Juve – Inter, le retour, acte un partout
Stade Olympique de Turin, Piémont, Italie, 20h45, soit un peu de retard sur l'horaire prévu, le bus visiteur ayant pris son temps pour déposer ses troupes. Juventus – Inter ; enfin nous y sommes. Plus que l'affiche italienne du dimanche soir, ce sommet de la Commedia dell'Arte, en suspens depuis deux saisons pour les raisons connues de tous, oppose le (double ?) champion en titre et leader du Calcio au plus massif des promus, revenu du purgatoire de la Série B. On va enfin savoir. Juve – Inter, le retour, acte un, scène un.
« Je ne crois pas, comme le disent certains, que ce sera un match laid ou fermé. Je l’attends rapide, fascinant et tactique » . Claudio Ranieri. « J’espère une belle rencontre, sans méchanceté, loyale, qui puisse être une démonstration de professionnalisme des joueurs et d’enthousiasme du public. Si c’est le cas, ce sera une très bonne chose pour le football italien, ça passera même avant le résultat » . Massimo Moratti, ou le président des ouailles venues représenter en 442 trapèze classique : Cruz Ibrahimovic – Cesar Cambiasso Zanetti Figo – Chivu Samuel Cordoba Maicon. Quatre Argentins sur les planches même si Basile conchie ce système, un seul côté Juve : David Trézéguet, accompagné, au sein du même canevas tactique qu’en face, de Del Piero – Nedved Zanetti Nocerino Palladino – Molinaro Chiellini Leggrotaglie Grygera. Des deux côtés, le scénario est limpide, on prend pas de but, merci bien, et les excentrés d’alimenter les pointes. Chacun connaît son rôle à merveille, pas vraiment leur première, ce sont de vrais professionnels.
Belle ambiance dans la salle, Massimo peut être tranquille, l’Inter est conspué comme il se doit et Zlatan « si on me siffle, ça me fera plaisir » Ibrahimovic doit être aux anges. Sur scène, le rythme est élevé, la Juve en place, dominante et rugueuse, l’Inter véloce, technique et accrocheur. Raffaelle Palladino improvise, Alessandro Del Piero la renaissance, Trézéguet rôde. Les duos Esteban Cambiasso – Javier Zanetti d’une part, Christiano Zanetti et Antonio Nocerino de l’autre, sont au point et se renvoient la réplique pendant que sur les flancs on manigance de repiquer dans l’axe comme le veulent les didascalies. La Suédoise fait des ronds de jambe et Luis Figo marche. Chaque comédien est à sa place, le spectacle est rodé, d’autant qu’à la demi-heure de jeu commencent à pleuvoir les fautes. A ce jeu-là, les deux actrices se valent, chacune selon son style : la Juve contrôle et s’applique, l’Inter toque toque vite fait au milieu avant d’envoyer un de ses cavaliers sauver la princesse. Comme précisément à l’acte un, scène quarantième minute : sortie bleue et noire rapide suite à une chute de cheval de Del Piero, Aparecido Rodrigues César décroche Julio Cruz en plein coeur turinois, poitrine – plat du pied – filet ; c’est net.
L’Inter souffle dame Juventus, qui jouait pas trop mal sans toutefois se montrer vraiment dangereuse à mort. A gauche, Nedved est pas dedans. A droite, Palladino fait déjà plus la différence avant de se vautrer sur la dernière rime croisée. Et au milieu coule Trézéguet : « Peut-être que pour eux ce sera un match normal, mais en ce qui nous concerne nous l’attendons depuis un an. Je parle au niveau sportif bien sûr. Nous savons très bien que nous affrontons les champions d’Italie et c’est aussi l’équipe la plus complète actuellement : nous comprendrons un peu mieux où peut arriver cette Juve. Avoir un signal, comme ce fut le cas lors du déplacement de Rome. Ce sera une belle rencontre, très, très belle à jouer. Et importante » .
Encadré par Del Piero et Palladino, soutenu par le blondinet tchèque récitant maintenant dans l’axe, il ne reste plus qu’un acte au serial buteur pour changer le cours du scénario. L’Inter a reculé pour mieux sauter la Vieille Dame, les pénétrations se font de plus en plus tranchantes. Le coup fatal est proche. Le metteur en scène Ranieri introduit Vincenzo Iaquinta, Nedved dégage, Palla passe à gauche et le nouveau venu bafouille un temps son jeu à un poste inadéquat pour lui, excentré (mala)droit. Le jeu retombe un peu à plat, comme au hand. Jusqu’à l’arrivée du catogan Camoranesi, qui, dès sa première réplique, monologue entre trois Intéristes au plein milieu de la scène, projette Iaquinta sur sa droite qui remise devant les cages, Cordoba prévient la reprise de Trézéguet mais manque de tromper son gardien du temple. On respire. L’Inter repart, ses coups se font de plus en plus menaçants mais Buffon à la parade et à la relance. Palladino efface Maicon, centre, nouvelle remise de Iaquinta, du casque cette fois, flèche contrée de Camo, quand bien même : deuxième ballon – égalisation, allez salut. Chapeau l’artiste.
La Juve arrache le nul tout autant qu’elle le mérite, le mental coco, le mental. Elle n’a non seulement pas renoncé mais cessé de prendre la dramaturgie en main. « L’Inter est coriace et n’a pas de points faibles. De notre côté, nous avons beaucoup d’orgueil et des joueurs de qualité. Si nous gardons cette envie de lutter et de gagner, nous pourrions poser des problèmes à tous nos adversaires. C’est d’ailleurs l’objectif que nous nous étions fixés » . Gianluigi Buffon, le meilleur zigue du match, a raison. Incontestablement, les troupes à rayures noires et bleues sont les plus talentueuses. Et pourtant. Celles parées de blanches et noires sont de retour, à même de tenir tête au cador du calcio et surtout de ne plus regarder en arrière, de ne rien regretter, surtout pas le temps où évoluait sous leur costume cette grande trainée d’Ibrahimovic, dont la plus belle action s’est évidemment déroulée une fois la pièce achevée. Ou comment feindre de prendre son compère de duels Giorgio Chiellini par l’épaule pour mieux lui flanquer une chiquenaude de tocard, quelque part, enfin plutôt nulle part, entre la gifle et la patate douce, l’Ecole des Femmes. Match nul donc, rideau et à plus tard…
Simon Capelli
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