- Ligue 1
- J31
- Lens-Nice
Justin Frisson
À 22 ans, Justin Kluivert est en train de se faire définitivement un prénom à Nice, où la Roma l'a prêté un an avec option d'achat. Logique, pour un type qui aura su tracer sa propre route au soleil, sans jamais s'offusquer ni souffrir des comparaisons avec son célèbre paternel.
C’est d’abord l’histoire d’un type qui voulait se faire une place. Pour y parvenir, certains choisissent de souffler la tempête, de renverser la table et d’exhiber leurs différences pour être sûrs d’être vus et entendus. D’autres ont simplement joué naturellement dans leur registre. Dégoté leur propre créneau. Pour ce faire, encore faut-il pouvoir se garer n’importe où. Nul ne l’a mieux compris que Justin Kluivert, alors fraîchement transféré à la Roma à l’été 2018. Quand une bonne partie de ses équipiers fonçaient dans la capitale italienne en Porsche ou en Lamborghini, l’ex-prodige de l’Ajax débarquait tous les jours en Fiat à Trigoria, le centre d’entraînement de la Louve : « C’est la meilleure voiture ici. Vous pouvez conduire partout. Vous pouvez vous garer partout. J’adore cette bagnole. » Contrairement à Patrick, son célébrissime paternel, Justin Kluivert est petit. Il inspire aussi naturellement la sympathie. Un peu comme une Fiat 500. Sauf qu’une fois le capot ouvert, c’est autre chose. Car Kluivert junior va vite. Beaucoup trop, même, pour la défense de l’OM, début février en Coupe de France. Un match que le numéro 21 des Aiglons aura survolé, en plantant deux buts et en signant une passe décisive pour Andy Delort. Il faut croire que certains enfants stars n’ont pas de difficulté à se faire un prénom.
Justin brin de soleil
S’il l’avait voulu, Justin Kluivert aurait pourtant pu changer de blase. Tuer le père dans l’œuf, son ombre encombrante avec. Mais non. « Souvent, on disait que j’étais à l’Ajax parce que mon père avait arrangé la chose, confiait le joueur, dans une longue interview pour Onze Mondial. Je leur répondais :« Viens voir le match »et après, je marquais deux ou trois fois pour faire mentir ces gens-là… La comparaison avec mon père était ma plus grande motivation. Tu dois être fier de qui tu es, ton nom de famille, c’est une fierté. Donc je n’ai pas pensé à changer de nom, jamais. » Adopter le patronyme de sa mère ne l’aurait de toute façon pas davantage préservé des lumières médiatiques. Épouse de Patrick Kluivert de 2000 à 2004, Angela van Hulten a eu trois kidsavec l’ancienne superstar de l’Ajax et du Barça : Quincy, Ruben et donc Justin. Avant de faire à plusieurs reprises les choux gras des tabloïds.
