- C1
- 8es
- Juventus-Atlético
Juve : un miracle ou ça raque
Coutumière des remontadas qui échouent d'un rien ces dernières années, la Juventus de Max Allegri se frotte peut-être à son plus grand défi européen de la décennie : remonter deux buts à l'Atlético de Madrid, pour voir les quarts de la C1. Un Everest qu'il va falloir franchir, pour ne pas ruminer les déceptions d'une saison aux dangereux airs de déjà-vu.
Il y a d’abord ce drôle de paradoxe qui flotte dans l’air. Cette année encore, la Juventus sera championne d’Italie, mais personne ne s’en enthousiasme vraiment. Comme d’habitude, la concurrence nationale a été successivement maîtrisée, distanciée, puis impitoyablement broyée. Pourtant, la Vieille Dame, battue 2-0 par l’Atlético à Madrid, n’en est pas moins au bord du précipice en Europe. Et nul doute qu’une élimination en C1, alors qu’elle vient de brûler une centaine de millions en transferts, plus des dizaines de plus en salaire pour attirer Cristiano Ronaldo, viendrait mettre fin à quelque chose de fort au sein du club piémontais.
Se cramponner à l’exploit
En premier lieu, il y a ce partenariat, solide, durable et longtemps fructueux, que la Vieille Dame a noué avec Massimiliano Allegri. Le Mister a ramené la Juve en finale de C1, en 2015 puis 2017, et rien que pour ça, son mandat ne sera pas de sitôt oublié à Turin. Reste ce syndrome de la lose européenne, qui continue de coller à l’épiderme du club, alors que, sous Allegri, la Vieille Dame est devenue l’équipe qui a historiquement le plus échoué en finale de C1, avec sept ratés au compteur. Voilà qui commence à faire beaucoup et est forcément révélateur des limites relatives, mentales comme collectives, dont souffre la Juventus lorsqu’elle se retrouve confrontée au nec plus ultra du football continental.
Il n’est pourtant pas forcément difficile d’imaginer à quelle sauce la Juve tentera de cuisiner l’Atlético ce mardi : un pressing hyper haut et agressif, une intensité hors norme, un bloc équipe aux déplacements savamment coordonnés et un premier but de préférence inscrit tôt dans le match. Les saisons précédentes, c’est précisément la recette qu’elle avait appliquée pour faire douter le Bayern en 2016, en huitièmes de finale retour de C1, puis le Real Madrid en 2018, en quarts de finale de l’épreuve. À chaque fois, elle avait échoué, d’un rien, mais échoué quand même, en plongeant en prolongation face aux Munichois (défaite 4-2), puis en concédant un penalty de Ronaldo à la 98e minute face aux Madrilènes (3-1). Face à l’Atlético ce mardi, il faudra donc encore passer un cap, ne plus seulement toucher du doigt l’exploit, pour cette fois-ci l’agripper à tour de bras.
Les bugs du système
Tout cela s’annonce bien sûr éminemment complexe, face à des Colchoneros qui savent comme personne bunkeriser leur arrière-garde. Car, cette saison encore, Allegri n’a pas été capable d’emmener collectivement plus loin la Juventus, dont les fulgurances offensives restent surtout le fruit d’une addition de talents individuels. La saison dernière, c’est son duo Higuaín-Dybala qui l’avait sauvée d’une élimination prématurée en huitièmes de C1, en balayant les espoirs d’un Tottenham pourtant supérieur dans le jeu. Cette saison, la Vieille Dame ne joue pas un football franchement plus flamboyant. Allegri semble même avoir plus de mal qu’à l’accoutumée à placer sur son échiquier tactique ses talents offensifs. Louées en début de saison, les permutations entre Cristiano Ronaldo et Mario Mandžukić, qui occupent tour à tour l’aile gauche puis l’axe, ne sont plus aussi productives : le Croate n’a plus marqué depuis la 17e journée en Serie A, et le Portugais vient d’enquiller trois matchs sans trouver le chemin des filets. La saison de Paulo Dybala n’a, elle, jamais réellement décollé, alors que l’ex-Palermitain, tantôt aligné sur l’aile ou comme meneur de jeu, n’évolue plus à son poste de prédilection, juste derrière l’attaquant.
Les dernières cartes d’Allegri
Dans de telles conditions, la Vieille Dame devra compter sur les piliers fondamentaux de son jeu, pour espérer rebattre les cartes d’une partie qui semble pour l’instant bien mal embarquée : à savoir, sur la vista et la technique de Miralem Pjanić, diminué physiquement à l’aller et dont les pieds peuvent trouver des solutions de passe que les autres n’imaginent pas, dans le jeu comme sur coups de pied arrêtés. Elle s’en remettra évidemment aussi aux éventuels coups de génie de Cristiano Ronaldo, qui a prouvé par le passé qu’il pouvait dans un bon jour détruire méthodiquement la défense de l’Atlético, à condition d’être correctement alimenté en ballons, ce qui ne fut absolument pas le cas lors de la confrontation aller. Les médias italiens murmurent par ailleurs qu’Allegri pourrait concocter un coup tactique inédit cette saison, afin de se donner une chance de plus de renverser la table.
L’idée ? Abandonner la défense à quatre, pourtant quasi systématiquement alignée lors de l’exercice en cours, pour passer à trois stoppeurs centraux derrière, avec Martín Cáceres pour épauler Bonucci et Chiellini. Ce qui permettrait de remonter Cancelo un cran plus haut sur l’aile gauche et de faire évoluer Federico Bernardeschi en piston droit, un poste qu’il avait déjà pratiqué quand il jouait à la Fiorentina. Une formation en 3-5-2 tendance très offensive, en forme de coup de poker pour un entraîneur qui sait qu’il jouera probablement son futur à Turin ce mardi soir : « Moi, plus je suis au casino et plus je m’amuse. Je dois inventer quelque chose ? Tant mieux ! » Autant d’ingrédients pour tenter d’accrocher un miracle à l’Allianz Stadium. Et préserver la saveur d’une saison qui n’est désormais presque plus liée qu’à l’Europe, pour cette Juventus-là.
Par Adrien Candau
Propos issus de la Gazzetta dello sport