- France
- Légende
- Disparition de Just Fontaine
Justo, le Toulousain
Chez Just Fontaine ? C’est une maison aux volets bleus, accrochée aux souvenirs. Au numéro 13, bien entendu. On y vient à pied, en longeant l’eau verte du Canal du Midi. C’est là que l’amour d’une femme a conduit Just Fontaine. Il aura passé plus de six décennies à Toulouse, une ville qui se souviendra encore longtemps de lui.
Ces dernières années, pour rendre visite à la légende, il fallait passer par Arlette, sa femme, qui filtrait les appels et les visites avec bienveillance. Car elle savait combien son homme aimait être sollicité pour parler ballon rond, mais aussi, et surtout, de son record. C’est ainsi que la porte de chez Just Fontaine s’est ouverte, en un bel après-midi d’été, après l’heure de la sieste, comme demandé. Quelques douceurs au chocolat serviront de goûter pour l’ancien buteur rémois. Confortablement installé dans son salon face à son « soulier d’argent », trophée honorifique reçu au Brésil en 2014, Fontaine a déjà sorti la boîte à souvenirs, posée sur la table basse : photos, articles de presse découpés, présentation de jubilés… Un diaporama en noir et blanc de la vie sportive du meilleur buteur sur une Coupe du monde, et sans doute pour l’éternité du haut de ses 13 buts. Rencontrer la légende, c’est une parenthèse, un moment hors du temps. Quand le présent s’écrit au passé, Justo replonge dans son passé.
Au moment d’évoquer sa première venue à Toulouse, et donc sa rencontre avec celle qui deviendra son épouse, ses yeux pétillent et, le sourire en coin, il raconte : « J’étais avec Reims au Stadium pour le match contre Toulouse. Je m’en souviens comme si c’était hier : c’était en janvier 1959, et il neigeait, je pars m’échauffer sur le terrain et là, je vois arriver deux jolies femmes qui embrassent Jean Wending, que je côtoyais en équipe de France et alors joueur au TFC. Je ne savais pas encore que Jean allait devenir quelques mois plus tard mon coéquipier à Reims… Parmi ces deux femmes qui connaissaient Jean, j’avais repéré une jolie blonde aux yeux verts avec un air de Grace Kelly ! Je peux l’avouer, ce fut un vrai coup de foudre ! Donc par la suite, il n’y a pas eu que Jean qui est monté à Reims… Arlette, la jolie blonde en question, m’a aussi rejoint ! Et le 17 octobre 1961, nous nous sommes mariés à Reims dans un château, un vrai conte : le roi des buteurs avait trouvé sa reine ! »
Mais rapidement, une vilaine blessure l’oblige à mettre un terme à sa carrière trop rapidement en 1962, à tout juste 29 ans. Le début d’une nouvelle aventure pour lui : celle d’un entrepreneur qui va de l’avant. D’abord représentant chez Adidas pendant 3 ans, il s’installe définitivement en 1965 à Toulouse, la ville de sa femme, où il ouvre son premier magasin : le mythique Justo Sport. Un premier magasin situé rue Saint-Antoine-du-T, à deux pas de la place Wilson et des boulevards, en décembre 1965. Puis suivra un second dans le même quartier, rue Saint-Jérôme. Les deux fermeront respectivement en 1986 et 1990 et marqueront toute une génération de jeunes Toulousains qui voulaient s’équiper en venant au centre-ville dans le magasin du recordman. On pouvait alors entendre : « Je l’ai acheté chez Justo ! », ce qui voulait aussi souvent dire qu’on avait rencontré l’idole. Une chose assez aisée et courante à l’époque, tant le personnage est affable et avenant dans sa boutique. Si bien qu’il devient rapidement une figure dans ce quartier qui lui plaît tant : « Saint-Georges (le quartier), c’est une atmosphère assez intimiste. Il y a beaucoup de choses que j’aime ici : l’esprit village, à deux pas de chez moi, les rues pavées, l’architecture des immeubles anciens… Les rues piétonnes respirent le vécu, et la place Saint-Georges, c’est le genre d’endroit qui marque les gens qui visitent Toulouse. Un espace-temps un peu unique que j’aime beaucoup, avec un cachet particulier que l’on retrouve dans tout le centre-ville toulousain d’ailleurs. » C’est dans ces mêmes rues qu’il partage entre 1973 et 1993 la fameuse « omelette du curé » (rognons, foies de volaille, cèpes et truffes) de et avec Lucien Vanel, le premier double étoilé Michelin de la Ville rose. Un restaurant prisé du Tout-Toulouse où l’on pouvait croiser aussi bien le maire de la ville, Dominique Baudis, que la voix rocailleuse de Claude Nougaro, ou encore « Casque d’or », le capitaine du XV de France Jean-Pierre Rives.
Après ses deux magasins de sport, Justo monte en gamme et ouvre deux boutiques Lacoste. Toujours dans le même quartier pour la première, puis une autre à Portet-sur-Garonne dans le Sud toulousain quelques années plus tard. Mais, peu à peu, le patriarche prend du recul et laisse à ses deux enfants le soin de reprendre les affaires.
Le meilleur buteur du Mondial 1958, lui, continue de son côté à répondre favorablement à toutes les demandes pour revenir sur son record unique. Et il en profite par la même occasion pour faire la promotion de sa ville d’adoption : « Quand je suis sollicité pour un reportage, surtout par les médias étrangers, j’amène systématiquement les journalistes au Capitole pour me faire prendre en photo ! Que c’est beau, le Capitole, c’est majestueux ! Les arcades et cette place aérée… C’est le cœur de Toulouse et son symbole ! Je fréquente les lieux souvent, car j’aime bien venir dîner dans une brasserie ici avec mon épouse. » Un vrai VRP pour la ville, on vous dit !
Si bien qu’en 2015, deux Toulousains avaient eu l’idée de rebaptiser le Stadium de Toulouse du nom de Just Fontaine. Mais la municipalité décidera de se limiter à la tribune d’honneur pour lui rendre hommage à quelques mois de l’Euro 2016. Justo, toujours aussi taquin, souligne que « le stade, ça aurait été mieux quand même, mais bon, la tribune d’honneur c’est pas mal, je prends aussi ! » Il faut rappeler que l’entraîneur qui fit monter le PSG en D1 en 1974 fut également le dernier coach des Sang et Or de l’US Toulouse en 1979, avant que le club ne change de nom et ne devienne le TFC actuel et n’adopte le violet comme couleur de référence. La médaille de la ville de Toulouse lui sera également remise en juin 2018, dans un des salons de l’hôtel de ville du Capitole, pour fêter dans sa ville d’adoption les 60 ans de son record de buts lors de la Coupe du monde en Suède.
Depuis deux décennies, Justo profitait ainsi pleinement de son image et ne refusait presque jamais les sollicitations, aimant toujours autant être appelé par les radios tous les 4 ans pour revenir sur ses 13 buts et ce record qui tient toujours, encore et encore. Il se déplaçait même pour donner des coups d’envoi de jubilés d’amateurs du ballon rond de la région toulousaine, avec pour seule satisfaction le plaisir de partager un apéro, de revenir sur son passé, sa carrière et ses buts, le contentement mutuel de prendre des photos avec les jeunes et moins jeunes, de signer des autographes et par la même occasion de faire vivre encore et encore un peu plus sa légende. À Toulouse et bien au-delà…
Par Benjamin Laguerre
Propos de Juste Fontaine recueillis par BL et Damien Paramio