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Just Fontaine : « Au Mondial 1958, je courais sur l’eau comme Jésus »

Propos recueillis par Antoine Mestres (So Press), pour 11Freunde, en 2014 / Photo : Icon Sport
Just Fontaine : « Au Mondial 1958, je courais sur l’eau comme Jésus »

En 2014, un de nos journalistes avait rencontré Just Fontaine, décédé le 1er mars à 89 ans, pour le magazine allemand 11Freunde. Justo avait toujours des centaines d’histoires à raconter : évidemment le Mondial 1958, mais aussi son enfance marocaine, sa carrière prématurément arrêtée, ses rencontres et même son engagement syndical.

Parlons de votre enfance, vous êtes né le 18 août 1933 à Marrakech, au Maroc… Mon père est parti au Maroc pour le service militaire. Il a ensuite été embauché à la Régie des tabacs à Marrakech. J’étais le quatrième d’une famille de sept enfants. Notre mère s’occupait de nous. Père normand, mère espagnole, ça fait de moi un bon Français moyen ! Aujourd’hui, nous ne sommes plus que trois frères et sœurs encore en vie. Le plus jeune est mort à 38 ans. Il a fait un arrêt cardiaque sur la route. Je m’en souviens parce que c’est moi qui suis allé le chercher… Ce n’était pas agréable.

Quelle relation entreteniez-vous avec les membres de votre famille ? Je m’entendais bien avec tous mes frères et sœurs. Lorsqu’on arrivait à la maison, on faisait la course. Sauf que la porte d’entrée n’était pas grande et on s’ouvrait les arcades. Il y en avait toujours un qui se prenait le mur ! Je me rappelle qu’on était souvent une dizaine à table. Mon père écoutait les informations à la radio. Si tu bougeais, tu prenais un coup de coude. Et si je mangeais trop vite, ma sœur me piquait avec une fourchette… (Rires.) Quand j’étais puni à l’école, mon père me coupait les cheveux, ce n’était pas terrible pour séduire les filles… Alors, j’imitais souvent sa signature pour garder mes cheveux. D’ailleurs, quand je me suis mis à signer des autographes, elle ressemblait beaucoup à celle de mon père…

D’où vient votre prénom Just ? Dans la famille, le grand-père maternel donne son prénom à l’un des petits enfants. Il s’appelait Justo Ortega, il était d’Almeria, en Espagne. C’est tombé sur moi. Comme ils ne voulaient pas que ça ressemble à de l’espagnol, ils l’ont francisé, ils ont enlevé le E, ils m’ont appelé Just. Finalement, ils m’ont donné un prénom anglais. (Rires.)

On me demande tout le temps : “Quand pensez-vous que le record de buts sur une coupe du monde sera battu ?” Je ne sais plus quoi répondre…

Just Fontaine

Comment était la vie à Marrakech dans les années 1930 et 1940 ? Une vie très heureuse sous un temps magnifique, on faisait tout le temps du sport. Je me souviens qu’on jouait souvent dans la cour d’une église. On cassait les vitraux, ce n’était pas très catholique, mais ils nous laissaient tranquilles… Pour travailler la technique individuelle, on jouait avec une pièce de monnaie enroulée de papier. On allait également au cinéma Palace sans payer, on resquillait. Le patron nous connaissait, c’était un copain. J’ai été renvoyé du lycée Mangin pour un chahut dont je n’étais pas responsable. Pour une fois ! Alors pour passer le bac, mon père m’a pris avec lui dans son bureau tous les jours. Après le renvoi, alors que je vais retrouver mes anciens camarades, je vois que tout le monde me regarde d’un drôle d’air, quelqu’un avait cassé les carreaux du censeur et ils ont cru que c’était moi par vengeance, ces cons !

Vous jouiez déjà au football en club ? Bien sûr, à l’AS Marrakech. J’étais surclassé, en cadet, j’avais déjà joué en première. J’ai battu un record formidable : j’ai marqué deux buts en une minute à Oujda. Être surclassé de deux catégories, ce n’est pas rien. Après mon renvoi du lycée, je suis parti à l’Union sportive marocaine à Casablanca où avaient joué Mario Zatelli et Larbi Ben Barek, mes deux idoles. Le club a payé mes études et m’a donné un logement dans le stade. J’étais interne au lycée Liotet. Si je n’avais pas été renvoyé du lycée, je n’aurai pas eu la carrière que j’ai eue ! Je jouais aussi au basket, j’ai été champion du Maroc junior.

