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Juninhostalgie
Blessé en novembre dernier, Juninho avait alors envisagé la possibilité de mettre fin à sa carrière. L’occasion de préparer son monde à la suite, avec le même soin pris à chaque fois qu’il fallait poser le ballon au sol pour tirer un coup franc. La suite avait beau être connue d’avance, elle n’en fait pas moins monter d’un cran la nostalgie qui s’est emparée de Lyon à mesure que son passage entre Saône et Rhône a fini par se confondre avec les années de domination.
C’est à peine si l’on s’étonne qu’un battement d’aile au Brésil puisse provoquer une tornade au Texas. Pourtant, à Lyon, on ne se remettra jamais de cette rupture des ligaments croisés de Florent Laville, à Valence en 2000, qui changera à jamais le cours de l’histoire pour l’OL. Car c’est bien le sacrifice du garçon-boucher préféré des Lyonnais qui envoie Lacombe en tournée au Brésil à la recherche d’un défenseur. Sur les conseils de Marcelo Kiremitdjian, le recruteur-né en profite pour jeter un œil à ce joueur du Vasco de Gama , qui tire si bien les coups francs. Il n’en met pas un le jour où Lacombe le découvre face au FC São Paulo. Mais il y a la place pour apprécier tout le reste : la vision du jeu, la technique, le rythme. « Dans son registre, il m’a rappelé un des grands joueurs qu’on a eus en Ligue 1 : Safet Sušić. »
Carte et mémoire
Pour les coups francs, il y a toujours les vidéos. La première, envoyée par Marcelo, suffit à convaincre le Comité de Gestion de l’OL de formuler une offre quelques mois plus tard. Pour que la légende soit à la hauteur de la domination qui doit s’écrire, c’est dans l’intimité du Novotel de Gerland que l’affaire se conclut. Le Barça est lui aussi sur les rangs, avec l’idée d’en faire le successeur de Rivaldo, mais les Catalans ont oublié de s’aligner sur le paquet de fric proposé par Aulas pour emporter la décision du joueur libre de tout contrat. L’histoire retient que ce jour-là, Juninho n’est pas foutu de situer Lyon sur une carte. Des années plus tard, on comprend qu’il y avait bien mieux à faire, à commencer par placer l’OL parmi les clubs qui comptent à l’échelle du foot européen.
Au-delà de ses coups francs que tout supporter peut se repasser en boucle et classer jusqu’à l’infini, se demandant si celui envoyé à Kahn à l’Olympiastadion vaut mieux que cette frappe qui traverse toute une moitié de terrain à Ajaccio, ce n’est pas le moindre exploit de Juninho que d’avoir réussi à mettre tout le monde d’accord entre Saône et Rhône. La Capitale des Gaules s’est souvent manifestée pour son art consommé du consensus. N’empêche, parmi les générations de supporters qui ont toujours pris plaisir à se disputer au moment de comparer les mérites des milieux les plus classieux, de Di Nallo à Chiesa en passant par Gava et Tiago, plus personne ne remet en cause la place du capitaine pernambucan, celle de meilleur joueur de l’histoire du club. Pour tout dire, il y en a même pour voir plus loin et lui envoyer déjà le titre de meilleur joueur de l’histoire de la Ligue 1, du haut de ses sept titres à la suite. Ce n’est pas pour tout de suite, mais ça viendra.
D’ici là, il va falloir apprendre à vivre sans l’attente d’un nouveau coup franc envoyé depuis le Brésil. Où il était devenu moins question d’apprécier la qualité du but qui révèle un gardien au talent incertain que de retrouver tout ce qui précède. Le coup de sifflet de l’arbitre. Juni qui s’approche, prend le ballon et le pose avec un soin démesuré. La tête qui se relève et ce regard qui ne fixe plus que la balle. Un dernier coup d’œil au but adverse et la suite qui peut arriver. On pourra gloser jusqu’à la fin des temps sur ce coup du pied qui fait tout le mystère de son fouetté-frappé, le rituel entourant chaque coup franc ayant fini par devenir comme une respiration pour tout supporter lyonnais.
Foot sentimental
On sait ce qu’il advient quand on s’arrête de respirer. Et il faudra se remettre de cette nouvelle petite mort, la seconde depuis son départ de Lyon en 2009. Comme pour la première fois, il semble que tout ait été préparé et maîtrisé. Jusqu’à l’excès, diront ceux qui ont eu vite fait de lui reprocher de coller de trop près à la domination lyonnaise des années 2000, d’apparence aussi vibrante et passionnante qu’un bilan comptable d’OL Groupe. Peut-être. Mais ce qu’on a fini par apprendre, c’est la nécessité du joueur de tenir l’émotion à bonne distance, de peur de la laisser le submerger. Des coups de fil passés à Bats les veilles de match pour s’entendre dire que tout se passera bien au malaise en direct au moment des derniers adieux sur le plateau d’OL TV, de l’hommage à Santini qui vient de perdre son père le soir du premier doublé face à Rennes au dernier maillot refilé à Lacombe pour y essuyer quelques larmes, Juninho a pratiqué à sa manière un genre de foot sentimental.
De ce besoin de tourner à l’affect, on ne pourra lui faire pour seul reproche que celui d’avoir rendu tout héritage impossible. Pour le reste, tout est déjà pardonné. À commencer par ce compliment en forme d’aveu envoyé à Kaká, un jour de remise du Ballon d’or : « Nous avons sans doute des qualités techniques en commun. Mais Ricardo possède ce qui m’a toujours manqué : la vitesse. » On veut bien croire que c’est là-dessus et pas seulement sur un pénalty refusé à Nilmar, une erreur de placement d’Abidal ou un carton de trop récolté par Tiago que les ambitions européennes de l’OL ont fini par s’échouer. Après tout, Hiddink l’avait bien compris, lui qui avait préféré envoyer Van Bommel et Cocu sur son dos plutôt que de chercher à broyer la machine Essien-Diarra. Ce soir d’avril 2005, l’OL passe à côté de son destin et Juni renforce un peu plus le sien, celui d’un joueur devenu tellement lyonnais qu’il passera les saisons qui suivent à regretter tout haut une sorte d’âge d’or. Une tendance qui a largement eu le temps de gagner Gerland, entre maillots floqués de son n°8 et « La la la la ! » qui descendent toujours des tribunes. La Juninhostalgie.
Par Serge Rezza