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- J9
- Majorque-Real Madrid (1-0)
Junior Lago, seul le meilleur est assez bon
Vainqueur du Real Madrid à San Moix (1-0), le Real Majorque peut remercier le talent d’un homme en particulier : Lago Junior, unique buteur de la rencontre pour faire tomber le Real pour la première fois de la saison en Liga. Et pour le principal intéressé, tout possède une explication à travers « la faim ».
« La première chose à laquelle je pense en ce moment, c’est que je vais célébrer cela avec tous mes coéquipiers. Je vais aussi y emmener ma femme, parce qu’elle me tient par les couilles. C’est un vrai marquage individuel, elle ne te laisse pas un centimètre de liberté. » Sur les ondes de la radio Cadena Cope, Lago Junior apparaît d’une sincérité absolue avant de filer au Tito’s, une discothèque branchée de Majorque. D’ailleurs, la compagne du gaillard – une certaine Fabiola – confirme les propos de son compagnon une poignée de secondes plus tard sur le même canal. Marquées dans le temps, ces paroles ne sont pas issues de la récente victoire acquise par Majorque contre un Real Madrid invaincu en huit journées de Liga, mais d’un exploit bien plus important. Battu 2-0 sur la pelouse du Deportivo La Corogne pour les barrages aller de la finale d’accession à la Liga 2019-2020, Majorque est parvenu à renverser la vapeur au match retour à San Moix le 23 juin 2019. Une victoire nette et sans bavure 3-0, synonyme d’accession à l’élite espagnole et encore inconcevable pour Lago Junior il y a de cela trois ans et demi.
L’œil de Molango, la confiance de Moreno
Avant de fouler la pelouse de San Moix, l’attaquant ivoirien est passé par des clubs secondaires en Espagne : Numancia pendant quatre ans (sans oublier un prêt à Eibar en 2010), le Gimnàstic de Tarragone pendant deux ans et Mirandés l’année avant sa venue aux Baléares. Avec Mirandés en deuxième division, Lago est le meilleur buteur de son équipe en six mois de compétition. C’est le 27 janvier 2016 que son aventure majorquine démarre. Sous l’impulsion des nouveaux propriétaires américains de Majorque, le néo-directeur technique Maheta Molango approche Lago Junior pour lui offrir un nouveau contrat et propose en contrepartie 300 000 euros à Mirandés. « L’équipe était dans une mauvaise position et cherchait à se renforcer, se remémore le joueur. C’est là que je suis arrivé. En plus, l’entraîneur qui était là (Fernando Vázquez, N.D.L.R.) avait déjà travaillé avec Eto’o, avec des joueurs noirs. Il voulait un ailier rapide, il me comparait à Eto’o. C’était l’exemple à suivre. » Au moins, une chose est sûre : à Majorque, la route dans les pas de Saméto ne peut qu’amener au succès.
Au courage, le Real Majorque obtient son maintien en Liga Adelante lors de la dernière journée de championnat et pense avoir vécu le plus dur avant de se diriger vers les hautes cimes en vue d’une prochaine montée en Liga. En réalité, pas du tout. Malgré de nombreuses arrivées pour renforcer l’équipe, les Bermellones (Vermillons, en V.F.) réalisent une saison catastrophique et descendent en troisième division. De son côté, Lago Junior plante seulement six buts en 40 matchs de championnat. « Dans le foot, ce que j’ai retenu, c’est que ce n’est pas que des noms ou du talent : c’est aussi la faim, explique Lago. Il fallait trouver des mecs qui voulaient monter, rebâtir Majorque, ramener le club en D1. L’entraîneur (Vicente Moreno, N.D.L.R.) a été important dans mon choix de rester à Majorque parce que j’avais des offres de Cordoue et Oviedo, en deuxième division. Ils m’offraient des bons salaires, mais ici, je connaissais le coach depuis mon passage au Gimnàstic, je savais qu’il me ferait grandir. » Bingo, Lago Junior s’apprête à être récompensé de sa fidélité envers son club.
Des play-offs au all-star game
Avec Vicente Moreno, le feu follet participe au regain de confiance collectif : replacé en ailier gauche, il met à exécution les fondamentaux tactiques acquis grâce à son mentor à Tarragone. « En Afrique, c’est différent, analyse Lago. À part l’ASEC Mimosas, tu n’as pas de très grandes académies de foot. Dans la mienne, tu te levais pour un 11 contre 11 et tu rentrais chez toi. On ne nous avait jamais appris à se déplacer sur le terrain, à réfléchir sur le jeu. Vicente Moreno m’a construit. » En Segunda B, les résultats de l’équipe sont probants : Majorque termine premier de sa poule et remporte les plays-offs d’accession à la Liga Adelante face au Rayo Majadahonda en finale (2-1, 1-0). De son côté, Lago Junior se blesse au genou sur un terrain synthétique et manque une bonne partie de la saison. Pas grave, Vicente Moreno sait que son poulain possède la ressource pour aller de l’avant. Après cette première montée, la colonne vertébrale de l’équipe est conservée à l’échelon supérieur : Manolo Reina garde les buts, la défense compte un cinq majeur avec Xisco Campos, Antonio Raillo, Joan Sastre, Fran Gámez et Salva Ruiz, Marc Pedraza et Salva Sevilla s’occupent de l’entrejeu et comptent régulièrement sur l’aide d’Iddrissu Baba, pépite ghanéenne issue du centre de formation.
Ces neuf joueurs et la coqueluche Lago Junior vont ensuite écrire l’une des plus belles pages de l’histoire du Real Majorque. Le 25 mars 2019, le club passe au-delà des 50 points obtenus en championnat, synonyme de maintien comptable. Pourtant, le club se retrouve en septième position et commence à croire à une place dans le top 6 pour de nouveaux play-offs. Au bout du combat, les insulaires terminent cinquièmes et arrachent un ticket pour le tournoi final. « On avait quatre matchs en deux semaines, relate Lago. Pour la finale, on est arrivés à l’hôtel le mardi. On avait match le jeudi. Et du jeudi au dimanche, pareil, à l’hôtel. Tu imagines la pression… Au petit-déjeuner, tu parles de foot. Tu vas te coucher, tu parles de foot. Tu ne parles que de ça ! Ce n’est pas simple d’être à un doigt de l’objectif après lequel tu cours depuis toujours. » Né à Yamoussoukro, Lago Junior fait venir sa famille à San Moix pour assister à la remontada du Real Majorque face au Depor. Au coup de sifflet final, la joie est immense : Majorque rejoint la Liga six ans après l’avoir quittée. « Le club n’avait rien préparé, il attendait le déroulement du match, se souvient Lago. Eux-mêmes, je crois qu’ils n’y croyaient pas, on n’avait même pas de T-shirt pour fêter ça. » Depuis, Majorque renaît au plus haut niveau. Face à un Real Madrid orné de stars, Lago Junior a montré par son but et sa capacité à faire tourner en bourrique Álvaro Odriozola qu’il pouvait aussi sortir en solitaire. N’en déplaise à madame.
Par Antoine Donnarieix, avec Maxime Brigand et Paul Piquard, à Majorque
Propos de Lago Júnior recueillis par MB et PP.