Quelles étaient les relations entre les Marocains et les Français dans un Maroc alors sous protectorat français ? Les relations étaient bonnes, il n’y a jamais eu de problèmes. Au contraire… Lorsque je suis allé à Marrakech la dernière fois, à la sortie de l’avion, j’ai vu une banderole « Tu es ici chez toi Justo. » Ça m’a touché… Je suis retourné dans la maison où j’habitais dans le quartier européen du Guéliz, j’ai été gentiment accueilli… J’ai retrouvé la plaque où était inscrit : « Ici est né Just Fontaine, 1933 ». Le quartier est désormais en ruine. La rue avait tellement changé qu’on ne reconnaissait rien. C’était toujours une belle ville, même si c’est devenu une ville de tourisme.

Vous vous considérez toujours comme un Marrakchi ? Oui, j’ai quand même joué dans l’équipe du Maroc chez les juniors et les seniors. J’ai été champion du Maroc, j’ai gagné la Coupe d’Afrique du Nord en 1952, j’ai été meilleur buteur du Maroc… Mon père parlait arabe, moi aussi, enfin les mots courants et les insultes… De quoi survivre dans le football, quoi.

On raconte que vous avez marqué chez les jeunes un but du milieu de terrain… Des équipes venaient souvent en tournée au Maroc l’hiver parce qu’il faisait bon. En cadet, je jouais en lever de rideau d’un match qui opposait une équipe marocaine à une équipe autrichienne. Un gardien, un ami à moi, dégage, je suis au milieu de terrain, je bloque le ballon, pouf, je reprends de demi-volée et je lobe le gardien. Les Autrichiens qui s’échauffaient derrière sont rentrés sur le terrain pour me porter en triomphe, c’était extraordinaire. C’était des connaisseurs. Le public n’a rien compris.

C’est à ce moment, au début des années 1950, que le club de l’OGC Nice vous approche ? Oui, Mario Zatelli, alors entraîneur de Nice, vient voir jouer Abdelssem, un senior du Wydad Athletic Club de Casablanca lors d’une rencontre entre la sélection d’Oranie et le Maroc, je joue en lever de rideau avec les jeunes. On gagne 2-0, je marque un but de 25 mètres du droit et un du gauche. Il a déclaré : « Le petit, là, dans deux ans, je viens vous le chercher. » Deux ans après, ils sont venus me chercher. Ceux qui m’avaient viré, notamment mon prof d’anglais, m’écrivaient tous pour me féliciter… (Rires.)

Les fêtards essaient de séduire les filles, mais je n’ai pas besoin de boire de l’alcool pour ça.

Just Fontaine

Comment se passe votre arrivée au club, en 1953 ? Les mecs disaient tous : « Il faut faire attention à ce mec-là… » Pourquoi ? « Parce qu’il a le bac. » (Rires.) Les footballeurs qui avaient le bac, c’était rare. Je passais pour un intellectuel, tu vois. Lorsque j’arrive à Nice, j’apprends qu’Abderrahman Mahjoub, qui était marocain, est prêté à Nice, on nous présente. Comme on était célibataires tous les deux, on a pris un appartement ensemble… J’avais une Fiat 500, je l’amenais à l’entraînement. La dernière fois que je suis allé au Maroc, je suis allé sur sa tombe, c’était mon ami.

En parallèle, vous faites votre service militaire… C’est exact, je rentre au bataillon de Joinville en novembre 1954, pour trente mois, je crois. J’étais capitaine et entraîneur de l’équipe de l’armée. Elle a été championne du monde militaire après mon départ. Lors du match pour la qualification, je donne trois passes décisives. Je jouais à Nice en même temps, les allers-retours en train la nuit me handicapaient… Je ne suis pas allé faire la guerre d’Algérie, car mes frères la faisaient. J’ai eu de la chance. Pendant cette période, j’avais un très bon copain qui s’appelait Christian Labalette. Lui, Ginès Liron et moi, on formait un sacré trio… Pour conquérir les filles, c’était pas mal. On allait à Pigalle à Paris. Labalette est mort alors qu’il prenait un café en terrasse, des mecs de la mafia sont passés, ils l’ont tué, lui qui n’y était pour rien, et le mec juste à côté. Je n’étais pas là ce jour-là, sinon je serai peut-être mort.

