’Inter s’était battue en reculant à domicile et avait fini par sauver les meubles (0-0), et un match retour où les Nerazzurri avaient voyagé à visage découvert et étaient repartis à Milan avec une leçon de football (2-0). Cinq mois plus tard, cette même Inter avait bien évolué pour finalement surprendre ce même Barça en demi-finale à San Siro (3-1). Il y a deux mois, l’aller au Vicente-Calderón (1-0) avait déjà donné un avant-goût de la cruauté de la C1 aux Turinois. Si le retour s’annonce instructif, il pourrait même marquer un tournant : il ne s’agit pas de terminer forcément premier, mais de gagner en maturité pour la bande de Tévez. Massimiliano Allegri a l’air au courant : vendredi dernier, le Toscan a tout simplement laissé jouer la Fiorentina (0-0). Peu importe la planète, il faut savoir choisir ses batailles.
À lire : Le jour où Diego Simeone a fait pleurer la Juve
Par Markus Kaufmann
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