D’abord en 2008, où Angela et sa mère insultaient copieusement Rossana Lima, la nouvelle chère et tendre de Patrick, alors venue accompagner l’ancien joueur des Oranje chercher ses enfants. Puis en 2017, où Van Hulten avait fait les gros titres pour sa relation avec un certain Danny K, condamné à 54 mois de prison pour blanchiment d’argent. Justin, qui a prioritairement été élevé par sa mère, n’a donc peut-être pas passé l’enfance idyllique que beaucoup lui imaginent. « Il ne s’épanche pas dessus, mais que je crois que la situation à la maison n’a pas toujours été très simple pour lui, estime Maarten Stekelenburg, qui a eu le joueur sous ses ordres pendant deux ans avec la sélection U19 des Pays-Bas. La vérité, c’est que Justin est quelqu’un de solaire. Il est toujours heureux, en train de sourire. Quand tu perds un match, il ne va pas s’attarder sur la défaite, plutôt se concentrer sur le positif et essayer de remonter le moral de ses partenaires… C’est une attitude mature, qui reflète aussi qu’il a dû prendre, même tout jeune, ses responsabilités. »
Fils à maman
De fait, Justin Kluivert ne se plaint pas. Jamais. Les petits écarts de sa moederont vite été pardonnés et oubliés. Justin serait même en réalité davantage un fils à maman qu’à papa. « Ma mère est la personne la plus importante dans ma vie. Mes parents ont divorcé lorsque j’étais très jeune et j’ai vécu avec ma mère aux Pays-Bas. À chaque fois que je veux faire quelque chose, je demande d’abord son avis », précise-il. Illustration en 2018, où il file à la Roma plutôt que de continuer à creuser son sillon à l’Ajax. Au plus grand mécontentement de son paternel. « J’ai parlé à Justin, expliquait alors Patrick.Son transfert à la Roma ne s’est pas fait avec mon approbation, mais avec celui de son agent (Mino Raiola, NDLR) et de sa mère. Finalement, c’est lui qui décide, je n’y peux rien. »
Rome, où Justin aura cassé un bon paquet de reins pendant sa première saison en Italie. Avant de rentrer dans le rang lors de son second exercice, puis d’être successivement prêté à Leipzig et Nice. Il faut croire que le rouge et noir lui sied bien. Quand il n’est pas blessé, c’est lui qui est aligné sur l’aile du 4-4-2 béton de Christophe Galtier. À gauche ou à droite, peu importe : Kluivert sait y faire. Provoquer, puis sniffer la ligne pour centrer pour son avant-centre. Botter avec habilité les coups de pied arrêtés. Dribbler vers l’intérieur du terrain, pour combiner dans l’axe avec ses partenaires. « À mon sens, beaucoup de joueurs très rapides attestent de certaines limites dans le contrôle du ballon, reprend Stekelenburg. Pour d’autres, c’est le contraire : ils ont une excellente maîtrise de balle, mais ils manquent de vitesse. Lui, il combine le meilleur des deux mondes. Pour moi, c’est ce qui le rend spécial. »
Nice people
Justin Kluivert, pourtant, ne s’est pas toujours senti spécial. En U15 à l’Ajax, il tape dans l’œil de ses formateurs, mais doute encore de sa capacité à faire une carrière professionnelle chez les Lanciers. « Vers 15 ans, après un mauvais entraînement, l’entraîneur nous avait dit :« Vous savez que parmi vous, seulement un ou deux, trois grand maximum, auront la chance de devenir professionnels. »J’avais regardé autour de moi et je m’étais dit que je n’étais pas dans les deux ou trois meilleurs… Mais finalement, on est six ou sept à être allés en équipe A ! » Parmi eux, son pote Matthijs de Ligt qui lui avait amicalement hurlé dessus en demi-finales de C3 face à Lyon en 2017 pour qu’il bouge davantage son popotin en défense. « Il avait raison, j’ai dû apprendre de ça », concédera Justin.
À 22 ans, le bonhomme ne semble pas encore être un footballeur fini. Son bilan statistique est perfectible (22 matchs, 5 buts et 5 passes décisives cette saison), et il lui faut encore s’établir sur la durée dans un club. Il se dit d’ailleurs que le Gym réfléchirait sérieusement à lever l’option d’achat de 15 millions d’euros, que la Roma a adjoint au prêt du Néerlandais. Ce qui tomberait bien, parce que Justin semble en pincer sérieusement pour Christophe Galtier : « Ce qui le rend spécial, c’est ce qu’il dégage en tant que personne. C’est quelqu’un d’honnête, de très direct et c’est très important pour un entraîneur. Tactiquement, je le trouve également très bon, c’est un vrai leader. » Comprendre : Kluivert se plaît sous le soleil niçois. Une ville où le stationnement est particulièrement épineux en centre-ville. Mais où les petits malins qui circulent en Fiat ont justement de bonnes chances de se trouver une place.
Par Adrien Candau
Propos de Maarten Stekelenburg recueillis par AC, autres propos issus de Onze Mondial, ESPN.com et BBC Sport.