Comment viviez-vous le contexte international de l’époque ? J’avais mon beau-frère qui faisait la guerre d’Indochine, il était adjudant dans l’armée, c’était une période compliquée, même si ça paraissait loin… Des joueurs algériens sont partis jouer avec le Front de libération nationale comme Rachid Mekloufi, Mustapha Zitouni, Mohamed Maouche et beaucoup d’autres… Je ne sais pas s’ils ont été obligés ou s’ils ont choisi d’y aller. Quand ils sont revenus, ils ont rejoué, c’était bien. Je me souviens avoir appris l’anglais avec un soldat américain, Clark. On nous incitait à les prendre en fin de semaine le week-end à la maison. D’ailleurs, les gens disent que j’ai un accent américain quand je parle anglais. Les Américains préparaient une opération militaire au Maroc lors de la Seconde Guerre mondiale.

Et l’indépendance ? Le Maroc n’était « que » sous protectorat français, donc l’indépendance s’est déroulée sans trop de heurts.

Vous êtes revenu au Maroc bien plus tard, pour entraîner la sélection… Oui, je suis retourné au Maroc entraîner l’équipe nationale entre 1979 et 1981, je voulais leur rendre ce qu’ils m’avaient donné. On joue la qualification pour la Coupe du monde 1982 en Espagne contre le Cameroun. Et, en guise de préparation, les dirigeants nous font jouer un match amical contre le Sénégal qu’on avait éliminé juste avant, ces cons… Ce n’était plus un match de préparation, c’était la guerre… Après le match, on a retrouvé un de mes joueurs morts dans une piscine, Mustapha, un très bon ailier gauche. Il a donc fallu aller aux obsèques, s’occuper de sa femme, faire la quête, lui donner des sous, et on ne s’est pas qualifié pour la Coupe du monde. En plus, le ministre des sports marocain de l’époque voulait former l’équipe… J’ai envoyé un télégramme : « J’avais carte blanche, je vois qu’elle est grise », et je suis parti.

Vous avez décidément une drôle de relation avec le Maroc… Et ce n’est pas tout. Ma fille n’arrivait pas à avoir d’enfant. Et elle en a eu au cours d’un voyage à Marrakech ! Au Maroc, les gens me reconnaissent encore, me parlent… J’avais des copains formidables.

Après Nice, vous signez au Stade de Reims en 1956 ? Ils m’ont vendu 10 millions d’anciens francs, ils ont cru qu’ils faisaient une affaire… Je gagnais alors 250 000 anciens francs. J’étais le plus payé des joueurs français, sans compter Raymond Kopa au Real Madrid, contre qui je perds la finale de la coupe d’Europe des clubs champions en 1959. Les années à Reims ont été mes plus heureuses. C’était le plus grand club français à l’époque.

C’est aussi la période de toutes vos sélections… C’est vrai. En équipe de France, j’ai marqué trente buts en vingt matchs alors que je ne tirais ni les penaltys, ni les coups francs. Ils avaient peur que je les tire direct. (Rires.)

Je n’aime pas non plus entendre les joueurs parler d’automatismes, c’est d’une bêtise, si vous êtes un automate, vous n’avez plus aucune intelligence…

Just Fontaine

On lit souvent que l’équipe de France était critiquée avant la Coupe du monde en Suède en 1958… Non, des journalistes critiquaient Kopa parce qu’il jouait à l’étranger et touchait beaucoup d’argent, il y avait déjà des journalistes pas très malins… Moi, je n’avais pas beaucoup joué durant les matchs de préparation. Mais lorsque je suis arrivé à Orly, Albert Batteux et Paul Nicolas, les deux entraîneurs, m’ont dit : « C’est toi qui joues avant-centre. » Tiens, en parlant de journaliste, je vais vous raconter une histoire. Je devais aller jouer en Italie avec l’équipe de France espoir. Or je n’avais pas de passeport. À la fédération, on m’a dit : « Viens avec l’équipe, ça va passer. » Tu parles, j’arrive à Zurich, je reste bloqué avec un policier sur un banc pendant deux heures. Je lui dis : « Qu’est-ce qu’on fait ? » Il me répond : « Quand les bureaux vont ouvrir, on va vous donner un laissez-passer provisoire pour deux jours. » Le lendemain, je prends le train tout seul, et je rencontre des journalistes italiens de la Gazzetta Dello Sport, ils me demandent : « Vous êtes français ? Qu’est-ce que vous allez faire ? » Je leur raconte mon histoire. Ils me demandent quelles sont mes qualités. Je réponds que j’ai un bon pied droit. Le jour du match, je marque deux buts du gauche de 25 mètres, l’un des journalistes rentre furieux dans le vestiaire. Il me dit : « Vous m’avez menti, vous m’avez dit que vous aviez un bon pied droit ! » Moi : « J’allais quand même pas tout vous dire ! »

On raconte également que vous avez joué la Coupe du monde parce qu’il y avait des blessés ? Non, c’est faux, j’ai inventé cette histoire pour faire plaisir à un ami qui s’appelait René Bliard. Il était mon voisin de chambre. Il s’est blessé avant la Coupe du monde. Quand on est rentré de Suède, il est venu nous chercher avec sa jambe dans le plâtre. Alors j’ai raconté que s’il n’avait pas été blessé, peut-être que je n’aurais pas joué…

Vous étiez en forme à ce moment-là ? Pourquoi les Allemands sont-ils toujours au top pendant les Coupes du monde ? Parce qu’ils font une trêve hivernale. Moi, j’ai fait ma trêve hivernale du 7 décembre au 15 février parce que j’ai eu une blessure au ménisque. Quand je suis revenu, j’ai pété la forme. J’ai terminé meilleur buteur du championnat avec 34 buts en 26 matchs, meilleur buteur de la Coupe de France et on a fait le doublé avec Reims. En Suède, je courais sur l’eau comme Jésus, j’ai marqué treize buts et battu le fameux record. En poule, je marque un triplé contre le Paraguay, un doublé contre la Yougoslavie et un but contre l’Écosse. En quarts de finale, contre l’Irlande du Nord, je marque un doublé. En demi-finales, je marque une fois contre le Brésil. Et contre l’Allemagne, lors de la petite finale qu’on gagne 6-3, je marque un quadruplé. Et encore, le deuxième but qu’on marque, c’est Kopa qui tire le pénalty. J’avais ouvert le score, j’en étais à 10 buts. Personne ne pouvait se douter que j’allais en marquer trois autres derrière ! Pour me récompenser, le journal l’Expressen m’a offert un fusil. C’était une année extraordinaire. J’ai fini 3e du classement du Ballon d’or derrière Raymond Kopa et Helmut Rhan qui a terminé deuxième meilleur buteur du mondial avec Pelé. Ils avaient marqué tous les deux six buts, sept de moins que moi. (Rires.)

Ça ne vous fatigue pas, qu’on ne vous parle que de ce record de buts ? La question qu’on me pose le plus souvent, c’est : « Quand pensez-vous que le record sera battu et où ? » Comme je ne sais plus quoi répondre, un jour, Mario Zatelli m’a dit : « Ils vont t’emmerder tout le temps, raconte l’histoire de la momie, ils t’emmerderont plus. » Je vous la raconte : « Dans 1000 ans. Des égyptologues, cherchant encore des rois et pharaons au pied des pyramides, mettent au jour un sarcophage. Déroulant la bandelette du cadavre, ils s’aperçoivent qu’il bouge. Vite, on retire les linges et la momie se met à parler. Ses premiers mots : “Est-ce que le record de Just Fontaine a été battu ?” » Elle me fait rire. Comment je peux savoir quand mon record sera battu ? Avant, le tournoi se jouait avec 16 équipes. Aujourd’hui, elles sont 32. Donc il y a plus de matchs. En revanche, les défenses sont plus resserrées aujourd’hui. On l’a vu lors du Mondial 2014. C’est devenu chiant à partir des huitièmes de finale. L’Allemagne a mérité de gagner, c’est elle qui avait le plus de bons joueurs. Un jour, au marché, j’ai croisé quelqu’un qui me dit : « Vous étiez l’idole de mon père, il vous adorait tellement qu’il a appelé son chien Justo », ça m’a fait rire.

La légende dit que vous n’avez pas battu le record avec vos chaussures ? C’est vrai, la veille de la compétition, il fallait que je trouve quelqu’un avec la même pointure que moi qui ne jouait pas. Mes chaussures étaient mortes. Alors Stéphane Bruey m’a prêté les siennes. Je ne sais pas où elles ont terminé… Si on avait pu les avoir, avec Sotheby’s, on aurait gagné un peu de blé pour la retraite. (Rires.)

Quelle était l’ambiance en équipe de France ? On était tous copains. On allait à la pêche. Il y avait une ambiance très rémoise. Après la petite finale contre l’Allemagne, je venais de battre le record, ils m’ont tous porté en triomphe…Comme on ne savait pas quoi faire, un gars lance une chanson paillarde, Les Couilles de mon grand-père, les Suédois nous ont applaudis, ils pensaient que c’était La Marseillaise

Vous pouvez nous parler de l’entraîneur de l’équipe de France, Albert Batteux ? C’est le meilleur entraîneur que j’ai jamais eu. C’était un passionné, je pouvais passer toute la nuit à l’écouter parler de football. Il n’avait que le certificat d’études, mais lorsqu’il faisait un discours, il n’y avait pas un mot à enlever. Il avait un truc : il employait une locution latine peu avant la fin de ses speechs. Du coup, tout le monde l’attendait et se marrait… En parlant d’entraîneur, je me souviens qu’après la Coupe du monde, Luis Carniglia, qui m’entraînait à Nice et ne me faisait pas toujours jouer, a raconté à tout le monde qu’il m’avait découvert… Les gens récupèrent ton succès, c’est la rançon de la gloire. (Rires.)

C’est moi qui ai fait monter le PSG en première division. Il se structurait très doucement. On jouait devant 5000 personnes.

Just Fontaine

Vous avez encore des regrets d’avoir perdu 5-2 contre le Brésil en demi-finales ? Non, parce qu’on a joué à 10. Robert Jonquet, arrière central, se blesse au début du match alors qu’il y a 1-1. On ne pouvait pas faire de remplacements à l’époque, c’était la catastrophe. Comme on jouait l’attaque, derrière, c’était perméable. En face, Pelé était jeune, mais déjà très fort, il y avait également Garrincha, Pelé, Zito – capitaine de Santos -, Didi – capitaine de Botafogo -, Nilton Santos et Djalma Santos en défense, aussi rapides et techniciens que les ailiers qu’ils rencontraient… Et en plus ils avaient un bon gardien ! C’était une équipe redoutable…

Quelle relation aviez-vous avec Pelé ? On se respectait. Pendant la Coupe du monde en Italie en 1990, alors que deux cents personnes l’attendaient à la sortie d’un hôtel, il me voit et me dit de passer devant tout le monde. Les gens râlent, il leur dit : « Quand vous aurez marqué 13 buts en Coupe du monde, vous pourrez gueuler. »

Gary Lineker vous a vraiment donné le Soulier d’or Adidas qui récompense le meilleur buteur de chaque Coupe du monde ? Je vais vous expliquer. Un jour que je vais voir un match au Camp Nou, Gary Lineker, assis à côté de moi, me parle. Il ne me reconnaît pas. Moi si. Il me dit : « Vous parlez anglais ? » Je réponds : « Oui, un peu. » Il me dit : « Vous êtes footballeur ? » Je dis : « Oui ». Il me demande pourquoi je suis là. Je lui réponds que je suis invité et que je m’appelle Just Fontaine. Il s’exclame : « C’est vous ! » Et on a sympathisé. Il a dû se dire : « Moi avec 6 buts lors de la Coupe du monde 1986, j’ai eu un Soulier d’or, et lui avec 13, il a rien eu. » (Cette récompense a été créée en 1982 NDLR.) Alors il en a demandé un à Adidas et il me l’a donné. Ensuite, lors de la dernière Coupe du monde au Brésil, Michel Platini et Ronaldo m’ont remis officiellement le Soulier d’or, ça m’a fait plaisir. Une autre récompense qui m’a touché, c’est le grade d’Officier de la légion d’honneur que m’a remise l’année dernière l’ancienne ministre des Sports Valérie Fourneyron. François Mitterrand m’avait remis le grade de Chevalier en 1983.

On vous prête aussi une amitié avec Alfredo Di Stéfano ? C’est vrai, on avait une relation formidable. Je l’ai déjà reçu dans ma maison aux Issambres, dans le Sud-Est de la France. Ce jour-là, je lui avais servi un foie gras… À chaque fois que j’allais le voir en Espagne ensuite, je lui ramenais un foie gras. Lorsqu’ils ont fait sa statue au centre de formation du Real Madrid, il a invité trois Français : Lucien Muller qui a joué à Barcelone, Raymond Kopa et moi. C’est un type bien, il a mal terminé, il s’est fait avoir par une jeune femme, elle lui a pris son pognon. Il est décédé il y a six ou sept mois. Je n’ai pas pu aller à l’enterrement, j’étais malade, j’ai téléphoné aux anciens du Real Madrid pour m’excuser.

Revenons-en à votre carrière, gâchée et arrêtée trop tôt par des graves blessures… Le 20 mars 1960, contre Sochaux, à la quinzième seconde, l’Ivoirien Sékou Touré me fauche. Il est ensuite venu me voir en pleurs à l’hôpital, il mettait la tête dans les draps, ça me faisait chier, je ne pouvais pas me reposer, alors je lui ai dit que ce n’était pas grave et il est parti ragaillardi. J’ai quand même terminé la saison avec 28 buts. L’année d’après, c’est lui qui termine meilleur buteur du championnat de France… La seconde blessure arrive contre Limoges le premier janvier 1961 seul, en faisant demi-tour, la fracture a craqué… J’ai eu six mois de plâtre, j’ai fait ensuite une tournée avec l’équipe de France en Argentine, en Colombie, au Mexique, en Équateur, en Martinique et en Guadeloupe et j’ai arrêté, ma cheville ne pouvait pas plier. Je boitais. C’était un crève-cœur, c’était ma passion.

Vous n’avez pas eu un coup de déprime lorsque votre carrière s’est arrêtée à 27 ans ? Non, j’ai un peu de caractère. J’ai eu de la chance, j’ai travaillé trois ans chez Adidas, je gagnais très bien ma vie. Quand j’ai touché l’assurance de ma jambe cassée, j’ai créé une boutique de sport à Toulouse.

Vous auriez pu partir à l’étranger après le Stade de Reims ? J’étais demandé par le club brésilien de Botafogo, j’aurais pu y aller ! J’aurais aimé aussi jouer en Espagne.

Peu après, en 1962, vous prenez la présidence de l’Union nationale des footballeurs professionnels, syndicat des footballeurs français, c’est bien cela ? Oui, je deviens président du syndicat, créé avec Eugène N’Jo Léa, Jacques Bertrand, André Lerond, Jean-Jacques Marcel, Robert Loubière et Norbert Eschmann. À l’époque, un amateur qui signait dans un club professionnel appartenait au club jusqu’à 35 ans, mais à l’inverse, si le club voulait s’en séparer, il pouvait le renvoyer sans aucune indemnité. Alors, à chaque fois qu’il y avait un problème avec un président, je lui téléphonais et lui disais : « Vous savez très bien que je vais vous faire un procès que vous allez perdre, vous êtes encore plus con que ce que je pensais. » Une semaine après, ils me rappelaient, et on arrangeait le coup pour satisfaire et le joueur et le club. J’ai toujours menacé, je n’ai jamais fait un procès. (Rires.) On a obtenu le contrat à durée déterminée en 1972. Dans tous les pays du monde, ils ont attendu 1986.

Après l’UNFP, vous devenez entraîneur… Il fallait que je passe d’abord le diplôme. J’ai eu 14 de moyenne, j’ai été major de la promo et ils m’ont annoncé que je ne pouvais pas entraîner avant 35 ans. J’ai demandé : « Vous me prenez pour un con ? » Alors j’ai entraîné une petite équipe, Luchon dans les Pyrénées, on a terminé troisièmes en CFA (équivalent de la 4e division française, NDLR), c’était pas mal.

Vous avez notamment entraîné un futur grand club en gestation, le Paris-Saint-Germain de 1973 à 1976… Oui, c’est moi qui ai fait monter le club en première division. Il se structurait très doucement. On jouait devant 5000 personnes. On a fait quelques matchs au Parc des Princes dont le barrage pour la montée en première division… À la fin du match, avec la chaleur, j’ai eu un malaise, je suis tombé dans les pommes. Ma femme a été très inquiète. Au PSG, j’avais un contrat de trois ans, mais ils m’ont limogé au bout de deux. Daniel Hechter, le président, était un type bien, mais il avait un gros défaut : il se laissait influencer par le dernier qui lui parlait, notamment un certain Bernard Brochand, ancien maire de Cannes, on a failli se battre. Pour me virer, on m’a reproché de jouer aux cartes avec les joueurs…

Vous détenez un autre record avec l’équipe de France que vous taisez, vous accepteriez d’en parler ? Bien sûr ! J’ai été le sélectionneur le plus bref de l’histoire. (Rires.) En 1967, les deux sélectionneurs José Arribas et Jean Snella ne voulaient plus continuer parce qu’ils savaient qu’ils n’avaient pas une génération de grands joueurs. Alors Jean-Baptiste Doumeng, le président de Toulouse, a proposé ma candidature. On m’a mis là pour m’essayer, je n’ai pas touché de salaire. Mais ce n’est pas ça le plus important. On joue notre deuxième match contre l’URSS au Parc des Princes, championne d’Europe avec Lev Yachine. À la mi-temps, on mène 2-1, il fallait voir la gueule des dirigeants, ils n’étaient pas contents… Le problème ? J’étais de l’UNFP ! Les dirigeants ne pouvaient pas me blairer, j’aurais soi-disant foutu la merde… Si on gagnait, je restais ! En plus mes joueurs jouaient le hors-jeu, or personne ne le faisait à l’époque, et on me critiquait pour ça. Finalement, on a perdu 4-2 et je suis parti.

Père normand, mère espagnole, ça fait de moi un bon Français moyen !

Just Fontaine

Pourquoi vous surnommait-on le « manchot qui ne boit que de l’eau » ? Parce que je n’aime ni le vin, ni la bière, ni le champagne alors que Reims est la ville du champagne. (Rires.) Pat contre, j’aime bien le pastis avec du sirop de grenadine.

Vous n’êtes donc pas un gros fêtard ? Pas du tout. Les fêtards essaient de séduire les filles, mais je n’ai pas besoin de boire de l’alcool pour ça.

Comment avez-vous rencontré votre femme ? On venait jouer à Toulouse avec Reims. Sur un terrain d’échauffement, à côté des tribunes, je vois une blonde et une brune qui s’avancent vers deux coéquipiers, Jean Wendling et Lucien Muller, et qui les embrassent. La brune, je m’en foutais, mais la blonde, je me dis : « Putain, elle est pas mal cette fille », je dis alors : « Et moi, j’ai le droit à rien ? » Elles disent : « Monsieur, on ne vous connaît pas… » On est mariés depuis 52 ans… On a eu deux enfants : un fils et une fille.

Le football vous intéresse-t-il encore ? Cela dépend, j’adore le Barça. Avec Lionel Messi, les joueurs de petite taille sont réhabilités. Comme Gerd Müller, moi je ne faisais que 1,74m pour 72 kilos. Je me souviens qu’une fois, alors qu’on était invité tous les deux à Dijon, il a déclaré : « À ceux qui parlent de mes 14 buts sur plusieurs Coupes du monde, c’est pas moi le vrai recordman, c’est Fontaine avec 13 buts sur une seule compétition ! », j’ai été touché, c’était un sacré joueur. Sinon, je pense que la télé tue le foot. Les mecs qui retirent leur maillot après un but et prennent des cartons, alors que c’est interdit… Si un joueur me fait ça, je le suspends dix matchs ! Comment peut-on être aussi con ? Et ceux qui montrent leurs abdos comme Ronaldo, qu’est-ce qu’on en a à foutre de ça ? Les joueurs ne le feraient pas si la télé n’était pas là. Je n’aime pas non plus entendre les joueurs parler d’« automatismes », c’est d’une bêtise, si vous êtes un automate, vous n’avez plus aucune intelligence… Ce qui m’intéresse, c’est le jeu, le reste, je m’en fous…

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Dans cet article :
Les notes des 13 buts de Just Fontaine au Mondial 1958
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